Bilan et avenir de la politique énergétique du gouvernement d’E. Macron – Entretien avec B. Millienne (député MoDem)

Président de l’Agence Régionale pour la Biodiversité Ile-de-France, député MoDem de la 9èmecirconscription des Yvelines, membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire à l’Assemblée Nationale, membre de la Commission Ruralité, Agriculture du Conseil Régional et siégeant au directoire de l’Observatoire Régional des Déchets d’Ile de France (ORDIF), Bruno Millienne nous a reçu afin d’échanger sur le bilan de la politique de Nicolas Hulot, de la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), de la mobilité et de l’organisation verticale des territoires.

Energystream (ES) : L’actualité récente concernant le leadership politique des sujets énergétiques a été chargée. Quelles conclusions tirez-vous du départ de Nicolas Hulot en ce qui concerne la promotion de la transition énergétique ?

Bruno Millienne (B.M.) : Nous allons rester dans la ligne qu’ont fixée Nicolas Hulot et le Président de la République. Je me suis exprimé dessus à titre personnel, j’ai regretté que Nicolas Hulot s’en aille. C’est une figure emblématique. Pour autant, je pense qu’il est très compliqué pour quelqu’un issu de la société civile et aussi engagé que Nicolas Hulot de s’insérer dans un temps politique qui n’est pas le même que celui de la société. Nicolas Hulot dresse un bilan en demi-teinte. Nous, nous dressons un bilan positif. Il y a énormément de projets qui ont été engagés et de nombreuses actions qui ont été crantées.

Dès sa nomination, j’ai contacté François de Rugy avec qui j’ai travaillé quand j’étais rapporteur du groupe de travail développement durable de l’Assemblée Nationale. Il est un homme politique convaincu par les sujets écologiques, et cela depuis de nombreuses années. Je pense que nos actions vont s’accélérer et s’inscrire dans une ligne emprunte de pragmatisme.

De façon générale, je pense que les observateurs auront de bonnes surprises.

ES : La Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), feuille de route en France pour le mix énergétique 2019-2023, devrait être adoptée en fin d’année 2018. Les débats ont rassemblé un grand nombre d’acteurs et permis d’aborder de nombreux sujets. Quels sont, selon vous, les thèmes majeurs de la PPE ?

B.M. : La PPE apportera un échéancier global et transverse, et abordera tous les points sur lesquels nous devons intervenir, que ce soit le logement, l’agriculture, l’automobile, le mix énergétique, les réseaux de chaleurs. Par exemple, comme cela a déjà été annoncé, il y aura découplage. Nicolas Hulot avait déjà annoncé le report de fermetures de certaines centrales nucléaires. La fermeture de Fessenheim est couplée avec l’ouverture de Flamanville. Peut-être que nous allons découpler. Il faut se rappeler que le prix du kWh nucléaire est le plus bas de tous les marchés pour une énergie qui est propre, mise à part la problématique du traitement des déchets. Mais toutes les technologies de production d’énergie ont leurs lacunes. Le prix du kWh renouvelable est quasiment arrivé au prix du prix du kWh nucléaire. Pour autant, reste le problème du stockage. De même pour le gaz vert, nous ne pouvons injecter tout ce que nous serions en capacité de produire. Je pense que les technologies vont évoluer et pourront combler ces lacunes.

ES : Sur la question du gaz, sans rentrer dans les chiffres, êtes-vous pour une décroissance régulière du gaz naturelle ou est-ce que vous considérez qu’à l’horizon de la PPE, cela reste une énergie importante, qu’elle est moins polluante que le pétrole et qu’elle a toute sa place dans la transition énergétique ?

B.M. : Il faut voir comment nous pouvons utiliser ce gaz au mieux, de la manière la moins polluante qui soit. Je prends un exemple, le gaz liquide pour les porte-conteneurs. Si c’est la seule option qu’il y ait pour rendre les déplacements maritimes plus vertueux, utilisons là ! Il n’y a pas de solutions miracles. Le « zéro pollution » ne marche pas pour tous les cas d’usage. Et donc, afin de rendre la filière gaz la plus vertueuse possible, nous l’influençons pour qu’elle aille vers le gaz vert et le power to gaz.

