[Interview] INTERCONNEXION AQUIND : RENCONTRE AVEC MARTIN DUBOURG, DIRECTEUR INFRASTRUCTURE FRANCE

Martin DUBOURG – Directeur Infrastructure France AQUIND

Interview de Martin DUBOURG, Directeur Infrastructure France d’Aquind, sur les enjeux d’un tel projet, a fortiori dans le contexte de crise économique que nous traversons actuellement.

Débuté en 2014, Aquind est un projet privé d’interconnexion électrique entre la France et le Royaume-Uni. Cette nouvelle liaison électrique sous-marine entre les deux pays, prévue pour 2024, revêt une importance aussi bien technique qu’économique et politique. Elle s’inscrit dans un contexte d’augmentation des interconnexions entre les pays, exprimé par la Commission Européenne.

 

 

Quelques chiffres clés du projet :

  • 240 Km = Longueur de l’interconnexion (dont 180 Km sous-marins)
  • 2 000 MWh = Capacité de transport
  • 1,4 Mds € = Montant de l’investissement
  • 2024 = Mise en service

Le projet Aquind est engagé depuis 2014, pouvez-vous nous représenter brièvement ses grandes phases et ses principaux objectifs ?

Martin DUBOURG : Notre projet a effectivement démarré en 2014. Nous avons étudié de nombreux scénarios de raccordement, tant au Royaume-Uni qu’en France, pour finir par valider avec les gestionnaires de réseaux les points de raccordement suivants : le poste de Lovendean à 20 km de Porthmouth et le poste de Barnabos à 35 km de Dieppe. Nous avons ensuite étudié diverses options de tracés tant terrestres que maritimes pour finir, après concertation avec le public et les parties prenantes, sur un projet abouti. Celui-ci résulte de l’étude d’impact environnemental que nous avons déposé tant en France qu’au Royaume Uni à l’automne 2019.

Schéma de l’interconnexion entre la France et le Royaume-Uni – Source : Aquind

A quels enjeux énergétiques ce nouveau projet d’interconnexion électrique répond-il ?

Martin DUBOURG : Le projet Aquind répond à trois objectifs. Le premier consiste à sécuriser les réseaux nationaux français et britanniques. Le deuxième est d’accompagner la transition énergétique par la mutualisation des écarts de production et de consommation entre les deux pays. Le dernier est de faire baisser le prix pour les consommateurs en favorisant la concurrence.

Prévisions de flux d’électricité annuels entre la France et le Royaume-Uni – Source : Aquind

La France et le Royaume-Uni sont complémentaires en termes de production et de consommation. La France dispose du plus grand parc européen de production d’énergie décarbonée grâce au nucléaire tandis que le Royaume-Uni est le champion de l’éolien.

Dans les deux pays, l’augmentation de la part des énergies renouvelables nécessite de renforcer les capacités d’échanges. Les interconnexions sont donc des infrastructures essentielles dans le cadre de la transition énergétique.

 

 

Comment la mise en place de nouvelles capacités d’interconnexion influe-t-elle sur la coopération énergétique entre la France et le Royaume-Uni ?

Martin DUBOURG : Techniquement, les simulations faites par l’ENTSOE* montrent la nécessité d’augmenter les capacités d’interconnexion. De plus, politiquement, le renforcement des échanges énergétiques entre la France est le Royaume-Uni est un signal fort du maintien de la coopération entre les deux pays malgré le Brexit. Notre projet est soutenu par le gouvernement britannique et nous sommes en discussions avec le gouvernement français dans le cadre du plan de relance post-covid-19 et du « Green deal ».

*Groupement des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité européens

Comment le projet Aquind se positionne-t-il par rapport aux autres interconnexions et projets d’interconnexions entre la France et le Royaume-Uni ? N’y a-t-il pas un risque de surcapacité ?

Martin DUBOURG : Il y a actuellement une interconnexion en service entre la France et le Royaume Uni : IFA pour une capacité de 2 GW. Deux projets sont en cours de travaux (IFA2 et Eleclink) qui porteront la capacité d’interconnexion à 4 GW. Le projet Aquind vient en complément de ces projets pour répondre à une demande croissante. Nos simulations avec les hypothèses de production et de consommation établies par l’ENTSOE nous donnent un flux d’utilisation annuel moyen du projet Aquind de 8 millions de MWh par an sur les 25 prochaines années, en plus des capacités des autres projets.

Interconnexions construites et en cours de construction entre la France et le Royaume-Uni – Source : Wavestone

En quoi cette nouvelle interconnexion va-t-elle participer au développement des EnR et à la meilleure utilisation du mix énergétique européen ?

