Le gaz, une énergie et un vecteur énergétique incontournables pour une transition énergétique économique, solidaire et respectueuse de l’environnement – Entretien avec Philippe Madiec, directeur Stratégie Régulation chez GRTgaz

Dans le contexte actuel de transformation du paysage énergétique en France et en Europe, le rôle du gaz ainsi que sa place au sein du mix énergétique sont au cœur des débats. Acteur important du système de transport gazier international, GRTgaz exerce ses activités dans un cadre régulé, tant au niveau national qu’européen. Philippe Madiec, directeur de la stratégie régulation au sein de GRTgaz, nous a exposé sa vision du mix énergétique et la façon dont cet acteur majeur s’inscrit dans les grandes évolutions du secteur. 

 

Evolution du Mix énergétique et de la place du gaz dans le mix énergétique

EnergyStream (ES) : Le paysage énergétique européen est en pleine transformation. Une transformation initiée par Bruxelles mais aussi au sein des Etats membres. Quelle est votre vision du mix énergétique de demain ? Comment le gaz s’inscrit-il dans ce mix énergétique

Philippe Madiec : Tout d’abord, il convient de rappeler qu’aujourd’hui la consommation de gaz est équivalente à celle d’électricité en France, avec près de 500 TWh, dans des secteurs aussi variés tels que l’industrie, le résidentiel, le tertiaire et dans une moindre mesure, la production d’électricité. Utilisée principalement pour le chauffage elle est caractérisée par une forte modulation, entre l’été et l’hiver. La consommation journalière peut ainsi être 6 fois plus importante en hiver qu’en été. A la pointe (durant des périodes climatiques très froides) la puissance appelée en gaz est plus élevée que celle appelée en électricité. Le pic de consommation date du 8 février 2012 avec une puissance appelée en gaz de 159 GW alors qu’elle était de 102 GW en électricité.

Malgré cette place prépondérante dans le mix énergétique, le gaz est finalement peu présent dans les débats sur l’énergie ; comme si la transition énergétique devait se résumer à la production d’électricité, un sujet certes important, mais qui ne satisfait jamais que 25% de la consommation d’énergie en France.

A l’avenir l’accroissement de l’efficacité énergétique des équipements nous amène à penser que la consommation énergétique va très probablement reculer, et la consommation de gaz aussi, au moins pour les usages traditionnels.

Le gaz devrait cependant conserver une place importante dans le mix énergétique, à moyen terme mais également à long terme. En effet le gaz naturel est la moins polluante des énergies fossiles et elle peut donc se substituer avantageusement pour le climat et pour l’environnement au charbon et aux produits pétroliers, en particulier dans la mobilité. Le développement des gaz renouvelables sur une large échelle devrait permettre de démultiplier la réduction des émissions de CO2 et de stocker et valoriser l’électricité renouvelable intermittente.

Au-delà de ces aspects, l’utilisation  du gaz s’accompagne de nombreuses autres externalités positives puisque le biométhane s’intègre dans l’économie circulaire et renforce l’éco-agriculture, tandis que la gazéification permet de limiter les émissions de particules fines, dont l’impact sur la santé est jugé à juste titre de plus en plus préoccupant.

Aujourd’hui nous avons la possibilité de faire soit plus d’électricité, soit autant d’électricité et plus de gaz renouvelable. Conserver une part significative de gaz dans le mix énergétique permet également de bénéficier des infrastructures existantes, économiques et performantes alors que se tourner vers le tout électrique, si tant est que cela soit possible au vu de la modulation et de l’acceptabilité sociétale, du passage de la pointe et de la sécurité d’approvisionnement, imposerait rapidement de développer les infrastructures électriques.

 

ES : GRTgaz affirme que le gaz représente un excellent complément aux énergies renouvelables intermittentes et un bon substitut aux énergies les plus polluantes. Le gaz doit-il être considéré comme une énergie de transition ou une énergie du futur ?

PM : En fait le gaz est une énergie qui se réinvente sans cesse. Notre campagne de communication le dit très bien. C’est l’énergie des possibles. En effet le gaz naturel est la moins carbonée des énergies fossiles et de plus il n’émet pas de particules fines. Il convient de rappeler que les particules fines sont à l’origine de 48 000 morts par an en France selon l’agence Santé Publique France. Il a donc toute sa place pour réduire rapidement et massivement les émissions polluantes et améliorer notre environnement. Pour aller vers un univers décarboné le gaz renouvelable devient un vecteur énergétique déterminant.