Cependant, il faut rester vigilants, notamment sur le déploiement des méthaniseurs pour ne pas commettre la même erreur qu’avec les éoliennes qui peuvent faire l’objet d’un rejet de la population. Je pense que nous devons faire une cartographie précise, avec les agriculteurs, de là où nous souhaitons implanter les méthaniseurs. Dans l’élaboration de ces schémas, il est nécessaire de réfléchir avec le prisme de la cohérence économique et celui de l’utilité publique.

Enfin, n’oublions pas l’hydrogène. C’est une excellente solution pour les trains, comme nous avons pu le voir en Allemagne avec Alstom. Mais c’est aussi une solution pour le transport routier. C’est une piste intéressante pour tout ce qui est matériel roulant industriel. Par exemple, aujourd’hui, le tracteur est essentiellement gasoil pour des questions de coûts alors qu’existent des solutions alternatives. Demain, nous arriverons à produire le même couple avec de l’hydrogène ou avec l’électrique. Pour tous ces engins excessivement polluants, il faut essayer de pousser les industriels à aller sur l’énergie qui offre les mêmes capacités mais en moins polluant.

ES : Sur le véhicule électrique, je voulais revenir sur un point. Nous savons que la recharge est avant tout au domicile et au lieu de travail. Pour autant, nous avons quand même besoin de bornes accessibles dans l’espace public. Avez-vous eu l’occasion de voir le sujet des solutions de recharge, et en particulier, du rôle public et du rôle des collectivités locales sur ce sujet ?

B.M. : Il faut d’abord construire un réel plan de mobilité. Personnellement, je suis un fervent partisan des minibus, 15-20 places, qui sont électriques et autonomes. Pourquoi ? Prenons le cas des grandes banlieues comme la région Île de France. Il y a un engorgement systématique le matin des franciliens qui essaient de rejoindre Paris via les gares, et qui, quand ils ne trouvent pas de place de parking, continuent leur route et participent de fait à la congestion des réseaux. Le même phénomène est observable le soir, au retour. Donc, sur ces créneaux-là, utilisons les moyens que nous avons mis en place en verdissant les bus le plus possible, et en créant une flotte de mini-bus autonomes qui, seraient le reste du temps utilisables à la demande.

A vrai dire sur le sujet de l’électrique, ma seule réserve est quand on donne une priorité exclusive à un projet. Les constructeurs autant français qu’allemands misent essentiellement sur le tout électrique. Je me suis déjà exprimé dans l’hémicycle, il y a un an et j’aborderai le sujet avec François de Rugy dans peu de temps : je trouve dangereux que nous axions la lutte globale contre le changement climatique en matière industrielle uniquement sur une voie. La voiture électrique est certes la technologie la plus aboutie mais sa construction a des conséquences carbone non négligeables. J’aimerais que les constructeurs aillent sur différentes pistes comme l’a fait Toyota avec la Mirai. Il faut continuer à explorer de nouvelles solutions car, comme l’a souhaité le Gouvernement, nous n’aurons plus de voitures à moteur thermique en 2040. Et, en attendant, couplons des boitiers bioéthanol sur tous les voitures à moteur thermique essence. Cela fonctionne, il y a du bioéthanol aux pompes et cela permettra de développer la filière biocarburant français. Une incitation fiscale pourra faciliter la généralisation de ce boitier.

ES : En tant que membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire à l’Assemblée Nationale, quelle est votre vision sur la gouvernance énergétique territoriale et sur l’articulation entre régions, départements et intercommunalités ?

