Open Data en Europe : quelle est la posture des énergéticiens?

Le Big Data, la Data Science, … Tant de leviers permettant d’enfin rentabiliser les larges bases de données. Ces nouvelles techniques font rêver les énergéticiens européens qui ont accumulé un volume considérable de données pendant des années. Volume tellement conséquent qu’ils sont actuellement incapables de visualiser l’ensemble des possibilités qui s’offrent à eux. L’Open Data pourrait donc bien apparaître comme un moyen simple et rentable pour tirer profit de ces données. En effet, l’Open Data est un moyen d’explorer sans frais les différentes opportunités apportées par les données. Le marché européen de l’Open Data devrait d’ailleurs croître de 37% d’ici à 2020. De quoi donner envie aux énergéticiens européens ! Et pourtant la position des énergéticiens européens diffère d’un pays à l’autre ; pourquoi ?

Mais d’ailleurs, qu’est-ce que l’Open Data ?

L’Open Data est une donnée (privée ou publique) qui est à la fois accessible et réutilisable. Empiriquement, une « donnée ouverte » répond à quatre critères :

  • Accessibilité : la donnée est accessible par tous. Aucun moyen de login ou de restriction informatique ne doit entraver la lecture ou l’utilisation de la donnée.
  • Gratuité : la gratuité de la donnée vient compléter la notion d’accessibilité. La donnée ou l’accès à la donnée ne doit faire l’objet d’aucune contrepartie monétaire.
  • Lisibilité : la donnée doit aussi être lisible et traitable par un logiciel. Des formats de données courants sont de type Excel, XML ou CSV.
  • Autorisation légale : la donnée ne fait l’objet d’aucun droit d’accès, d’usage ou de réutilisation. Les données sont donc juridiquement exploitables.

Dans l’industrie de l’énergie, on peut trouver différents types d’Open Data comme les flux électriques, la consommation ou la production d’énergie, que ce soit au niveau d’une région ou d’un foyer, des données économiques, etc…

Quels sont les avantages et les inconvénients que les énergéticiens voient à l’utilisation de l’Open Data ?

Le contexte de l’Open Data est complexe et la position de certains acteurs est parfois ambiguë. La dualité du contexte légal en est un bon exemple. Les gouvernements européens utilisent le système légal pour favoriser l’ouverture des données. Ainsi, en France, le projet de loi pour la République numérique va inciter les entreprises exerçant un service public, comme les énergéticiens français, à ouvrir leurs données. Les gouvernements y voient la possibilité de faire des économies ; d’ici 2020, l’Open Data devrait permettre à chaque pays de l’Union Européenne d’économiser 1.7 milliards d’euros. Pour autant, l’ouverture des données doit être encadrée pour éviter la divulgation fortuite d’informations privées. Ainsi, certaines lois européennes poussent à la rétention d’informations. Par exemple, la General Data Protection Regulation, loi européenne, punit toute entreprise pour fuite de données personnelles par une amende pouvant s’élever à 4% du chiffre d’affaires. Or la protection de ces données privées est complexe, car même en ayant rendu anonymes les données privées, il est possible en recoupant des données ouvertes et pourtant anonymisées de remonter au particulier source de ces données. Ainsi, des acteurs du numérique, comme Netflix ou AOL, ont « ouvert » des données anonymisées sans pour autant parvenir à en garantir la confidentialité. De quoi faire réfléchir les énergéticiens, acteurs moins expérimentés dans le domaine du numérique et de la donnée.

Le contexte économique est tout aussi complexe. Les énergéticiens ont accumulé pendant des années des données et le volume est aujourd’hui tel qu’ils sont actuellement incapables de traiter eux-mêmes l’ensemble de ce volume. Les énergéticiens ne savent pas comment monétiser ce volume. Rendre ces données ouvertes est donc un moyen pour les énergéticiens de laisser entre les mains d’acteurs tiers les risques liés à l’exploration des nouvelles opportunités offertes par ces données. Mais d’un autre côté, l’ouverture des données favorise la création de nouveaux business et donc l’ouverture du marché à d’autres concurrents. À titre d’exemple, l’initiative du Green Button lancée en Janvier 2012 aux États-Unis a favorisé la création de 68 applications dont la plupart visait à la réduction des factures d’électricité.  Ainsi, en plus de favoriser l’émergence de potentiels concurrents, l’Open Data peut induire une baisse des factures et donc, potentiellement ressortir la hache de la guerre des prix. La question est donc : est-ce que les pertes dues à une baisse des prix seront compensées par les bénéfices provenant de la monétisation de ces données ? Une question bien simple impliquant pourtant beaucoup de réflexion avant une quelconque réponse.

En terme d’image, en adoptant une politique d’ouverture des données, les énergéticiens améliorent leur réputation en se rendant plus transparents. Pour autant, cette accessibilité des données peut être perçue comme apparente : la masse de « données ouvertes » rend parfois difficile de trouver la donnée utile.