D’abord son potentiel est important ; une étude de l’ADEME publiée en début d’année identifie un potentiel de 460 TWh de gaz renouvelable injectable dans les réseaux en 2050, sans concurrence avec les besoins alimentaires ou de matières premières. Ce gaz serait produit par méthanisation et pyrogazéification de la biomasse ou par méthanation, pour un coût de production comparable à celui de l’électricité renouvelable.

Ensuite parce que le vecteur gaz est le seul vecteur énergétique qui peut se stocker longtemps et pour des volumes importants ; il peut ainsi répondre à la modulation forte de la consommation énergétique liée à l’usage chauffage notamment, mais également à terme à la valorisation de l’électricité renouvelable intermittente. Cette dernière sera produite majoritairement l’été alors qu’elle sera consommée pendant l’hiver pour l’usage thermique dans le résidentiel et le tertiaire. À ce jour, seul le Power to Gas permet de stocker massivement l’électricité renouvelable sur plusieurs mois.

Enfin un système énergétique doit être en mesure de faire face à toute sorte d’aléa (climatiques, techniques, …). Du fait du caractère compressible et stockable de gaz et de la puissance des infrastructures gazières (un terminal méthanier peut faire varier ses émissions de 50 % en deux heures), le système gazier constitue une sorte d’assurance indispensable pour le système énergétique.

 

Cleaner, smarter, closer & wider

 ES : Nous observons une transformation profonde du secteur de l’énergie, selon trois axes structurants : plus durable, plus intelligent et plus local dans un environnement mondial. Cela prend notamment les formes d’un développement soutenu des énergies renouvelables, de l’avènement progressif des smart grids et de la multiplication d’initiatives territoriales et citoyennes comme en témoigne l’apparition des consom’acteurs. Quelle est votre vision concernant la montée en puissance des territoires ? Quel sera l’impact sur la chaîne de valeur du gaz ?

 PM : L’émergence de systèmes de production décentralisée d’énergie et l’attente citoyenne d’une économie circulaire sur des boucles plus courtes rendues possible notamment par la digitalisation, milite pour une plus grande prise en compte des spécificités territoriales dans l’évolution du mix énergétique. Les régions ont d’ailleurs un rôle renforcé en la matière avec la charge d’élaborer un « schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires ». Cette organisation est certainement de nature à tirer le meilleur parti de toutes les potentialités énergétiques locales.

 Néanmoins nous ne devons pas penser les régions et les territoires comme totalement indépendantes les uns des autres. En effet, certaines régions seront plus consommatrices que productrices. Certains territoires seront plus sensibles que d’autres à certaines conditions climatiques (vent, soleil, …). La réponse optimisée à la modulation des consommations, la sécurité d’approvisionnement appellent à une gestion mutualisée des ressources de flexibilités et à une solidarité des territoires. Il s’agit donc de travailler collectivement afin que la décentralisation permette une meilleure expression des potentiels locaux tout en conservant une utilisation optimale des infrastructures existantes pour la collectivité, tant au niveau local, national qu’européen.

 

Transition agricole

ES : La transition agricole s’inscrit pleinement dans la transition énergétique. Quel lien existe-t-il, selon vous, entre ces deux sujets ? Identifiez-vous certains risquent associés, tels que la captation potentielle de la transition énergético-agricole par la grande distribution, ce qui pourrait désapproprier les agriculteurs de leur richesse agricole ?

Au vu du potentiel de biomasse méthanisable et gazéifiable, le monde agricole et plus largement les acteurs des filières biomasse sont amenés à jouer un rôle de plus en plus important dans le paysage énergétique. Le nombre d’unités de production de biométhane en projet s’est d’ailleurs accru en 2017 (131 nouveaux projets dans le registre de capacités contre 76 en 2016), mais cette dynamique reste encore trop faible au regard du potentiel et des bénéfices de la filière. L’ADEME souligne par exemple dans son étude de janvier 2018 que « la méthanisation permet de mieux gérer la fertilisation en valorisant mieux l’azote organique permettant la réduction des apports azotés ». Le biométhane constitue par ailleurs une nouvelle source de revenus pour les exploitants agricoles.

Le Gouvernement s’est d’ailleurs saisi du sujet avec la mise en place en début d’année d’un groupe de travail (GT Méthanisation) qui réunissait tous les acteurs de la filière, notamment les agriculteurs et les collectivités territoriales. Une quinzaine de mesures aptes à faciliter le développement de la filière biométhane a été identifiée. Ce sont des signaux positifs qu’il conviendrait de compléter par une ambition de production de gaz renouvelables revue à la hausse à l’horizon 2028 ou 2030 (elle est de 10% de la consommation à l’horizon 2030 dans la LTECV). 30 % de gaz renouvelables en 2030 serait une ambition raisonnable au regard du potentiel disponible, cohérente avec une forte proportion de gaz renouvelable en 2050, permettant d’éviter l’émission de 17 Mt de CO2.

