[Décentralisation du système énergétique] La vision de Vincent Fristot (Ville de Grenoble) : « A Grenoble, la décentralisation a commencé depuis longtemps ! »

En 2014, Energystream publiait un grand dossier sur les énergies renouvelables motrices d’une décentralisation énergétique. Nous constations alors que la décentralisation des moyens de production était irrévocablement en marche. Nous percevions que les progrès technologiques et l’ouverture des marchés allaient rapprocher les sites de production des consommateurs.

Aujourd’hui, non seulement la production se décentralise, mais l’ensemble du système énergétique évolue : nous sommes déjà en transition énergétique. Comment cette décentralisation s’opère-t-elle ? Quels en sont les leviers et les freins ? A quelle maille s’organiseront demain production, distribution, consommation ? Quel avenir pour les acteurs historiques ? les nouveaux entrants ? les collectivités ? Afin de mieux comprendre ce mouvement et de nous représenter le monde de demain, nous sommes allés à la rencontre d’acteurs, privés et publics, historiques et émergents. Nous publions à compter d’aujourd’hui et dans les semaines à venir leurs points de vue personnels (ils parlent librement, en leur nom). Ils sont parfois tranchés et toujours sérieux. Nous tenons à les verser au pot de la réflexion citoyenne.

Cette semaine : Vincent Fristot, adjoint au maire de Grenoble (EELV), chargé de l’urbanisme, du logement et de la transition énergétique. Il est par ailleurs président de la SEM GEG (société d’économie mixte Gaz & Electricité de Grenoble). La ville de Grenoble possède en effet, historiquement, son propre service de gaz et électricité (nous reviendrons là-dessus au cours de l’entretien). Vincent Fristot est également docteur ingénieur en électronique et enseignant chercheur à l’INP-Grenoble (Institut Polytechnique de Grenoble).

Grenoble peut être considérée comme une ville pionnière de la transition écologique et sociale. Particulièrement sujette à la pollution de par son encaissement, Grenoble a récemment été le lieu de mesures plutôt consensuelles comme la limitation de vitesse à 30 km/h ou ayant fait polémique comme la réduction du trafic de transit en centre-ville.

 

Quelle définition donnez-vous à la « décentralisation du système énergétique » ?

Je pense qu’il est primordial de s’intéresser au rôle de chacun pour mieux comprendre ce qu’est la décentralisation du système énergétique.

Chez nous, avec GEG, la fourniture d’énergie ainsi que la gestion des réseaux (distribution) sont déjà décentralisées. Les collectivités territoriales ont entre leurs mains toute la partie aval de la question énergétique, même si certaines le découvrent seulement maintenant. Elles doivent s’en saisir et développer une compétence forte. Elles vont devoir planifier leurs investissements et organiser leurs aménagements en investiguant un champ très large qui va de la qualité du service à la gestion des réseaux et leurs interfaces (méthanation par exemple).

 

Quels sont les leviers qui permettent / permettront la décentralisation énergétique ?

Comme je viens de l’expliquer, je suis persuadé que ce sont les collectivités et/ou les métropoles qui détiennent les clefs de la décentralisation.

Prenons l’exemple que je connais le mieux, celui de la métropole grenobloise. Depuis sa création, le 1er janvier 2015, un transfert des concessions électriques, de gaz et de chaleur s’est opéré.

Désormais, la métropole gère donc l’ensemble des volets distribution, mais pas uniquement. Notre ambition affichée de devenir un territoire à énergie positive se traduit aussi par un volet production en pleine croissance. Cela passe par la valorisation des énergies locales, à savoir le solaire, bien entendu, mais également l’hydraulique (historique à Grenoble) et l’éolien (bien qu’il y ait peu de gisements à Grenoble et dans les territoires voisins).

La production d’énergie renouvelable est donc le premier levier important de la décentralisation.

Le levier politique est également central. La transition énergétique doit être prise en compte dans les choix d’aménagement de la ville. Les énergies renouvelables sont à envisager soigneusement. Par exemple, le choix de la géothermie (pompes à chaleur) peut impacter les nappes phréatiques. Dans ses choix, le politique peut privilégier le rafraichissement plutôt que la climatisation, etc.

Cette politique voulue par la ville se matérialise notamment sur la presqu’île, via l’îlot démonstrateur Cambridge.

 

Justement, pouvez-vous nous parler un peu plus des expérimentations menées sur cette presqu’île ? Comment permet-elle d’ancrer la transition énergétique au cœur de la politique d’aménagement de la métropole ?

Pour l’aménagement de cet îlot, une profonde réflexion a été menée sur la gestion de la mobilité et des ressources énergétiques. Aménagé par la société d’économie mixte InnoVia pour le compte de la Ville de Grenoble, il est le lieu de nombreuses innovations. Les bâtiments y sont très performants énergétiquement (RT2012 moins 30%, là où l’objectif d’efficacité énergétique inscrit dans le PLU est de RT2012-20% sur l’ensemble de la Ville de Grenoble), mixtes (logements & commerce), intergénérationnels, flexibles et intelligents [1].

