Les véhicules électriques vont-ils faire « sauter » les réseaux en France ?

Le cap symbolique des 150 000 immatriculations dans le parc français de véhicules électriques à batterie (VEB) a été franchi en 2018[1]. Le parc de véhicules électriques (VE) s’élève à un total de 218 347 dont 175 707 VEB en 2019.

Ce chiffre est en constante progression et positionne la France comme un des premiers marchés de l’électrique au niveau européen, où 500 000 VEB étaient recensés en 2017. Néanmoins, il s’agit toujours d’une proportion marginale du parc automobile français (0,4%) : composé de 39 millions de voitures, majoritairement essence et diesel.

Le réseau d’infrastructures de recharge de véhicules électriques (IRVE) se développe rapidement en France, avec un total de 193 000 points de charge recensés par l’Observatoire de la mobilité électrique de Enedis en octobre 2018[2]. Le nombre de points de charge est déterminant pour le développement du VE, mais leur répartition sur le territoire et le type de bornes (lente, rapide, ultra-rapide) priment encore plus. Cette implantation est aujourd’hui très inégale en France avec un risque de développement de « zones blanches », à l’instar de ce que l’on peut connaître dans la téléphonie mobile. On compte 1 point de charge pour 0,8 VE mais seulement 1 sur 7 est accessible au public.

Les ventes de VE s’accélèrent en France, stimulées par les efforts des constructeurs, qui tentent de satisfaire les exigences réglementaires en termes de réduction des émissions de CO2 et d’interdiction du diesel.

En parallèle, les pouvoirs publics européens et français traduisent dans la loi leur ambition de garantir la recharge des VE, tout en optimisant la sollicitation des infrastructures et la consommation électrique (Directive 2014/94/UE sur le déploiement d’une infrastructure pour carburants alternatifs, Parlement Européen et Conseil Européen, 2014 [3]; Décret n° 2017-26 du 12 janvier 2017 relatif aux infrastructures de recharge pour véhicules électriques et portant diverses mesures de transposition de la directive 2014/94/UE [4]). 

A travers cet article, nous allons nous interroger sur les enjeux de l’intégration d’un nombre croissant de VE sur les réseaux électriques français : quels sont les impacts déjà constatés et ceux anticipés ?

 

Quels sont les enjeux de l’intégration de la mobilité électrique sur les réseaux électriques ?

Théoriquement, un nombre croissant de VE en circulation implique une hausse de la demande d’électricité puisque la recharge de la flotte introduit une charge supplémentaire sur les réseaux. Cette dernière pourrait éventuellement entraîner un déséquilibre entre production et consommation. En fonction du comportement des charges rajoutées (capacitives ou inductives) que représentent les VE, une influence sur la fréquence serait également à anticiper. Trois enjeux découlent de l’intégration du VE sur les réseaux :

  • S’adapter à la structure du système électrique largement centralisée,
  • Anticiper le dynamisme du marché des véhicules électriques et leur répartition sur le territoire,
  • Accompagner les automobilistes : le véhicule électrique impose des comportements adaptés.

S’adapter à la structure du système électrique largement centralisée

Le développement de la mobilité électrique ne doit pas dégrader la qualité générale de la fourniture d’électricité, ni aller à l’encontre de la sécurisation de l’approvisionnement du système électrique français. Cet équilibre implique trois enjeux :

Anticiper le dynamisme du marché des véhicules électriques et leur répartition sur le territoire

La flotte de VE à long terme est conditionnée en partie par le dynamisme du marché des VE. Les constructeurs automobiles réticents à l’électrique se font de plus en plus rares. La majorité a choisi d’adapter son offre en développant des gammes dédiées aux VE et d’y associer une forte communication. Les automobilistes disposent ainsi d’une offre croissante et toujours plus variée, une condition importante pour dynamiser les ventes. Au-delà du nombre, c’est la concentration de VE sur certaines zones (zone urbaine dense, flotte 100% électrique d’une entreprise…) qui va être à surveiller de près. C’est bien la maîtrise de l’impact du VE sur les pics de consommation d’électricité, notamment celui du soir, qui est en jeu. Même si la quantité d’énergie à la maille nationale est disponible, ce sont les appels de puissance à la maille locale qui vont être dimensionnants.