Martin DUBOURG : L’interconnexion Aquind facilitera le développement des EnR et la décarbonation de la production d’électricité dans les deux pays, par deux biais :

  • Lorsqu’il y a un pic de production d’EnR dans un pays (par exemple en cas de vents forts en hiver en mer du Nord), l’interconnexion permet d’écouler l’énergie produite tant bien même qu’elle dépasse localement le besoin de consommation ;
  • Lorsqu’il y a un pic de consommation (notamment avec le chauffage électrique dans les pics de grands froids), l’interconnexion permet d’éviter la mise en marche des centrales thermiques d’appoint fonctionnant aux énergies fossiles.

L’arrivée des EnR avec leur statut intermittent nécessite de trouver des consommateurs au moment de la production. En élargissant le périmètre des consommateurs par les interconnexions, on s’assure de pouvoir leur trouver un débouché.

Quels seront le modèle économique et les sources de financement du projet Aquind ?

Martin DUBOURG : Nous aurons un modèle classique de construction d’infrastructures. C’est-à-dire que des investisseurs financent à la fois sur fonds propres et par endettement la construction de l’installation, tout en assurant l’exploitation pendant 25 ans. Ils seront rémunérés par un péage sur les flux qui transitent par l’interconnexion.

Aquind ne vend pas ni n’achète de l’électricité, et ce n’est pas Aquind qui décide des flux qui transitent. Il s’agira simplement de faire payer un service et ce sont les opérateurs des marchés de l’électricité en France et au Royaume Uni qui décident du flux et de sa destination.

Aquind est actuellement le seul investisseur sur le projet. Y en aura-t-il d’autres ?

Martin DUBOURG : En effet, Aquind est le seul investisseur sur le projet pour le moment. Néanmoins, nous menons des discussions avec de potentiels autres investisseurs. Ceux-ci n’entreront dans le projet que lorsque les dernières étapes avant le démarrage des travaux auront été franchies.

Quelles sont vos relations avec les gestionnaires des réseaux de transport nationaux ?

Martin DUBOURG : Nous échangeons depuis le début du projet avec RTE et National Grid à la fois pour qu’ils examinent l’incidence de notre projet sur le fonctionnement de leurs réseaux et pour définir les points de raccordement de l’interconnexion Aquind sur les deux réseaux.

En France, les études de faisabilités ont été menées conjointement avec RTE entre 2014 et 2017 et ont abouti aux choix du poste électrique de Barnabos à une trentaine de kilomètre au sud de Dieppe, avec la signature d’une convention de raccordement en mars 2017. De même, nous avons signé avec National Grid une convention de raccordement avec le poste de Lovendean.

Pouvez-vous nous parler des technologies utilisées, et notamment du Courant Continu Haute Tension ?

Martin DUBOURG : Nous utilisons tant pour le câble que pour les postes de conversion une technologie rodée et utilisée sur de nombreuses interconnexions. Le Courant Continu Haute Tension est la solution idéale pour les transports longues distances. En effet, les câbles sont enterrés avec une emprise sous la voie publique similaire à des infrastructures de réseaux standards (pas de lignes à haute tension). De plus, il y a beaucoup moins de perte de charges qu’avec le courant alternatif, ce qui permet des sections de câbles beaucoup plus petites. Enfin, il n’y a rien de visible tout au long du tracé, mis à part les tampons d’accès aux chambres de tirage (similaire à des plaques d’égout) tous les 2 km environs pour la partie terrestre. Pour la partie maritime, le câble est ensouillé sur toute sa longueur (dans une tranchée recouverte de sédiment au fond de la mer).

Quelle politique RSE le projet Aquind suit-il ? Quel sera son impact sur l’environnement ?

Martin DUBOURG : Les principaux impacts du projet sont traités dans la phase de conception et la politique RSE se traduit par une étude d’impact environnemental détaillée. Celle-ci a permis de définir tous les effets du projet tant sur le milieu naturel, le milieu humain, le milieu physique que sur le paysage et le patrimoine. Nous sommes attentifs aux effets du projet et à la sensibilité de l’environnement. Par exemple, nous contournons des espaces naturels, nous intégrons notre poste de transformation au milieu de plantation d’arbres et nous compensons, en collaboration avec la Chambre d’agriculture, la requalification de 9 hectares de terres agricoles. En phase de construction, nous avons prévu des clauses de concertation et de limitation des impacts dans les contrats avec les constructeurs, ainsi qu’une forte incitation à intégrer les entreprises locales, notamment par des partenariats avec les Chambres de Commerce et d’industrie et Normandie Energies.

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Pour en savoir plus sur les conséquences économiques du projet Aquind :

« Investir dans les interconnexions électriques : des bénéfices économiques immédiats et un rôle clef dans la transition énergétique » – Asterès, Juin 2020

Simulations ENTSOE :

Connecting Europe: Electricity

https://eepublicdownloads.blob.core.windows.net/public-cdn-container/clean-documents/tyndp-documents/TYNDP2018/consultation/Main%20Report/TYNDP2018_Executive%20Report.pdf

European Power System 2040: Completing the map

https://eepublicdownloads.blob.core.windows.net/public-cdn-container/clean-documents/tyndp-documents/TYNDP2018/system_needs_2pp.pdf

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