L’autre expérimentation, sur cet îlot, concerne la prise en compte de la flexibilité de la consommation. Il s’agit là d’un enjeu énorme, dont l’importance est grandissante. Cette flexibilité dépend du dimensionnement des réseaux et aussi du mix énergétique : comment adapter la demande à la production instantanée ? Comment limiter les pics de consommation et donc de production d’appoint à partir de sources fossiles ? Il y a un véritable enjeu en termes d’investissement et de bilan carbone. Sur la presqu’île, nous disposons de plus de 2 Mégawatt de pompes à chaleur pour les usages de chauffage et d’eau chaude sanitaire, délestables sans impact sur la clientèle. Les capacités de stockage d’eau chaude ont été dimensionnées pour répondre à ces besoins. Le travail mené par InnoVia fut donc à la fois technique, hydraulique et environnemental.

Pour revenir à mon idée de départ, j’insiste véritablement sur le fait que le lien entre la politique d’aménagement et la politique énergétique est des plus importants.

L’objectif pour la ville, c’est de mettre ainsi en place un plan Air Energie Climat (PCAET) pour garantir que nos investissements sont intéressants et notre ligne d’action efficace. Nous disposons du pilotage et des tableaux de bord nécessaires à cela. Nous sommes d’ailleurs lauréats du label Cit’ergie [2] qui récompense les communes et intercommunalités qui s’engagent dans une amélioration continue de leur politique énergétique en cohérence avec des objectifs climatiques ambitieux.

 

Au regard de ces leviers, à quelle échéance pouvons-nous espérer basculer concrètement vers un système énergétique décentralisé ?

A Grenoble, la décentralisation est indéniablement en cours !

Déjà, puisque Gaz & Electricité de Grenoble existe [3]. Mais pas seulement. Dans le cadre de projets européens, nous avons ainsi travaillé sur la question de la demande d’énergie. Pour faire un vrai plan climat, il faut en effet placer la question de la réhabilitation des bâtiments existants au cœur de la réflexion, au même titre que les questions de mobilité.

Nous avons également développé une interface qui permet aux Grenoblois de visualiser toutes leurs consommations de fluide (eau, chauffage, gaz et électricité) sur une seule page et disposer ainsi d’un pilotage de leur consommation. Cette solution « Vivacité », développée par GEG & Atos, va prochainement être mise en place. Elle intervient dans le cadre de l’émergence des compteurs communicants.

Ces outils rendent la décentralisation tangible. L’affichage instantané, au même titre que le compteur indiquant la consommation de carburant dans une voiture, doit agir sur le comportement du consommateur.

Pour autant, nous pourrions aller encore plus loin dans le pilotage aval de la consommation. Si Linky présente des avantages économiques et de sécurité non négligeables, il existe à l’étranger des solutions encore plus disruptives.

 

Selon vous, c’est donc la maille locale, métropolitaine qui est la plus pertinente pour nous mener vers cette décentralisation ?

Oui, je peux le dire d’autant plus que c’est cette maille, par ma fonction élective, que je connais le mieux. Le local est la meilleure échelle pour gérer la distribution énergétique et disposer de moyens efficaces de contrôle.

Mais la maille régionale est aussi très importante. Les régions se sont par exemple dotées de schémas stratégiques intéressants (SRADDET [4]). Le niveau régional est notamment important dans la production et la gestion de l’éolien.

 

Pour vous, les acteurs énergétiques sont amenés à évoluer ? Imaginez-vous un nouveau panorama d’acteurs ?

L’autoproduction photovoltaïque va nécessairement bouleverser le panorama actuel. On peut sans aucun problème imaginer des acteurs à la fois producteurs et consommateurs, qui s’échangent de l’énergie sur un périmètre restreint.

Cette décentralisation, en cours, va donc conduire à une multiplication du nombre d’acteurs, en plus de ceux spécifiques à l’électricité (acteurs d’équilibre, de capacité) dont le rôle est bien entendu amené à évoluer.

Prenons l’exemple du biogaz. Nous avons une première unité de réinjection dans le réseau gaz sur le site de la station d’épuration de la métropole [5]. Cette filière, au potentiel énorme, replace les gestionnaires de l’eau au cœur des acteurs énergétiques.

 

Par conséquent, quel jeu d’acteurs imaginez-vous ? Qui va pousser à cette décentralisation ? A l’inverse qui freine sa mise en place ?

Les nouveaux acteurs sont logiquement ceux qui cherchent à bouleverser le secteur. Les acteurs historiques peuvent freiner mais ils risquent s’ils restent inactifs. Certains acteurs devront se confronter aux nouvelles règles, aux nouveaux fonctionnements. Cela passera peut-être par plus de spécialisation.

Une chose est sûre, on s’éloigne du réseau traditionnel et du fonctionnement en « château d’eau » hérité du siècle dernier.

La voie de la décentralisation énergétique est, à mes yeux, la seule possible pour engager la transition énergétique basée sur les renouvelables, et mettre en œuvre les principes adoptés lors de la COP21 en décembre 2015 à Paris.

 

Interview du 13 janvier 2017

 

[1] http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Grenoble_AM-_Logo_Metropole.pdf

[2] http://www.citergie.ademe.fr/

[3] GEG n’opère que sur la ville de Grenoble. La distribution d’électricité et de gaz pour le reste de la métropole (les 48 autres communes) est concédée respectivement à Enedis et GRDF. Pour plus d’informations : https://groupe.geg.fr/64-notre-histoire.htm

[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Sch%C3%A9ma_r%C3%A9gional_d’am%C3%A9nagement,_de_d%C3%A9veloppement_durable_et_d’%C3%A9galit%C3%A9_des_territoires

[5] http://www.lametro.fr/617-station-epuration-aquapole.htm

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