Smartisation en Asie de l’Est

1 611 085 455, soit le nombre d’habitants en Asie de l’Est en 2016.

Ce nombre évoque la dimension urbaine impressionnante en corrélation directe avec la population ainsi que la structure des villes riches de leurs infrastructures. Au sein de ces mégalopoles asiatiques, les enjeux liés à la mobilité, à l’environnement, au mode de vie des citoyens, au capital social et culturel, à la gouvernance et à l’économie, sont devenus le terreau quotidien des projets urbains des villes chinoises, japonaises et coréennes.

 A l’heure on l’on parle encore d’éco-quartiers dans certaines régions en Europe, la zone de l’Asie de l’Est a déjà pris en compte dans son vocabulaire les notions de « villes systèmes » ou « villes intelligentes » alliant numérisation et qualité de vie. La ville asiatique est imbriquée au sein d’un ensemble urbain qui se veut décloisonné, connecté entre ses usages et ses services, et étanche avec un fort niveau de résilience.

À l’échelle mondiale, les mégalopoles asiatiques peuvent générer des impacts considérables sur les défis environnementaux, sur la mobilité urbaine ou encore sur la gestion des bâtiments et des logements ; d’où l’importance pour ces villes de devenir intelligentes, smart. Citons la Chine, le plus gros émetteur de CO2 au monde, qui doit doter ses villes d’un environnement plus vert, plus durable rentrant dans le modèle smart. Selon une étude menée par Coll en 2014, les projets de « smartisation » en Asie représenteraient environ un tiers des projets à l’échelle mondiale. À l’exemple de Songdo en Corée du Sud ou des nombreux écosystèmes fleurissant dans un paysage d’entreprises variées qui accélère le processus ; on note IBM, Hitachi, Cisco ou encore Toshiba.

Les villes mondiales affichent désormais leur prétention à devenir plus « smart ». Et c’est en Chine, au Japon, et en Corée du Sud, trois porteurs de l’économie asiatique, que nous avons décidé d’analyser pour établir une étude comparative sur les grands chantiers Smart City mis en place.

Intéressons-nous d’abord à la définition d’une Smart City.

L’architecte-urbaniste et géographe britannique Michael Batty, nous offre sa vision de la smart city : « Ce sont des villes structurées par la gestion instantanée des big data, ou méta-données, issues de la technologisation des espaces urbains et des réseaux ». Selon lui, le traitement des évènements en temps réel qui permet d’optimiser la gestion urbaine, d’anticiper la dynamique des espaces/réseaux/citoyens, est au cœur du concept de smart city. La smart city reposerait donc sur l’usage intempestif d’algorithmes, de systèmes d’information et d’Internet, favorisant la gestion de la ville à court terme et en temps réel. (Batty 2012).

Ces éclosions de villes plus connectées donc, notamment en Asie, nous questionnent sur le passage de la ville traditionnelle à la smart city. Comment réussir sa métamorphose urbaine ? Quels sont les éléments de criticité à prendre en compte pour être labellisé Smart City ?

Pour répondre à ces interrogations, la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie du parlement européen a imaginé en mai 2014, les critères structurants qui déterminent un modèle standard de Smart City :

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Ces critères correspondent aux enjeux les plus fréquents sur lesquels reposent les grands chantiers de Smart City en Europe ou en Asie, toutefois non exhaustifs. L’objectif de cet article est ainsi d’analyser le modèle smart asiatique, d’identifier ses spécificités, d’interroger son exportabilité et son exploitabilité.

De grandes mutations et causes en Asie de l’Est sont à l’origine du phénomène smart.

En Chine, le concept de smart city et plus généralement la volonté à tendre vers une planète plus smart, s’est étendu depuis 2008 à peu près, quand l’émergence technologique a envahi les marchés : de la puces RFID aux réseaux connectés, en passant par le paiement électronique ou encore le déploiement de services de cloud. Ces technologies ont permis une nouvelle approche des solutions collaboratives concernant les challenges urbains : collecte de la donnée, temps réel pour anticiper et dynamiser l’environnement…
Le phénomène smart en Chine s’est amplifié grâce à ses grandes entreprises spécialisées en nouvelles technologies, qui ont accompagné la recherche et le développement de solutions nouvelles. Parmi elles, on note IBM.  Ces grandes entreprises ont contribué à changer les standards issus de l’urbanisme pour créer des normes que l’on retrouve dans la smart city d’aujourd’hui.

