Guerre au Mali : à la recherche d’une contrepartie énergétique ?

Le 11 Janvier 2013, la France annonçait l’engagement de ses forces armées au Mali. Un mois plus tard, le conflit est moins exposé  médiatiquement mais reste à l’ordre du jour. On évoque le risque d’enlisement, bientôt sans doute, ce sera le coût de l’intervention.

Un premier bilan effectué par le Ministère de la Défense après un mois de conflit montre que la France débourse un montant de 2,7 millions d’euros en moyenne par jour. C’est le double de ce qu´a coûté l’intervention en Libye. Peut-on imaginer qu’un  tel investissement militaire, politique et financier se fasse sans contreparties ?

Officiellement, l’armée française a pour seul objectif de stopper l’avancée des groupes armés djihadistes et de venir en aide aux troupes maliennes dans leur lutte pour reprendre le contrôle de leur territoire. Mais l’argument de la lutte antiterroriste pourrait ne pas être le seul : l’approvisionnement énergétique  est également au coeur des préoccupations. Ce sont les atouts énergétiques « cachés » de la région sahélienne qui assureront un bon retour sur investissement.

Pour les trouver, détournons le regard, allons voir sous terre, allons voir au-delà des frontières.

Aventurons-nous dans le sous-sol malien. Nous découvrirons un potentiel non négligeable de ressources pétrolières. Dépassons la frontière. Nous observerons à l’Est la proximité des mines d’uranium du Niger qui alimentent les centrales nucléaires françaises. Nous remarquerons au Nord, la présence des centrales gazières algériennes, un des deux poumons énergétiques de l’Europe. Prenons un peu de recul et posons-nous en observateurs de la région sahélienne. Nous nous apercevrons que celle-ci se trouve au cœur d’un nouvel espace stratégique qui attire les convoitises des grandes puissances pour le transport du pétrole et du gaz.

Découvrons ensemble les dessous énergétiques de la guerre au Mali.

Exploiter le potentiel pétrolier du sous-sol malien

L’exemple de la guerre en Irak en 2003 est devenu un cas d’école d’utilisation de l’alibi sécuritaire pour justifier une guerre visant à exploiter des ressources pétrolières. Rassurons-nous, le cas malien n’est nullement comparable. Mais si les ressources énergétiques avérées au Mali sont limitées, de nombreuses études ont prouvé l’existence de ressources fossiles considérables.

Les premières recherches géologiques menées dans les années 1960 n’avaient pas été suffisamment concluantes. Dès lors, les techniques de forage ont évolué, et surtout, le prix du baril de pétrole n’a cessé d’augmenter. L’exploitation pétrolière du sous-sol malien est désormais envisageable. Le bassin de Taoudéni, par exemple, au croisement des frontières entre le nord du Mali, le Sud algérien et la Mauritanie, est considéré par certains analystes comme une des zones à plus fort potentiel pétrolier au monde. Avant le déclenchement de l’opération Serval, Total y avait déjà inscrit sa signature. D’autres bassins tels que ceux du Tamesna, d’Iullemeden et de Nara pourraient également cacher d’importantes réserves pétrolières.

Mais un sol regorgeant d’or noir n’est pas synonyme de manne financière. Des investissements très coûteux encore à prévoir tels que le lancement des forages ou la construction d’un oléoduc pourraient rapidement remettre en cause la rentabilité d’une éventuelle exploitation.

La soif de pétrole était à l’origine de la guerre en Irak et un élément explicatif de l’intervention en Libye. Mais ne justifie pas l’intervention au Mali.

Revenons à l’argument de la lutte antiterroriste. Ce n’est pas uniquement la présence de djihadistes sur le sol malien qui inquiétait la communauté internationale mais le risque sérieux de déstabilisation de la région. Et il se trouve que les frontières poreuses du Mali sont au contact de deux États aux ressources énergétiques hautement stratégiques : le Niger et l’Algérie.

Sécuriser l’uranium nigérien et les réserves gazières algériennes

Troisième producteur d’uranium au monde, le Niger fourni 33% de l’énergie utilisée dans les centrales nucléaires de l’hexagone. Areva, fleuron français de l’industrie nucléaire y est largement implanté, notamment par l’intermédiaire de ses filiales Somaïr et Cominak, qui exploitent les deux principaux gisements miniers du pays : Arlit et Akouta.

À quelques centaines de kilomètres de la frontière malienne se trouve également la mine d’Imouraren, qui devrait entrer en fonction en 2015 et devenir la deuxième plus grande mine d’uranium à ciel ouvert dans le monde. Autant dire que intérêts énergétiques français au Niger devraient s’accroître au fil des années.

C’est en fait à double titre que la France et Areva cherchent à affaiblir les groupuscules terroristes dans la région. Veillant logiquement à la sécurisation de ses mines, le champion du nucléaire français a dû par ailleurs redoubler d’efforts pour assurer la sécurité de ses cadres mobilisés sur le terrain. L’épisode de Septembre 2010, où sept employés d’Areva ont été pris en otage par un groupe affilié à AQMI est encore bien ancré dans les mémoires.