Quel est le positionnement des énergéticiens européens ?

Pays Énergéticiens Position vis à vis de l’Open Data
Allemagne Tennet Offre professionnelle
Allemagne TransnetBW Open Data visuel
Autriche Verbund Absence de services Open Data
Belgique Elia Open Data visuel
Espagne Red Eléctrica de España Open Data visuel
Finlande Fingrid Services Open Data les plus avancés
France Enedis Services Open Data les plus avancés
France RTE Services Open Data les plus avancés
Italie Enel Services Open Data les plus avancés
Norvège Statnett Open Data visuel
Pays Bas Tennet Offre professionnelle
République Tchèque ?EPS Offre professionnelle
Royaume Uni National Grid Open Data visuel
Suède Svenska Kraftnät Services Open Data les plus avancés
Suisse Swissgrid Services Open Data les plus avancés

Face à des facteurs aux directions divergentes et un contexte globalement complexe, les énergéticiens européens ont pris des positions bien différentes. Dans le tableau ci-dessus, les différents énergéticiens européens étudiés sont divisés en quatre catégories. Certains énergéticiens (en rouge) ne proposent pas d’Open Data à l’instar de ceux présents en Autriche. Guère plus en avance, les énergéticiens en jaune proposent uniquement des données brutes sans traitement préalable sous un format Excel. A noter dans le cas de l’Allemagne, le positionnement est plus complexe du fait de l’existence de plusieurs énergéticiens pouvant être en concurrence (oligopole pour les gestionnaires du réseau, marché concurrentiel pour les producteurs).

Svenska Kraftnät Control board
Le « Control board » proposé par l’énergéticien suédois Svenska Kraftnät

Les énergéticiens en vert sont ceux qui sont les plus en avance en Europe. En plus de proposer des fichiers à télécharger, il est  possible d’avoir accès à de services comme le suivi instantané des flux, des prévisions sur la consommation ou sur la production, … Dans certains pays, comme la France, la Finlande ou la Suisse, les énergéticiens se démarquent en proposant un large panel de services Open Data. Des outils ergonomiques des comparaison de données sont proposés. La comparaison et l’analyse des données ne sont plus réservées aux experts ; ainsi, en Suède, tout utilisateur curieux peut faire son enquête en comparant la consommation de son pays avec le pays voisin ou en analysant une carte des flux en temps réel (ci-dessus). Dans l’hexagone, l’offre éCO2mix de RTE se démarque de l’offre suédoise en proposant, en plus, une application mobile. Cette volonté de transparence est d’ailleurs appréciée par les utilisateurs français qui donnent à l’application éCO2mix une note de 4,7 (pour 549 répondants).

Quel est l’avenir de l’Open Data ?

Le dilemme de l’Open Data reste entier pour des énergéticiens qui n’ont pas encore fait le choix de diffuser ouvertement des données. En Autriche, il existe plusieurs gestionnaires des réseaux, diffuser ses données peut-être ressenti comme la perte d’un avantage concurrentiel. Il est donc cohérent de penser que l’ouverture des données sera difficile. Pourtant, en Allemagne, malgré la situation concurrentielle (pour les fournisseurs d’énergie ou pour les gestionnaires de réseau), les énergéticiens, à l’instar de TransnetBW, ont fait le choix de l’Open Data et pourraient bien perfectionner leur offre.

Et en Europe, la majorité des énergéticiens a fait le même choix en offrant à minima des données à télécharger. Offrant plus de transparence sans pour autant avoir de réels inconvénients, les offres plus graphiques (avec ou sans outil de comparaison) ont déjà été adoptées par une grande majorité des énergéticiens européens et nul doute qu’ils seront suivis par ceux, moins avancés dans le domaine. Quant aux énergéticiens les plus à la pointe, ils vont perfectionner leurs offres.

Enel, énergéticien italien, a une position différente des autres acteurs européens. Il propose certes des jeux bruts d’Open Data concernant leur cœur de métier, mais ses services Open Data les plus avancés concernent principalement des données économiques ou environnementales. Cependant, Enel affirme sa conviction dans les bénéfices de l’Open Data, et dans le cadre de son nouveau positionnement stratégique, Open Power, il ne serait pas étonnant de voir Enel développer des services Open Data similaires pour des données énergétiques, voire même d’innover sur les offres Open Data.

Reste le cas particulier du Royaume-Uni. Le Brexit remet en question l’investissement des énergéticiens britanniques dans l’Open Data. Majoritairement cadrée par l’Union Européenne, la politique Open Data revient à la main du gouvernement britannique et de Theresa May. Leur position n’est pas encore claire : transparence, développement digital, ou coupe budgétaire… Tant de facteurs à prendre en considération avant d’avoir une politique claire vis à vis de l’Open Data. Dans ce contexte incertain, il est probable que les énergéticiens britanniques vont ralentir voire arrêter un temps leur développement de l’offre Open Data, attendant une politique gouvernementale claire et affirmée.

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