Crise ukrainienne : quelles conséquences pour les énergéticiens français ?

Il y a quelques mois, au balbutiement de la crise ukrainienne, Jean-François Cirelli – actuel Vice-Président du groupe GDF SUEZ- faisait part de sa crainte que le « gaz se politise ». Cette crainte s’est très vite confirmée puisque Moscou, à l’image des crises précédentes (2006 et 2009), n’a pas hésité à (ab)user du levier gazier, instrumentalisant ainsi l’enjeu énergétique au profit du conflit politique. Mais au-delà de toutes ces considérations politiques, quelles sont donc les conséquences pour les énergéticiens français ?

Un manque de visibilité très coûteux dans ce type d’industrie…

« Savoir pour prévoir afin de pouvoir ». Cette formule d’Auguste Comte illustre parfaitement le problème que rencontrent aujourd’hui les énergéticiens français face à cette crise ukrainienne. En effet, dans le domaine de l’énergie, le manque de visibilité à moyen-long terme est nocif pour les différents acteurs et ce pour plusieurs raisons :

–       Un doute permanent concernant l’approvisionnement plane au-dessus des groupes français. Les différentes interventions publiques et autres joutes diplomatiques des deux pays, ne font qu’accroître le sentiment d’insécurité sur, d’une part, la capacité de Gazprom (leader russe pour l’extraction, le traitement et le transport du gaz naturel) à sécuriser ses livraisons, et d’autre part, la possibilité de prélèvement par l’Ukraine. La question des stocks et d’éventuelles solutions de repli se pose donc constamment pour les groupes français.

–       Ce manque de visibilité, qui traduit l’instabilité de cette région, se répercute sur les marchés financiers et les finances des énergéticiens français. Beaucoup de groupes français possèdent aujourd’hui des parts chez différents acteurs russes. Les sanctions et autres mesures contre la Russie ont donc un impact direct sur eux à l’image de Total qui a indiqué avoir arrêté de monter sa participation au capital du gazier russe Novatek suite à la destruction de l’avion malaisien MH 17 et qui a vu son action perdre 2,7% le 30 juillet dernier.

–       Enfin, les projets dans le domaine de l’énergie sont souvent à long terme et nécessitent des investissements très lourds. Le manque de visibilité est donc un frein sévère à l’investissement et au développement. La situation actuelle du projet « South Stream » en est une parfaite illustration. Ce projet de construction d’un gazoduc de plus de 3600 km, lancé conjointement par plusieurs pays européens (Serbie, Italie, Bulgarie, …) et Moscou suite aux crises de 2006 et 2009, avait pour but de réduire la dépendance de la Russie vis-à-vis de l’Ukraine pour ses exportations de gaz. Face à l’attitude de Moscou dans le conflit ukrainien, l’UE a décidé d’interrompre ce projet dans lequel le groupe EDF a pourtant des parts (15%). La situation n’évoluant pas, EDF n’a aucune visibilité sur la poursuite des travaux (du projet) et donc sur son investissement.

… à relativiser tout de même

Malgré un contexte certes difficile pour les groupes français, tirer la sonnette d’alarme serait une belle erreur. Bien que touchés, les énergéticiens sont loin d’être coulés par cette crise et les leçons tirées des précédentes portent aujourd’hui leurs fruits :

–       La France a réduit sa dépendance en gaz vis-à-vis de la Russie, qui ne lui fournit désormais plus que 14% de ses besoins. Et ce en faveur de fournisseurs tels que la Norvège, les Pays-Bas ou encore l’Algérie, qui présentent un contexte géopolitique plus favorable.

–       La part du gaz transitant par l’Ukraine à destination de la France a diminué pour atteindre les  6%.

–       L’augmentation du stockage et de la méthanisation, couplé à un hiver 2013 doux, permet aujourd’hui à la France de se retrouver avec un niveau de stock jamais atteint auparavant.

En plus de ces différentes mesures au niveau national, un dernier facteur exogène permet également aux groupes français de relativiser cette situation et d’aborder plus sereinement cette crise. Cet élément est à chercher du côté ouest de l’Atlantique, où les USA, avec le gaz de schiste, représentent désormais une solution potentielle de repli et/ou de contournement en mettant du gaz à disposition sur le marché.

 

Le dernier mot dans une affaire est toujours un chiffre

 « Être un levier politique OK, mais un frein économique JAMAIS ! ». Tel pourrait être le slogan russe du gaz, et de manière plus globale, des hydrocarbures. En effet, bien que très efficaces pour exercer quelques pressions politiques sur l’Ukraine et plus généralement sur l’Europe, les hydrocarbures russes représentent un formidable levier économique, et surtout, le principal moteur de croissance d’un pays dont la situation reste aujourd’hui très fragile.

Autrement dit, l’enjeu économique que représentent les énergies est beaucoup trop important pour risquer de se mettre à dos la plupart des principaux clients et donc de couper les branches gazières et pétrolières qui nourrissent la mère Russie. Deux chiffres permettent de prendre conscience de cette « dépendance » :

–       90% des achats de pétrole russe sont effectués par les pays européens

–       Gazprom génère près du quart des recettes budgétaires de l’État

 

Cette puissance économique conférée par les hydrocarbures est d’autant plus vitale qu’elle possède aujourd’hui une portée au niveau de la politique intérieure. Ainsi, grâce à la rente dégagée sur la vente de gaz aux pays européens, Gazprom peut maintenir des prix faibles sur le marché domestique et donc garantir au gouvernement la paix sociale. Ce qui, pour une entreprise dont 50% plus 1 action (soit 50,002%) du capital est contrôlé par l’État, n’est pas négligeable …

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