Le stockage de l’électricité, moteur de la transition énergétique ?

« Paul réside à la campagne. Le toit de sa maison est couvert de panneaux solaires, connectés en permanence à une grosse batterie domestique. Le système est piloté par un logiciel dont l’interface est téléchargeable sur smartphone. Détectant que Paul a réservé des billets d’avion, l’application notifie à Paul que le système basculera en mode « revente au réseau » pendant son absence. Depuis qu’il a acheté cette batterie, sa maison a atteint l’autosuffisance énergétique… ce qui se ressent sur la facture d’électricité !  »

Le stockage de l’électricité a-t-il un avenir ou l’histoire de Paul n’est-elle que pure fiction ? Dans quels cas d’usage le stockage de l’électricité a-t-il un intérêt ? Quels sont les technologies concernées ? Energystream vous propose une série de trois articles qui tenteront de répondre à ces questions.

L’essor du stockage de l’électricité 

Le réseau énergétique passera bientôt d’une configuration centralisée, unidirectionnelle et temps réel à une configuration multidirectionnelle, décentralisée et temps différé. Concrètement, les consommateurs seront alors producteurs, voire auto-consommateurs. Le stockage de l’électricité constituera alors la clé de voûte du système.

En effet, la part des énergies renouvelables (EnR) dans les mix énergétiques français et européens s’est accélérée depuis une dizaine d’années. Les EnR étant des solutions de production d’électricité intermittentes, les fluctuations de la production, régies par les aléas météorologiques, sont indépendantes de la consommation. Pour des taux de pénétration inférieur à 30%, l’impact de la production des EnR reste limité et peut être pris en charge par le réseau actuel. Au-delà, des déséquilibres peuvent survenir !

Les principales technologies de stockage

L’électricité résulte de déplacements d’électrons. Il est ainsi difficile de stocker l’énergie électrique sous sa forme première, c’est pour cela qu’on utilise d’autres types d’énergie – mécanique, chimique… – moyennant transformations et pertes.

Les STEP (Station de Transfert d’Energie par Pompage) et les CAES (Compressed Air Energy Storage) utilisent l’énergie mécanique potentielle d’un fluide (respectivement l’eau et l’air). Les STEP sont composées de deux bassins situés à deux altitudes différentes. Lorsque la demande électrique est faible, l’eau du bassin inférieur est pompée vers le bassin supérieur. Lorsqu’elle est élevée, la station restitue l’électricité en turbinant l’eau du bassin supérieur. De même, une CAES comprime de l’air en période de basse consommation pour le turbiner lorsque la demande augmente.

stockage de l'électricité STEP
Schéma de principe d’une STEP

Ce sont les technologies de stockage les moins coûteuses du marché (respectivement 50 et 150€ / kWh). Elles représentent 87% des capacités mondiales de stockage d’énergie. Mais, du fait de leur installation complexe et de leur usage limité à un rôle de régulateur du réseau, elles ne suffisent pas à couvrir tous les besoins.

Stockage de l'électricité CAES
Schéma de principe d’une installation CAES

 

Les piles et batteries sont une technique universelle pour stocker l’électricité, et ce pour des usages multiples : des installations mobiles (smartphone, voitures…) ou des installations fixes de différentes tailles (maison, immeuble, usine, quartier…). Les coûts de stockage par batterie n’ont cessé de décroître depuis 10 ans, notamment grâce au couple lithium-ion. Par exemple, la fameuse Powerwall de Tesla a un prix de vente de 5000 € (modèle 10 kWh, installation complète), ce qui revient à 350 € / kWh. Les batteries sont pratiques, mais confrontées à deux problèmes majeurs : leur recyclabilité limitée et leurs dépendances aux matières premières, notamment les terres rares.

stockage de l'électricité Batterie
La batterie Powerwall de Tesla

 

Afin de réguler la fréquence du réseau ou optimiser des systèmes énergétiques (ferme solaire par exemple), on peut utiliser des volants d’inertie. Un volant d’inertie est constitué d’une masse (souvent un cylindre), que l’on fait tourner à des vitesses très élevées (ordre de grandeur : 10 000 tr /min) grâce à un moteur électrique. Une fois lancée, la masse, placée dans une enceinte sous vide, continue de tourner grâce à un système de roulement magnétique… jusqu’à ce qu’on décide de restituer l’énergie cinétique en énergie électrique en utilisant le moteur comme génératrice électrique. Le volant d’inertie, en tant que moyen de stockage, en est encore à son stade de développement.