Concernant l’organisation de la filière, il me semble important qu’elle se structure au mieux de manière à assurer un développement rapide et durable de la production du biométhane.

 

Clean Energy Package

 ES : En Novembre 2016, la Commission européenne a présenté le « Clean Energy Package » (CEP) ou « Paquet d’hiver » dans le but de faciliter la transition énergétique et d’encadrer les évolutions du secteur pour les prochaines années. Quel est votre vision du CEP ? Comment peut-il contribuer à la création d’une Union de l’Energie ?

PM : Bien que certaines réflexions relatives au secteur gazier aient été initiées, notamment au sujet des énergies renouvelables, le CEP traite à ce stade essentiellement de l’électricité. En marge de ces réglementations, la Commission européenne engage une réflexion sur l’adaptation du cadre réglementaire qu’il conviendrait d’apporter dans le domaine gazier. Nous percevons d’ailleurs de manière plus générale une évolution au sein de la Commission. Alors qu’elle centrait son action dans le domaine de la logistique gazière sur une intégration plus forte des marchés et sur les interconnexions transfrontalières, l’attention se porte dorénavant également sur les conditions d’accélération de la transition énergétique via le gaz et les infrastructures gazières. Les modalités de prise en compte de ces sujets restent cependant à éclairer au niveau européen.

Au-delà de la logistique gazière, la place du gaz se pose au niveau européen de la même façon qu’elle se pose sur les territoires nationaux. Le biométhane s’est développé rapidement en Allemagne et semble suivre la même trajectoire en Italie. Néanmoins il a des difficultés à exister au niveau européen.  On peut signaler à cet égard plusieurs études en Europe comme en Allemagne montrant la pertinence économique d’un mix incluant une part significative de gaz renouvelable. L’étude « Gas for Climate » par exemple démontre qu’un mix énergétique composé de gaz renouvelables au niveau européen couterait environ 140 G€ par an de moins qu’un mix totalement électrique.

Il convient donc d’amplifier collectivement nos efforts au niveau européen pour développer le biométhane et permettre par des actions de recherche et développement l’émergence de la pyrogazéification, du gaz produit à partir d’algues, du Power to Gas ainsi que le Captage et Stockage ou Usage du Carbone (Carbon Capture and Storage/Usage – CCS ou CCU). Il faut noter l’initiative lancée il y a quelques mois en Norvège de développer le stockage de CO2 à grande échelle. La Commission européenne a l’opportunité d’aider au financement de ces projets de recherche traitant de ces nouvelles technologies, mais également de créer le cadre réglementaire favorable à leur développement ; en donnant par exemple une existence réglementaire au gaz synthétique.

A cela s’ajoute la nécessité d’aller plus loin dans l’optimisation des réseaux autour de la convergence gaz et électricité. Cette convergence va s’accroître, via notamment le Power to Gas. Il devient en effet indispensable dans la perspective de la neutralité carbone d’optimiser le fonctionnement des systèmes en tirant au mieux parti des caractéristiques de chacune des infrastructures. Nous travaillons collectivement pour traduire cette convergence et cette complémentarité des réseaux, avec RTE en France mais également au niveau des associations européennes de transporteurs de gaz et d’électricité.

 

Stratégie de GRTgaz

 ES : A ce propos, la conviction de GRTgaz est que le gaz et ses infrastructures joueront un rôle essentiel pour relever les défis liés à la transition énergétique. Comment GRTgaz s’inscrit-elle dans les grandes évolutions liées à celle-ci ?

PM : La volonté de GRTgaz est de mettre les infrastructures, en particulier les infrastructures de transport de gaz, au service de la transition énergétique, en France comme en Europe. Nous souhaitons accompagner et aider à l’émergence de l’ensemble des filières de production de gaz renouvelables, biométhane, hydrogène et méthane de synthèse, au niveau national et européen. Pour ce faire nous sommes à l’initiative pour construire des démonstrateurs, comme Jupiter 1000 dans le sud de la France pour le Power to Gas. Notre rôle, consistera demain à  acheminer un gaz de plus en plus renouvelable, mais également à assurer la logistique (acheminer au bon endroit au bon moment) d’un vecteur énergétique gazeux issu de différentes filières décarbonées, au bénéfice de l’ensemble du système énergétique.

 

D’autres paroles d’experts sur les thématiques énergétiques :

·         Politique énergétique francilienne – Rencontre avec Jean-Jacques Guillet, Président du Sigeif

·         Le Paquet d’Hiver de l’Union européenne

·         La troisième révolution énergétique selon Nicolat Hulot

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