En matière de prises d’otages, les manuels d’Histoire réserveront une place de choix à la tragédie d’In Amenas, en Algérie, qui aura tenu en haleine la communauté internationale pendant quelques jours de Janvier 2013. Le choix du site gazier de Tigantourine à In Amenas pour perpétrer l’attaque n’est pas anodin puisqu’il est l’un des piliers économiques d’un pays qui assure non moins de 10% de la consommation énergétique en Europe. Il ne faut pas oublier que l’Algérie constitue une des deux seules sources d’approvisionnement en gaz pour l’Europe (l’autre provenant de la Russie).

Et l’alliance énergétique entre Paris et Alger a encore de beaux jours devant elle. Fin Décembre 2012, Laurent Fabius, Ministre des Affaires Etrangères, avouait que les deux pays seraient en voie de signer un accord pour le lancement des recherches dans le domaine de l’exploitation de gaz de schiste. Selon le gouvernement algérien, les réserves de gaz non conventionnels algériennes seraient aussi importantes que celles des Etats-Unis. De quoi bouleverser l’équilibre énergétique mondial.

En dehors du message médiatique envoyé, le but de l’action terroriste d’In Amenas était sans doute de rappeler que les centrales d’approvisionnement en gaz se situent au sud de l’Algérie, c’est-à-dire au Nord du Mali.

La sécurisation des mines d’uranium du Niger et de la production gazière algérienne sont donc indissociables de la lutte anti-terroriste engagée sur le territoire malien. Repousser AQMI au-delà des frontières reviendrait à mettre en danger une grande partie de l’approvisionnement énergétique français et européen. L’opération Serval a bien lieu au Mali mais l’enjeu de stabilisation politique concerne la région sahelienne dans son ensemble.

Se positionner sur le couloir énergétique sahélien

Le Sahel n’est pas qu’une bande désertique qui s’étend de l’Océan Atlantique à la mer Rouge. Elle est surtout un hub énergétique qui alimente de plus en plus les convoitises entre les grandes puissances, un espace charnière pour le transport du pétrole et du gaz.

Les États-Unis ont déjà réussi à sécuriser leur approvisionnement énergétique à travers le golfe de Guinée. La Chine et les puissances asiatiques émergentes l’ont également fait via la Mer Rouge.

L’Europe se doit désormais de tracer son propre corridor énergétique, qui, reliant le golfe de Guinée au détroit de Gibraltar, passera inéluctablement par le Sahel Occidental. Nous nous référons au projet « TransSaharan Gas Pipeline » (TSGP), un gazoduc de plus de 4100 km devant connecter les champs gaziers du delta du Niger à l’Espagne, via le Niger et l’Algérie. Une aubaine énergétique dont la vieille Europe ne saurait se passer.

La position des anciens colons européens est de plus en plus menacée dans une région qui permet de rassasier certains appétits énergivores. En témoigne la récente demande du Président nigérien de renégocier les accords avec Areva, tout en menaçant d’entamer des échanges avec la Chine.

Des chantiers stratégiques tels que l’exploitation de ressources fossiles, la mise en place d’un grand projet de transport gazier ou encore la signature d’accords de partenariat énergétique ne sont pas viables dans un espace où les Etats peinent à exercer leur souveraineté.

La longue série d’enlèvements à regretter dans la région en est la parfaite illustration. La veille de la publication de cet article, GDF SUEZ, un autre géant français de l’énergie, confirmait l’enlèvement d’un employé expatrié de GDF Suez et sa famille au Nord du Cameroun, non loin de la frontière nigérienne.

En y regardant de plus près, ces prises d’otages illustrent la prise de conscience par les groupes djihadistes de l’importance des intérêts énergétiques. En menaçant les employés de grands groupes européens tels qu’Areva et GDF SUEZ, ils cherchent à peser via leurs propres moyens sur le rapport de force géoéconomique. Les groupes terrorristes ont peut-être été les premiers à comprendre que la France comptait bien bénéficier d’une contrepartie énergétique à l’issue de ce conflit.

Si on en croit les mots de François Hollande, l’opération Serval arrive à sa « dernière phase ». Une fois la guerre terminée, dans un geste très attendu par les observateurs du monde entier, Paris fera le nécessaire pour transférer la souveraineté politique au peuple malien. En revanche, dans un geste moins surveillé, la France héritera d’une contrepartie énergétique. En étudiant le potentiel pétrolier du sous-sol malien, en sécurisant les mines d’uranium du Niger, en évitant la destabilisation du Sud algérien, le France, et l’Europe, auront réussi à placer leurs pions sur le hub énergétique sahelien.

 

4 thoughts on “Guerre au Mali : à la recherche d’une contrepartie énergétique ?

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