Stockage de l'électricité volants d'inertie
Schéma de principe des volants d’inertie

Enfin, le « Power to Gas » est une autre technique de stockage électrochimique. Le principe repose sur la conversion du surplus d’énergie électrique en hydrogène ou méthane de synthèse. L’hydrogène, transformé à partir de l’eau via électrolyse, peut être ensuite réinjecté dans les réseaux de gaz naturel, alimenter des véhicules à hydrogène ou être consommé à des fins industrielles. Le procédé est encore en développement. Ainsi, GRT gaz développe actuellement un démonstrateur à Fos-sur-Mer (Bouches du Rhônes), situé à l’intersection de réseaux de gaz et d’électricité et à proximité d’une source de CO2 industrielle. Les applications du « PTG » sont nombreuses et sur le temps long : absorption massive de surplus du système électrique, mobilité décarbonnée (gaz de synthèse ou H2), usages  industriels de l’hydrogène, etc…

stockage de l'électricité power to gas
Le diagramme échelle de temps / capacité des modes de stockage, d’après GRTgaz

 

Le rôle des acteurs de l’énergie

Le mix énergétique tend à se décentraliser et à laisser de plus en plus de place aux énergies renouvelables. Dans ce contexte les producteurs d’énergie historiques tels qu’EDF sont fortement impactés et s’intéressent de près aux solutions techniques permettant de répondre trois problématiques :

  • A l’échelle de la journée : le stockage de l’énergie pourrait stocker l’énergie produite en période creuse de consommation pour la redistribuer lorsque les besoins augmentent.
  • A l’échelle de la minute, liée aux variabilités météorologiques qui impactent la production. Le stockage a dans ce cas le rôle de lisser la production d’énergie et de gommer l’intermittence pour ne pas nuire à la résilience du réseau de distribution.
  • A l’échelle de la milliseconde: Le stockage intervient pour gérer le maintien de la fréquence du réseau à 50Hz. Cette constante est fondamentale pour sa stabilité.

L’enjeu pour les énergéticiens est aujourd’hui de trouver les bonnes technologies de stockage pour les différents contextes de production avec une problématique de compétitivité /coût. Dans ce cadre plusieurs expérimentations sont menées sur le réseau.

stockage de l'électricité

Le dernier projet lancé par RTE en mars 2017, doit permettre de répondre à la problématique de surproduction des énergies renouvelables. Imaginons une ligne à haute tension reliant des éoliennes à une ville. Mettons qu’à un instant T, par grand vent, les éoliennes produisent 130 MW et que la capacité maximum de la ligne à haute tension, soit de 100 MW et non de 130 MW.  La ligne est alors congestionnée car elle ne peut pas acheminer toute l’électricité produite. Si la ville a besoin des 130 MW, il faudra donc que les 30 MW soient acheminés par une seconde ligne et un second moyen de production. Le système testé par Rte doit permette de profiter au maximum de l’énergie éolienne en la stockant et en la délivrant au moment où elle peut transiter dans le réseau.

Stockage de l'électricité RINGO
Schéma de principe du système Ringo

 

Et à l’autre bout de la chaîne, comment le consommateur peut tirer son épingle du jeu ?

Aujourd’hui 350 000 foyers produisent de l’énergie photovoltaïque (1% des foyers connectés) et seulement 14 000 foyers français consomment l’énergie qu’ils produisent. La montée en puissance des installations photovoltaïques en France depuis l’année 2011, durant laquelle 1514 MW avaient été installés stagne depuis 2014, pour atteindre aujourd’hui le niveau le plus faible depuis 2010 (551 MW).

Ce constat peut s’expliquer par les baisses successives des tarifs d’achat (0,60 €/ KWh en 2010 contre 0,12 € / KWh T4 2016 ; pour une puissance de 9 à 100 KW).

Cependant l’ADEME donne une vision optimiste sur le solaire : elle anticipe une baisse de 35 % du coût du photovoltaïque d’ici 2025 et envisage le développement de l’autoconsommation chez les particuliers qui auront recours à des systèmes couplant panneaux solaires et systèmes de stockage. «Pour un particulier, la compétitivité avec le prix de gros de l’électricité pourrait donc se poser à cet horizon », estime une note publiée l’an dernier.