Accompagner les automobilistes : le véhicule électrique impose des comportements adaptés

L’ampleur de l’impact sur le réseau dépendra de la capacité des automobilistes à adopter massivement ou non l’électrique et de leur comportement pour recharger leur VE. En effet, le profil horaire et le lieu de charge jouent un rôle clé : le matin, la journée, en soirée ou la nuit ; à domicile, dans un espace public ou au sein de son entreprise. A titre d’illustration, il serait préférable que les véhicules chargent la nuit, durant les heures creuses, au cours desquelles l’électricité est moins chère à produire et moins carbonée, plutôt que lors du pic de 20h. Le créneau de l’heure du déjeuner, où un certain nombre de Français rentrent à leur domicile, pourrait être aussi une plage privilégiée. La peur de la « panne d’électricité » incite déjà les automobilistes à adopter un comportement prudent, en laissant par exemple brancher leur VE, même si la charge est complète. Ce temps « excessif » que passent les VE branchés est un point positif, qui pourrait être utilisé pour maintenir l’équilibre sur le réseau en pilotant la recharge de façon centralisée.

Par ailleurs, les modalités de recharge existantes sont très hétérogènes : la fourniture de puissance est très variable d’une borne à une autre. L’impact sur le réseau sera lié à la technologie prédominante dans les usages et à la composition de la flotte de véhicules : électrique à batterie, hybride ou encore hybride rechargeable.

Quelle est l’influence constatée sur les réseaux électriques français ?

Si l’on regarde le sujet sous l’angle de la quantité d’énergie produite en regard de celle consommée, et de la capacité installée, le nombre de véhicules électriques aujourd’hui en circulation en France ne génère qu’un faible impact sur les réseaux électriques.

La consommation des VE est variable en fonction de l’usage et de la vitesse : elle est comprise entre 13 et 20 kWh pour 100 km, soit 0,17 kWh/km en moyenne [5]. Selon l’INSEE, 13 264 km sont parcourus en moyenne par an par les voitures particulières (2016). Compte tenu de ces hypothèses, une voiture électrique consomme 2 257 kWh par an en moyenne. Les 175 707 VE actuellement immatriculés représentent ainsi une consommation moyenne d’électricité de 396 571 MWh/an.

En 2018, la consommation d’électricité en France s’élevait à 474 TWh et la production d’électricité à 549 TWh [6]. La consommation de la flotte actuelle de VE représente donc environ 0,05% de la consommation totale d’électricité. En termes de puissances appelées, l’usage du véhicule électrique reste minime comme le présente RTE dans son Bilan électrique 2018 :

Selon une étude réalisée pour l’Observatoire Cetelem par Harris Interactive en 2018 [7], 86% des Français considèrent que les bornes de recharge publiques ne sont pas assez nombreuses. Cependant, elles ne seraient utilisées que 12 % du temps en moyenne. Les Français semblent ainsi avoir une préférence pour l’utilisation des points de charge à domicile, majoritairement utilisés le matin et en soirée. Or, ces moments sont déjà ceux au cours desquels le réseau électrique est très chargé, dû aux pics de consommation. Il s’agit des périodes au cours desquelles l’électricité est généralement la plus chère et la plus carbonée. Il est à noter que RTE commence à détecter l’apparition d’un nouveau pic de charge le midi, imputable à la recharge de VE, dans le cas de retour à domicile ou de flottes professionnelles en pause-déjeuner. Vu du réseau, il serait optimal d’inciter les automobilistes à charger leur VE durant des heures dites « creuses » :

Il existe un enjeu fort de ne pas augmenter les pics de consommation existants. C’est dans cette optique que des solutions de pilotage se développent, du côté de l’offre comme de la demande. Ces solutions plus ou moins matures qui apportent de la flexibilité aux réseaux constituent un premier élément de réponse pour une intégration réussie des VE. Elles feront l’objet d’un prochain article dédié.

 

Quelle est l’influence anticipée sur les réseaux électriques français ?

Les exigences des pouvoirs publics français laissent présager un fort développement du VE. En juillet 2017, Nicolas Hulot, Ministre de la Transition écologique et solidaire en poste à cette période, a annoncé dans le cadre du Plan Climat, la fin des ventes de voitures à essence et diesel d’ici fin 2040. De plus, la PPE estime un parc de 4,8 millions de véhicules électriques à horizon 2028. RTE estime que ce parc représenterait une consommation de 11 TWh annuels : l’équivalent de la consommation électrique de la ville de Bordeaux [8].

