Demain, serons-nous tous effaçables ?

Dans les deux premiers volets de cette série, nous avons découvert le principe et les enjeux-clés de l’effacement diffus qui consiste à diminuer temporairement la consommation électrique d’un grand nombre de foyers, en y réalisant des microcoupures de certains équipements.
Ce dispositif d’effacement résidentiel permet d’apporter une réponse à l’enjeu des pics de consommation journaliers et hivernaux, qui ont augmenté de près d’un tiers en 10 ans.
Comme nous l’avons vu précédemment, diminuer la consommation résidentielle aux heures de pointe permet d’optimiser l’efficacité énergétique du système électrique français, et de diminuer les risques de black-out du réseau.
Malgré ces différents gains qui semblent bénéficier à l’ensemble de la collectivité (producteurs, distributeurs, gestionnaires de réseau et clients finaux), comment expliquer le faible développement des offres d’effacement diffus en France ?

Une valorisation limitée de l’effacement diffus 

Difficile a priori de valoriser un bloc d’énergie effacé, c’est-à-dire non soutiré du réseau, et dans certains cas non injecté sur le réseau. Aujourd’hui, il n’existe aucune valorisation de l’effacement sur le marché de l’énergie.

De fait, les agrégateurs d’effacements diffus – tel que Voltalis – disposent d’un unique moyen de valoriser les blocs d’énergie effacés : il s’agit du mécanisme d’ajustement décrit dans le deuxième article de cette série.

Le mécanisme d’ajustement piloté par le gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité (RTE) a été mis en place en 2003 afin d’ajuster en temps réel l’énergie injectée et l’énergie soutirée sur le réseau. Ce mécanisme intervient en dernier recours pour pallier aux consommations et/ou productions d’électricité qui n’auraient pas pu être anticipées.

Le fonctionnement simplifié de l’effacement dans le cadre du mécanisme d’ajustement correspond aux trois étapes illustrées par le schéma ci-dessous :
1 – Le producteur – EDF par exemple – injecte l’énergie sur le réseau
2 – RTE constate un déséquilibre sur le réseau et fait appel à un agrégateur d’effacement : en l’occurence Voltalis.
3 – Voltalis réduit la consommation des sites ayant souscrit un contrat d’effacement, et se fait rémunérer par RTE.

Effacement diffus_ajustement

Dans le cas présent, EDF est donc doublement pénalisé :
• L’effacement est réalisé sans concertation avec le fournisseur. EDF injecte donc l’énergie sur le réseau, sans se faire rémunérer par les clients effacés.
• Le responsable d’équilibre rattaché à EDF doit verser des indemnités à RTE, qui constate un déséquilibre sur le périmètre sur lequel s’est engagé EDF.

Ces deux aspects permettent de comprendre le conflit qui a longtemps opposé EDF à Voltalis.
Par ailleurs, cette seule valorisation de l’effacement en limite le développement, et le flou juridique qui persiste sur la non-indemnisation des fournisseurs par les opérateurs d’effacement, ne permet pas d’envisager une pérennité de ce dispositif de rémunération.

Demain, l’effacement des consommation pourra être valorisé via trois mécanismes distincts

Dans le contexte de la transition vers un système énergétique sobre, plusieurs décrets – dont la loi Brottes – devront permettre de donner la priorité aux capacités d’effacement de consommation, par rapport aux capacités de production. Cela passe évidemment par la mise en place d’un modèle économique pérenne de l’effacement.

Valorisation sur le mécanisme d’ajustement & le marché de l’énergie

L’élément central permettant de valoriser l’effacement, sur le mécanisme d’ajustement et le marché de l’énergie, repose sur une nouvelle prime versée aux opérateurs d’effacement.
Cette rémunération spécifique est versée au titre des bénéfices procurés à la collectivité, notamment en matière de maîtrise de la demande d’énergie et de sobriété énergétique.
Cette prime sera financée par les consommateurs finaux via la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Les modalités de calcul du montant de cette prime sont en cours de définition.
Les opérateurs d’effacement seront désormais tenus d’indemniser les fournisseurs lorsqu’ils réalisent un effacement dans le cadre du mécanisme d’ajustement.
Cette prime permettra aux effacements de rester concurrentiels face aux offres de déclenchement de moyens de production complémentaires, et ce malgré l’indemnité versée aux fournisseurs.

Les effacements seront également valorisés sur le marché spot de l’énergie, par les opérateurs d’effacement.
Le mécanisme de valorisation « Effacements au service du marché » – aussi appelé « Notifications d’Échanges de Blocs d’Effacement » ou NEBEF – a été défini en janvier 2013 et fixe les principes-clés suivants :
• L’opérateur d’effacement est rattaché à un Responsable d’équilibre
• Les opérateurs d’effacement peuvent réaliser l’effacement dit de « bloc d’énergie », sans accord du fournisseur
• L’injection du bloc d’énergie est maintenue, malgré l’effacement de la consommation
• L’opérateur d’effacement achète le bloc d’énergie au fournisseur et le vend sur le marché spot de l’énergie.
• RTE contrôle la réalisation effective de l’effacement.

Grâce à ces évolutions réglementaires, l’effacement devrait enfin disposer d’un modèle économique viable sur les marchés de l’énergie, ainsi que sur le mécanisme d’ajustement de RTE.

Valorisation des capacités d’effacement sur le marché de Capacité

Le troisième mécanisme permettant de valoriser l’effacement, via l’achat de capacité d’effacement, est le marché de capacité aussi appelé Demand/Response.
Ce nouveau dispositif très controversé sera mis en œuvre dès l’hiver 2015. Il fait suite à l’alerte remontée par le gestionnaire du réseau RTE.
Selon RTE, les capacités de productions françaises ne permettraient plus d’assurer la sécurité du réseau électrique de la France à partir de 2015. Est mis en cause le manque d’investissement des producteurs d’énergie, dans les unités de production de pointe très coûteuses et non rentabilisées.

Le marché de capacité repose sur l’obligation des fournisseurs d’énergie à couvrir la pointe de consommation de ses clients.
RTE établit pour chaque fournisseur une obligation de capacité pour une année de livraison.
Afin de couvrir son obligation de capacité, chaque fournisseur :
• dispose de capacités de production et/ou d’effacement qui lui sont propres
• achète des capacités de production auprès des producteurs d’électricité
• achète des capacités d’effacement auprès des opérateurs/agrégateurs d’effacement.

Marché de capacité_DD
Source : Ministère du DD

Le calcul de l’obligation de capacité est réalisé par rapport aux consommations des clients des fournisseurs pendant les pics de consommations.
Ce dispositif favorise donc l’investissement dans les capacités d’effacement par rapport aux unités de production de pointe.

Il est important d’avoir à l’esprit qu’il s’agit du seul mécanisme permettant de rémunérer l’effacement sans nécessairement maintenir l’injection d’électricité sur le réseau. À titre d’exemple : aux Etats-Unis, les effacements tirent jusqu’à 80 % de leur rémunération du marché de capacité.

Dès 2015, l’effacement devrait donc être plus présent dans notre quotidien afin de sécuriser le réseau électrique français tout en optimisant notre efficacité énergétique.
À noter tout de même, que la valorisation de l’effacement n’est pas la seule difficulté à laquelle sont confrontés les fournisseurs d’énergie et opérateurs d’effacement déjà présents sur ce secteur d’activité. Les expérimentations des fournisseurs – réalisées depuis plusieurs années – ont permis d’étudier la fiabilité des effacements.
Les deux risques clés sont la défaillance dans la transmission de l’ordre d’effacement, ainsi que le refus du consommateur de s’effacer.

 

 

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