La transition agricole au service de la transition énergétique – Entretien avec Pierre CUYPERS, Sénateur.

Nous avons rencontré Pierre Cuypers, sénateur de Seine et Marne, ancien maire d’Aubepierre-Ozouer-le-Repos et dirigeant d’une exploitation agricole céréalière depuis 1965. Il a occupé de nombreuses fonctions au sein d’instances du monde agricole, dont la présidence de la Fédération Départementale des Syndicats d’Exploitants Agricoles (FDSEA) pendant 13 ans et la présidence de la Chambre d’Agriculture de Seine-et-Marne pendant 10 ans. Il était également membre du conseil économique, social et environnemental régional Île-de-France, où il présidait la commission Agriculture, Environnement et Ruralité.

Dans cet entretien, il nous a exposé sa vision sur la place du monde agricole dans la transition énergétique et du dialogue qui lie ces deux mondes, l’avenir des biocarburants, le financement de la recherche sur les ENR, et la place de l’énergie au sein du débat public.

 

Energystream (ES) : Quelle est votre vision du mix énergétique de demain ?

Pierre Cuypers (PC) : Le mix énergétique nous permet d’évoluer vers une dynamique plus vertueuse de développement. Ce bouquet énergétique, comme le disait Nicole Fontaine, est un ensemble rassemblant des énergies telles que le nucléaire, le solaire, la biomasse et l’hydrogène.

Je crois à toutes les énergies à partir du moment où elles sont judicieusement placées et économiquement rentables, et je souscris à ce que dit le Président de la République à propos de la nécessité de penser la politique énergétique française dans une logique de stratégie adaptative et non de pari pascalien. Il faut en effet répartir les risques, être mobile entre toutes les énergies et n’en renier aucune. Des éoliennes bien placées, pourquoi pas, à condition que cela ne gâche pas le paysage. Quant à l’ambition de réduire de 50% le parc nucléaire, pourquoi pas, mais il faut réfléchir d’abord aux solutions de remplacement de cette énergie. La méthanisation suffira-t-elle, par exemple ? Ou faudra-t-il repenser l’accompagnement du développement d’énergies nouvelles comme pour le photovoltaïque ?

 

ES : L’agriculture apparaît comme un secteur intrinsèquement lié à la transition énergétique. Vous exprimez vous-même une volonté forte de redonner à l’agriculture française des moyens de compétitivité. La transition énergétique est-elle le moyen d’appuyer la transition agricole ?

 

PC : Le monde agricole, dont la vocation est d’alimenter l’humanité et le monde animal, s’est toujours adapté. Nous le constatons de manière évidente : nous produisons aujourd’hui mieux et plus grâce à la mécanisation et à la génétique. Un exemple parmi d’autres est la betterave. La génétique a permis de travailler sur la forme de la betterave, permettant de passer de 5000 litres d’eau pour laver une tonne de betterave dans les années 1930 à 15 litres aujourd’hui.

Nous avons en France la chance d’avoir des filières agricoles intelligentes et volontaires qui investissent des moyens conséquents dans le développement de nouvelles techniques et de nouvelles énergies, telles que les carburants alternatifs que sont les biocarburants. Notons que les carburants alternatifs représentent les seules énergies liquides pouvant se substituer au pétrole conventionnel. Ils permettent aussi de réduire de près de 70% les émissions de gaz à effet de serre lorsqu’ils sont associés au gazole et à l’essence. Et, ce sont des énergies disponibles qui ne nécessitent pas systématiquement de consommer de l’espace agricole supplémentaire puisqu’elles peuvent également être produites à partir de cultures intermédiaires. En ce sens elles n’impactent donc pas notre capacité à nourrir la population. En effet, aujourd’hui nous utilisons des plantes pour produire de l’alimentation animale locale (protéines) afin d’éviter de dépendre d’autres pays d’une part, mais aussi afin d’avoir un bilan carbone négatif associé à des transports considérables d’autre part. Au début du siècle dernier déjà, près du tiers de la production agricole était utilisée à des fins énergétiques pour faire fonctionner l’entreprise de l’agriculture. La production de biocarburants n’est donc qu’un autre moyen de produire de l’énergie à partir de l’agriculture.