Au Japon, on note quatre grands bouleversements majeurs :

  1. Le vieillissement de la population a entrainé l’apparition de besoins spécifiques telle que la prise en charge de personnes par exemple, et augmenté le niveau de vie des japonais. (Buhnik, 2010 ; Languillon, 2014). Du fait de ce nouveau mode de vie, les bâtiments se veulent davantage intelligents.img-1-small580
    Crédit image : Raphaël Languillon-Aussel, 2015
  2. La stagnation des plus-values immobilières a forcé la mise en place d’une nouvelle proposition de valeur urbaine smart, notamment à Tokyo (Aveline, 2008 ; Languillon, 2013). La ville intelligente joue le rôle de booster économique aussi bien en termes de création de valeur que de nouveaux profits générés sur le marché immobilier, un marché au souffle nouveau.
  3. La croissance technologique et nouveaux usages liés au digital rendent nécessaire de s’appuyer sur de nouveaux marchés du fait de cycle de vie court des produits. Les japonais se sont rapidement spécialisés dans les réseaux informatiques et distribution d’énergies, essentiels aux connexions urbaines.
  4. De nouveaux entrants de la gestion urbaine sont apparus au Japon, en Corée du Sud, ou encore à Taïwan simultanément. Initialement les « purs urbains », terminologie inventée par Ingrid Nappi-Choulet (2009), sont les promoteurs immobiliers ou entreprises de services ; ils accompagnent les opérations d’urbanisation.

En Corée du Sud, les principales causes de mutations urbaines et de smart métamorphoses sont liées à l’urbanisation croissante générée par les flux de personnes et d’importation/exportation favorisant les transports, par exemple. De même, les projets de diminution d’émissions de CO2 à l’échelle internationale, telle que la Cop 21, influencent la volonté de créer des villes plus vertes, plus saines et plus intelligentes. D’après la commission de régulation de l’énergie, les villes génèrent 80% des émissions de CO2. Les domaines d’action du modèle smart en Corée reposent sur l’urbanisme, le développement durable ou encore le capital social.

Pour les trois pays, des initiatives gouvernementales sont apparues, permettant de solidifier la stratégie smart.

En Chine, le 15 janvier 2014 la Commission “China National Development and Reform Commission » (NDRC) et le Ministère de l’Industrie et de la Technologie de l’Information (MIIT) ont pressé les premiers projets d’implémentation de Smart City basés sur différents secteurs d’activités : l’éducation, l’assurance, la prévoyance retraite, l’emploi, etc. À l’origine de cette urgence se trouve le lancement de l’Exposition Universelle de Shanghai en 2010, dont le slogan était « Better City, Better Life ». Depuis, 277 projets pilotes ont été signés en 2013 par le gouvernement. La mise en place de ces villes smart s’inscrit dans une logique de nouveau business économique : faire face aux problématiques des villes chinoises (pollution, logement, trafic) tout en se tournant vers une consommation intérieure de nouveaux services. En 2014, la roadmap stratégique poursuivie par le Conseil des Affaires d’États vise la période 2014-2020. Ce plan stratégique appelé « National New-type Urbanisation Plan » se développe sur cinq axes majeurs :

  • « New Industry: afin d’utiliser et échanger efficacement l’information pour analyser les zones à améliorer et construire des parcs industriels intelligents pour gagner en efficience et compétitivité.
  • New Environment: pour une meilleure gestion des énergies et une meilleure préservation de l’environnement avec la mise en place de réseaux de distribution communicants et l’analyse de données massives.
  • New Life: avec la création d’une plateforme communautaire englobant l’ensemble des services médicaux, éducatifs, les services publics d’emploi et de sécurité sociale.
  • New Service: en concentrant dans un centre d’opération le paysage urbain grâce à l’internet des objets et les technologies intelligentes, en particulier pour les transports en commun. »

Au Japon, le gouvernement japonais a compris très vite l’intérêt d’investir dans la recherche et développement du « smart ». En 2009, des groupes de recherche formés par des universitaires ou encore des grandes entreprises japonaises se sont mobilisés dans l’optique de devenir les leaders sur les technologies clés de demain à développer. Dans la même lignée de mise en place de projets de mobilisation et de recherche, le METI a déployé une Smart Community Forum ou Japan Smart Community Alliance (JSCA) en 2010 afin d’échanger sur les cas d’usages et de co-construire les standards de demain. Au sein du METI d’autres initiatives ont vu le jour telle que l’implémentation de 4 programmes majeurs visant à l’introduction de technologies « smart » à un niveau local. Parmi ceux-ci le « Next Generation Energy Technology Demonstration Projects » est le plus conséquent et prend en compte 20 collectivités. 4 communes parmi ces 20 initiales ont été sélectionnées, dossier à l’appui, pour faire l’objet d’une véritable transformation smart : Yokohama, Toyota, Kyoto et Kitakyushu.

En Corée du Sud, en 2015, la ville de Seoul a mis en place un programme intitulé « Smart Seoul 2015 » (remplacé par le u-Seoul Project) au sein duquel elle identifie ses priorités concernant le développement smart. Différentes entreprises nationales sont sollicitées dans cette transformation urbaine telles que Samsung, LG et Hyunday au niveau de la R&D et du déploiement de nouvelles offres de services intelligentes. Ces initiatives ont pour but in fine de mettre à disposition des citoyens et de la ville, un dispositif innovant utilisant les nouvelles technologies qui a plusieurs missions :

  • Rendre disponibles les services de la ville via le smartphone ;
  • Élargir la couverture du réseau wifi public ;
  • Pouvoir gérer à distance la santé des habitants, en particulier les plus âgés, etc.