Dans son « Bilan prévisionnel de l’équilibre offre-demande d’électricité en France » (2017) [9], le gestionnaire du réseau de transport d’électricité propose plusieurs scénarios qui étudient l’évolution du mix énergétique, la consommation d’électricité et le nombre de VE immatriculés avec une projection 2035, dont le scénario suivant :

RTE estime dans le scénario AMPERE qu’il est possible d’accueillir un parc de 15,6 millions de VE d’ici 2035, soit d’intégrer une consommation annuelle de 35 TWh sans rencontrer de problème d’approvisionnement en électricité. Cette situation serait notamment permise grâce à une forte compensation des usages électriques.

Cependant, Marc Jedliczka, porte-parole de l’association négaWatts, met en parallèle les problématiques de puissance de charge utilisée par la flotte de VE et la robustesse du réseau basse tension. Selon Selectra [10], si 15,6 millions de véhicules électriques se rechargeaient simultanément cela se traduirait par une hausse de 17,1 GW de puissance appelée : représentant 8 fois la puissance appelée par Paris en hiver. Afin d’anticiper ce type de situation, le gestionnaire de réseau de transport d’électricité français a annoncé la publication au printemps 2019 d’un éclairage sur les potentiels offerts par le pilotage de la recharge d’une flotte de VE [11].

Le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, Enedis, partage les prévisions de RTE en termes d’impact d’énergie à horizon 2035. L’entreprise s’est de plus interrogée sur la puissance à délivrer pour une flotte de 9 millions de VE et un réseau de 12 millions de points de charge à horizon 2035[12] : la puissance moyenne appelée par la recharge des VE à la pointe nationale est estimée à 10,2 GW. Or, si la recharge est effectuée en heures creuses alors la puissance moyenne appelée ne serait que de 1,6 GW. Enedis estime ainsi que l’investissement dans le renforcement des infrastructures de réseaux pour supporter l’intégration de 9 millions de VE sur le réseau public de distribution diminuerait de 30 à 35% avec la mise en place d’un pilotage de la recharge adapté.

Un impact marginal sur la consommation globale d’électricité mais un risque sur la puissance appelée…

Sous l’angle de l’énergie consommée par la flotte de véhicules électriques, les réseaux ne sont pas susceptibles de « sauter » prochainement. Ils sont en capacité d’absorber la montée en puissance des véhicules électriques y compris dans le cas des scénarios extrêmes de développement dans les 15 prochaines années.

Toutefois, la mobilité électrique pourrait nécessiter des ajustements et des renforcements des réseaux localement notamment dans les zones urbaines avec un fort taux d’utilisation des VE ou bien dans les zones de déploiement de superchargeurs.

En conclusion, le point d’attention se situe au niveau de la puissance appelée et de la gestion des pics consommation d’électricité. L’instauration d’un pilotage de la recharge apparaît comme nécessaire pour lisser la demande d’électricité associée aux véhicules électriques. Il doit être accompagné d’une pédagogie envers les automobilistes afin qu’ils adoptent les bonnes pratiques.

 

Sources

[1]http://www.avere-france.org/Site/Article/?article_id=7439

[2]https://www.cre.fr/content/download/20044/256210

[3]https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000033860620

[4] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32014L0094

[5] [10]https://selectra.info/energie/actualites/insolite/consommation-vehicules-electriques-france-2040

[6]https://bilan-electrique-2018.rte-france.com/

[7]https://observatoirecetelem.com/wp-content/themes/obs-cetelem-V3/publications/2019/OBSERVATOIRE_AUTO_2019_MD.pdf

[8]https://lemag.rte-et-vous.com/dossiers/une-chance-nouvelle-pour-le-systeme-electrique-et-la-collectivite-le-vehicule-electrique

[9]https://www.rte-france.com/sites/default/files/bp2017_complet_vf.pdf

[11]https://www.energie-plus.com/rte-sinterroge-sur-lavenir-du-vehicule-electrique/

[12]https://www.sauvonsleclimat.org/images/articles/pdf_files/ue_2018/UE2018_Frederic_EVE_mobilite_electrique_et_reseau_distribution.pdf

https://www.automobile-propre.com/plus-de-23-000-points-de-charge-publics-en-france/

https://blogs.alternatives-economiques.fr/vidalenc/2017/05/15/pas-besoin-de-nouvelles-centrales-pour-les-vehicules-electriques

http://observatoire-electricite.fr/IMG/pdf/oie_-_fiche_pedago_mobilite_sept_2017.pdf

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