Aujourd’hui on incorpore 7% de biocarburants dans l’ensemble des carburants et ce nombre devrait pouvoir monter à 10%. Ils représentent donc d’une part un débouché pour le monde agricole puisque c’est un produit à forte valeur ajoutée pour les agriculteurs, et d’autre part, un moyen de production d’énergie allant dans le sens d’une mobilité plus vertueuse qui nous rend indépendant du pétrole et donc moins vulnérables, notamment vis-à-vis des conflits mondiaux.

 

Nota : Définition de termes

Les carburants alternatifs : ils représentent les solutions alternatives aux carburants conventionnels : biocarburants, GNV, carburants de synthèse, etc.

Les biocarburants : aussi appelés agro-carburants, sont issus de la transformation de différentes cultures. Ils sont principalement utilisés pour le transport.

Le biogaz : aussi appelé gaz vert, est une énergie obtenue à partir de la fermentation naturelle de matières organiques (matières premières agricoles, décharges, stations d’épuration, etc.). Une fois épuré, le biogaz permet d’obtenir du biométhane, qui peut alors être utilisé à des fins énergétiques ou de mobilité (ex : bio-GNV)

 

ES : Où en sommes-nous en termes de compétences techniques et de développement de ces carburants ?

PC : La 1ère génération de biocarburants n’est pas encore aboutie et nous parlons déjà de 2ème voire de 3ème génération. La 2ème génération sera liée à l’utilisation de la plante entière. Bien que nous sachions faire des carburants de 2ème génération sur le plan technique, ces solutions ne sont pour le moment pas viables économiquement. Le travail continue donc sur ce point, en parallèle du travail sur la 1ère génération. Certaines filières françaises se développent particulièrement, comme la filière de l’éthanol. A titre d’information, il y a actuellement environ 1000 stations-services françaises proposant des pompes à éthanol et les boîtiers de conversion permettant de rendre un véhicule FlexFuel bénéficient depuis 2017 d’un cadre réglementaire précis et sûr.

Les biocarburants représentent selon moi une étape dans notre utilisation des plantes et il n’est pas exclu que demain, nous parvenions à donner aux plantes une valeur ajoutée autre que d’être brûlées dans les moteurs, par exemple pour la production de plastiques biosourcés ou de cosmétiques, auquel cas cela serait aussi une utilisation intéressante des techniques développées jusqu’ici.

En tout état de cause, ces progrès sont rendus possibles grâce à la volonté des acteurs mais nécessitent également un accompagnement politique. Or nous sommes dans un système de plus en plus compliqué et sur-normalisé, notamment car nous souhaitons être très vertueux par rapport aux normes européennes, ce qui entraîne une perte de compétitivité conséquente.

Nota : Les différentes générations de biocarburants

La 1ère génération : les biocarburants sont issus de la transformation de produits agricoles (à partir de la partie utile de la plante). Il existe deux filières principales : la filière éthanol (mélangé à de l’essence) et la filière huile (mélangée au diesel).

La 2ème génération : les biocarburants sont issus de la transformation de résidus agricoles (donc de déchets) et offrent aussi la possibilité de produire de l’éthanol ou du gazole/diesel.

La 3ème génération : la photosynthèse des algues permet de transformer le CO2 en graisses qui sont ensuite transformées en biodiesel.

 

ES : Vous évoquez la nécessité d’un accompagnement politique. Quel rôle l’Etat peut-il jouer dans ce contexte ? Quelles vont être les évolutions législatives et réglementaires nécessaires pour y arriver ?