D’autres projets ont été développés, tout comme au Japon, on note différents appels d’offres tournés à un niveau local. Ainsi, Busan ou Songdo par exemple, font l’objet de mise en place smart au sein de différents domaines : déploiement télécom et interoperabilité, gestion eco-verte… Enfin, de grandes universités comme la Seoul National University, la Korea University ou encore la Yonsei University participent à ces actions eco-vertes, avec l’aide de start-up locales, comme Ecube. La Corée du Sud append de plus en plus à insuffler une dynamique de smartisation dans le paysage national et international, du fait de sa vitalité technologique.

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Zoom sur quelques villes bêta testeuses du modèle smart

Pour les trois pays, il était intéressant d’effectuer un zoom sur quelques villes choisies comme étant des villes bêta-testeuses du modèle smart. Cette mise en lumière n’est pas exhaustive.

En Chine : Huawei est un centre de recherche et de développement avant tout (avec Pekin et Shanghai). Une « ville recherche » située dans la banlieue de Shenzhen qui présente tout un panel de technologies imbriquées au sein de différents domaines. Le campus est composé de 8 ilots d’immeubles. 50 000 employés œuvrent au sein de cette smart city dans des laboratoires de recherche. Les projets tournent autour des activités télécom ou autour du thème de la mobilité. « Smart Cell » ou « Safe City » font parties du catalogue du campus de recherche. De même, la commune souhaite rendre, de manière générale, la ville plus sûre : des éclairages intelligents connectés en passant par des systèmes de contrôle pour robot industriel…

Au Japon : 4 « community projects » se sont démarqués sur l’île.

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Yokohama City est un projet smart déployé entre les coopérations, les citoyens et les municipalités qui permet de tester l’exportabilité de la smart city japonaise à l’international. Le programme se situe dans le domaine du bâtiment et de la gestion des énergies : différentes technologies y sont testées et permettent un confort renforcé des citoyens, notamment des personnes âgées qui y trouvent de nouveaux services adaptés.

Toyota City ou le “Toyota City Low-carbon Low-carbon Society Verification Project (Smart Melit)” est une ville qui rend compte de la gestion des énergies de demain et de l’optimisation de l’environnement à travers les énergies renouvelables ; par exemple en offrant la possibilité de recharger les voitures électriques afin de fournir des modes de transports plus durales, eco et innovants (le bus sans chauffeur a déjà été mis en place dans d’autres villes japonaises). Ce projet, au-delà de viser l’environnement, s’intéresse également au home confort et à la gestion des énergies à plus petite échelle, celle du citoyen.

En Corée du Sud : Divers projets fleurissent à foison, parmi lesquels l’exemple de Sondgo le plus connu, Busan ou Incheon. Nous nous sommes intéressés à un programme de ville intelligente « Sejong City » vu aujourd’hui comme le futur Eldorado Sud-coréen et comme peut-être la nouvelle capitale administrative. De fait, un projet de grande ampleur. On parle ici de Smart City grâce à son installation presque « ad hoc » bénéficiant de toutes les infrastructures et technologies relatives au modèle smart. Ce projet s’inscrit dans l’ambition de devenir un véritable hub d’affaires, un carrefour de recherches, un centre de connectivités et d’interconnexions et le berceau des décisions gouvernementales. Ainsi, on retrouve l’institut “Institute for Basic Science and Heavy Ion Accelerator” ou encore de grandes entreprises nationales telles que Samsung ou LG participant à la recherche en nouvelles technologies. Au-delà d’être un cluster, la ville se veut optimisée à tous les niveaux urbains et se veut être la plus connectée et numérisée possible.

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Sources :
–  La stratégie de la « smart city » au Japon : expérimentations nationales et circulations globales, Raphaël Languillon-Aussel, Nicolas Leprêtre et Benoit Granier, Juin 2016.
Réseau Action Climat, The Global Carbon Projet 2014.
Smart cities in China, EUSME, janvier 2016 : http://www.cbbc.org/cbbc/media/cbbc_media/KnowledgeLibrary/Reports/EU-SME-Centre-Report-Smart-Cities-in-China-Jan-2016.pdf.
– 
La stratégie de la « smart city » au Japon : expérimentations nationales et circulations globales, Raphaël Languillon-Aussel, Nicolas Leprêtre et Benoit Granier, Juin 2016 : https://echogeo.revues.org/14598.
– Japan’s Approaches to Smart Grid and Smart Community Deployment, Mai 2014 : http://www.globalsmartgridfederation.org/2014/05/28/japans-approaches-to-smart-grid-and-smart-community-deployment/.
– 
5G, smart city, IT : plongée dans le showroom chinois de Huawei, Mai 2016 : http://www.zdnet.fr/actualites/5g-smart-city-it-plongee-dans-le-showroom-chinois-de-huawei-39835666.htm.
– 
La Corée du Sud: le pays du matin calme et des Smart Cities, 2015-2016 : https://www.cvstene.fr/la-coree-du-sud-le-pays-du-matin-calme-et-des-smart-cities/
Hopeful investment for the future : http://www.sejong.go.kr/eng/sub02_01_01.do.

En savoir plus sur les smart cities ? Retrouvez l’article sur la ville de Issy-Les-Moulineaux ici.

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