Les solutions qui s’offrent aux particuliers sont nombreuses mais c’est la technologie du stockage par batterie qui s’impose. Sur ce marché l’américain Tesla ou l’allemand Daimler ont lancé des offres de stockage électrique domestique. En parallèle des solutions clé en mains émergent en France comme par exemple Fronius, ou IKEA qui proposent tout le matériel et l’installation de la production d’énergie photovoltaïque jusqu’au stockage avec une garantie de 5 à 15 ans.

Michael Lippert, responsable du marketing stockage chez SAFT nuance cette dynamique et estime que les modèles économiques sont difficiles à anticiper et que le marché du stockage résidentiel n’a de sens que dans quelques pays comme les Etats-Unis, l’Allemagne ou le Japon.

Quels horizons de développement ?

Dans le contexte Français ou le mix énergétique reste en grande partie nucléaire, le tarif réglementé n’est pas encore favorable à l’entrée sur le marché des solutions de stockage. D’après la Cours des Comptes, le tarif réglementé sera de 0,62 €/kWh dans le cas d’une prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires de 50 ans. En comparatif le coût du kWh avec une STEP est de 50 €/kWh et les solutions de batterie Lithium-ion ne devrait pas descendre en dessous de 150 €/ kWh avant 2030 toujours selon l’ADEME. Pour envisager une viabilité économique plus rapide des mécanismes d’incitations financières seraient nécessaires.

Le développement massif des solutions de stockage pourrait venir de la baisse continuelle du coût des panneaux photovoltaïques qui selon l’ADEME devrait être à l’équilibre avec le prix du gros d’ici 2030 et dès 2020 avec les tarifs de vente. Cette baisse permettrait un rebond des raccordements photovoltaïques et la création de nouveaux besoins de stockage.

En attendant, les acteurs du stockage de l’énergie se focalisent sur les pays en voie de développement. L’Afrique, qui compte actuellement 680 millions d’habitants sans accès à l’électricité, connaît de nombreux programmes d’électrification villageoise, avec des solutions de stockage associées à des énergies renouvelables. La société Blue Solutions, filiale du Groupe Bolloré, souhaite ainsi s’inscrire dans la dynamique de développement économique du continent, à l’instar des « bluezones », centres urbains autonomes en énergie équipés des batteries du groupe, présent à Lomé (Togo), Conakry (Togo) ou Bosso (Niger).

 

Le stockage de l’énergie apparaît donc un levier technique prometteur pour le développement des énergies renouvelables et la décentralisation des systèmes énergétiques. De nombreux acteurs vont ainsi devoir anticiper et penser son déploiement chez les particuliers, les entreprises et les métropoles.

Dans le second article, nous nous focaliserons sur le stockage de l’électricité à la maille de l’habitation.

 

Sources :

2 thoughts on “Le stockage de l’électricité, moteur de la transition énergétique ?

  1. J’ai fait une petite étude de faisabilité pour pouvoir devenir indépendant du réseau électrique officiel grâce à la production et à la valorisation de l’hydrogène (couple électrolyseur/pile à combustible) au départ de ma production photovoltaïque ( ca 12.000 kWh/an via tracker), dans une maison isolée de 250m² et répondant au sattut effectif Bepos (eau, électricité, chauffage et même mobilité : cf. http://www.autarcie.be).

    Le gos j-hic c’est le stockage car pou y arriver il me faudrait une batterie impressionnante de (92 !!!) bonbonnes à 200bars, mais je multiplie aussi et d’autant le risque de fuites (l’hydrogène est le gaz le plus volatile et qui passe même à travers certains métaux !). Le stockage de 92 bonbonnes devrait aussi se faire à l’extérieur (je doute fort d’avoir l’autorisation de le faire à l’intérieur). A l’extérieur il sera difficile de mesurer des fuites éventuelles à cause de la situation à l’air libre et donc des pertes importantes peuvent survenir et handicaper fortement ma réserve et tout l’équilibre autarcique du système.
    (Cf. http://www.retrouversonnord.be/Projet_hydrogene.doc)

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