B.M. : Je vais vous donner mon point de vue personnel. Partout où le département n’a plus nécessité d’exister, parce que ses compétences pourraient être exercées de manière plus efficiente à un autre niveau existant, il faut s’interroger sur la pertinence de son maintien. Certaines compétences peuvent, selon les cas, être récupérées soit par l’État, la région, la métropole quand elle existe, ou encore par les intercommunalités. En Île de France, il y a certains départements très riches, dont le mien, qui continuent à exercer des compétences que la loi ne leur confie pas notamment dans le domaine économique. Si l’on raisonne de manière pragmatique, le meilleur échelon c’est le couple région-intercommunalités. Nous avons besoin de rationaliser tout en retrouvant de l’efficacité. Dire cela, ce n’est pas un appel à la recentralisation, c’est simplement de la responsabilisation ! Un certain nombre de régions sont déjà vertueuses. Elles ont besoin d’être renforcée par un cadre clair fixé avec l’État, au sein duquel leur liberté de faire serait renforcée ! D’une façon générale, les collectivités territoriales doivent être davantage impliquées dans la transition écologique du pays, c’est pour cette raison que j’ai proposé au PLF 2019 une plus grande territorialisation des recettes de la TICPE pour leur donner les moyens d’agir concrètement.

ES : Et que pensez-vous des systèmes locaux et l’autoconsommation ?

B.M. : L’autoconsommation est une question que je voudrais voir plus étudiée par les maires. Je pense que l’autoconsommation est tout particulièrement intéressante pour les communes rurales. C’est la possibilité pour les maires ruraux d’avoir de la production d’énergie voire d’être autosuffisants et de satisfaire les besoins de tous leurs administrés !

Et, le compteur Linky ? Il est le seul moyen aujourd’hui, de différencier la part d’électricité gratuite de la part de l’électricité payante. Je sais qu’il y a une vraie méfiance, surtout dans la ruralité. Mais le compteur Linky n’est pas plus dangereux que les téléphones portables.

De plus, l’autoconsommation peut répondre à des problématiques de raccordement. Le TURP est trop faible pour que les distributeurs puissent assumer la construction de nouveaux grands réseaux. Sur ma circonscription, ENEDIS et GRDF poussent pour l’installation de petites unités de production électrique ou de l’acheminement gazier car c’est plus facile que de les raccorder aux réseaux.

ES : Un mot pour la fin ?

B.M. :Nous sommes conscients que la transition écologique du pays doit s’accélérer. Nous y sommes prêts. Nous le faisons avec l’ensemble des français et en y associant tous les territoires. Toute transition suppose bien évidemment un accompagnement des pouvoirs publics. Accompagnement indispensable pour parvenir collectivement à ce modèle de société durable. De l’action de l’État aux gestes citoyens le plus simple, nous devons tous contribuer à ce changement.

Pour ma part, et j’en profite pour passer un petit appel. Nous avons créé une fondation d’utilité publique qui s’appelle Au cœur des territoires abritée par FACE. La fondation va aider au portage de projets publics comme privés portant notamment sur l’économie verte – c’est-à-dire, les énergies renouvelables, l’économie circulaire, et l’économie sociale et solidaire – dans les territoires déshérités ou en déshérence. Pourquoi sur ces territoires ? Parce qu’en agissant pour l’économie verte, nous agissons aussi par l’implantation d’activité et d’emplois durables et non délocalisables au développement de ces territoires ! La fondation fonctionne sur le principe de donateur. A titre d’exemple, ArianeGroup est engagé sur la mobilité autonome comme d’autres pourront le faire sur d’autres secteurs en lien avec l’objet de la fondation. Les projets soumis seront étudiés et le cas échéant accompagnés par la fondation qui leur apportera son aide au niveau tant juridique que financier.

 

5 points clé à retenir :

  • La politique de François de Rugy s’inscrit dans la ligne fixée par N. Hulot, emprunte de pragmatisme, mais avec un rythme plus soutenu ;
  • La PPE apportera un échéancier global et transverse ;
  • La mobilité ne doit pas être seulement électrique, il est nécessaire de continuer à explorer et pérenniser d’autres pistes comme les biocarburants et l’hydrogène ;
  • Associer davantage les collectivités territoriales à la transition écologique du pays en recherchant par une simplification une meilleure efficacité d’action ;
  • L’autoconsommation est un véritable atout pour les communes rurales.

 

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