PC : L’un des leviers d’action les plus importants est lié à la fiscalité. Toute énergie nouvelle a besoin d’un accompagnement pour son développement. A titre d’exemple, nous avons tous contribué à travers nos impôts au développement du nucléaire. Pour les biocarburants, nous avons eu des avoirs fiscaux qui ont permis, lors de leur phase de développement, de les rendre aussi accessibles que les énergies fossiles. Toutes les énergies en développement et nouvelles ont un coût et il faut l’assumer collectivement.

Il faut aussi soutenir ces énergies en proposant des prix de rachat satisfaisants. Cela permettra notamment de soutenir des projets aux coûts conséquents. C’est par exemple le cas de la méthanisation, puisqu’on estime le coût d’un projet à environ 3 ou 4 millions d’euros.

D’autre part, il est important de placer les énergies au cœur du débat public, afin que le législateur saisisse pleinement tous les enjeux, les spécificités et les subtilités associés à chaque énergie, leurs avantages et leurs contraintes. La méconnaissance du sujet a par exemple impacté, selon moi, la discussion sur la réduction de TVA appliquée aux véhicules de société hybrides puisque l’amendement que j’avais déposé dans le cadre du projet de loi relatif aux hydrocarbures proposant d’inclure les biocarburants, qui sont aussi vertueux que le gaz et l’électricité, n’a pas été retenu. Ce même manque de compréhension impacte aussi les énergies nouvelles puisque l’on s’aperçoit que les démarches administratives freinent leur développement, comme par exemple les énergies renouvelables en mer.

Ce débat est par ailleurs nécessaire car il permettra de mieux saisir la vulnérabilité qui est la nôtre et les défis auxquels nous faisons face. Nous souhaitons rouler à l’électrique et en même temps fermer les centrales nucléaires. Nous parlons de plus d’énergie solaire mais ne disposons pas nécessairement d’un ensoleillement idéal. Nous désirons développer les énergies éoliennes mais faisons face à d’autres défis environnementaux.

Le financement est aussi un élément essentiel. Nous devons financer la recherche de manière adéquate afin d’étudier toutes les pistes, et, si certaines s’avèrent n’être économiquement pas intéressantes, les abandonner. La pile à combustible (PAC) est par exemple une technologie intéressante selon moi. En effet les services et commodités développés au niveau des véhicules peuvent consommer jusqu’à la moitié de l’énergie du véhicule. Pourquoi ne pas réduire cette consommation via une PAC embarquée fonctionnant elle-même avec de l’alcool, qui pourrait être produit sous forme de biocarburant ?
En d’autres termes, il ne faut pas s’interdire de chercher, et accompagner les projets tout au long de leur développement. La région Ile de France fait beaucoup d’efforts pour financer la recherche, dans le sillage de la démarche du Président Jacques Chirac et les pôles de compétitivité, qui ont été une chance pour la recherche française.

Pour conclure, je suis confiant quant à l’avenir de l’énergie. Si je puis le dire ainsi, nous sortons de la préhistoire en matière d’imagination relative à l’énergie pour arriver dans une époque où nous allons potentiellement trouver de l’énergie partout. Il s’agit ensuite de se concentrer sur les énergies positives et les appliquer au plus grand nombre de cas. Je pense notamment au monde urbain, spécifiquement aux bâtiments à énergie positive. Pourquoi ne pas envisager des éoliennes verticales sur les toits qui produiraient l’énergie nécessaire à la Tour sur laquelle elles se trouvent ?

 

 

Les 5 points clé à retenir :

  • La politique énergétique française doit être pensée dans une logique de stratégie adaptative afin de limiter les risques et de permettre une certaine mobilité entre les énergies.
  • La transition agricole s’inscrit pleinement dans la transition énergétique et offre de nombreuses pistes vers une énergie plus vertueuse.
  • Chaque énergie nouvelle a un coût, l’Etat doit accompagner le développement des énergies nouvelles à travers une fiscalité et un environnement normatif plus favorables
  • Le financement de la recherche doit être conséquent afin de permettre de plus grandes avancées dans le domaine énergétique.
  • Donner une place centrale à l’énergie au cœur du débat public permettra aux différents acteurs d’en saisir les spécificités et enjeux

 

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