Nous avons vu dans un précédent article que le système énergétique suivait un mouvement structurel de décentralisation, notamment en raison des limites économiques des moyens de production centralisés. La hausse des coûts des technologies conventionnelles suffit-elle à expliquer l’essor de la production décentralisée ? Qu’en est-t-il des critiques autour du coût des énergies renouvelables ?
Cet article vise à dresser un état des lieux des coûts réels du développement des énergies réparties par rapport aux moyens de production centralisés.
Les énergies décentralisées deviennent attractives comparées aux moyens de production conventionnels
La méthode du coût moyen de production (LCOE)
Pour évaluer et comparer les coûts de production des différentes technologies, l’OCDE et l’EIA ont créé la méthode du coût moyen de production actualisé (en anglais, Levelised Cost of Electricity) qui correspond au coût de production moyen supporté par un investisseur sur toute la durée de vie économique de son installation[1].
L’ADEME a utilisé le même outil pour l’appliquer au cas de la France :
Les enseignements
Les estimations américaines et les calculs de l’ADEME présentés ci-dessus présentent une grande variété de résultats. On peut néanmoins en tirer quelques enseignements :
- L’hydroélectricité, la géothermie, la biomasse et l’éolien terrestre sont les technologies de génération électrique renouvelables les plus compétitives
- Ces technologies renouvelables sont, selon certaines études, plus attractives que les technologies conventionnelles, exception faite du nucléaire en France
Ce que ces calculs ne montrent pas toutefois, c’est les tendances structurelles d’évolution des coûts des différentes technologies. Les énergies renouvelables suivent des courbes d’apprentissage accélérées et atteignent progressivement des stades de maturité technologique, notamment l’éolien onshore et le solaire photovoltaïque
A l’opposé, les technologies conventionnelles présentent des coûts croissants. Ainsi, la centrale nucléaire d’Hinkley Point, au Royaume-Uni, bénéficiera d’un tarif de rachat de 100€/MWh pendant 35 ans (et indexé sur l’inflation), un montant supérieur aux tarifs d’achat des installations photovoltaïques et des éoliennes.
Les limites de cette méthode
Ces comparaisons connaissent cependant certaines limites :
- Elles ne différencient pas énergies renouvelables décentralisées et énergies renouvelables centralisées, alors que la taille et la localisation des moyens de production ont des impacts économiques. Par exemple, les unités de production de quelques mégawatts tels que les panneaux photovoltaïques installés sur les toits résidentiels, qui injectent de l’électricité à moyenne et basse tension, tandis que les parcs éoliens offshore ou les barrages hydroélectriques produisent une grande quantité d’électricité à très haute tension. Deux projets d’énergie renouvelable pourront donc avoir des coûts fixes et variables sensiblement différents.
- La méthode des LCOE n’accorde pas d’attention à la capacité des installations réparties à produire à la fois de l’électricité et de la chaleur, selon le principe de la cogénération. Dans ce cas, la cogénération rivaliserait avec la production électrique centralisée et les coûts liés à l’usage d’une chaudière supplémentaire pour fournir l’énergie thermique équivalente.
- Les estimations de coûts par la méthode LCOE ne tiennent pas compte des coûts spécifiques liés aux adaptations du réseau, à l’introduction de compteurs et de réseaux intelligents. On parle alors de coûts associés à l’intégration d’une part croissante d’énergie renouvelable dans le mix électrique.
L’adaptation des réseaux à la production décentralisée et intermittente constitue le principal obstacle économique à l’essor des énergies réparties
Outre leur vertu écologique, les deux énergies renouvelables dominantes -l’éolien et le solaire photovoltaïque- se caractérisent par leur production intermittente. Leur puissance disponible peut varier considérablement au cours d’une même semaine : l’Allemagne a ainsi vu en mars 2012 la disponibilité de ses capacités d’énergies renouvelables varier entre 0,7 et 31 GW. En raison de cette disponibilité plus faible que la moyenne, les installations décentralisées totalisent en 2012 10% de la puissance installée en France, mais ne produisent que 2% de l’électricité.
La production d’origine renouvelable fluctuante et son injection systématique sur le réseau en l’absence d’un dispositif incitant à l’autoconsommation engendrent donc un risque de déséquilibre du réseau. En l’absence de technique de stockage efficace, les énergies intermittentes doivent être instantanément remplacées par une puissance électrique équivalente, dite de « back up », lorsqu’elles cessent de produire.
Le déploiement des énergies intermittentes dans le mix électrique implique donc des investissements associés, qui permettront de doter les réseaux électriques de plus d’intelligence. Il s’agit de la construction de capacités de « back up » pour maintenir une puissance garantie à tout moment qu’elle que soit les variations de production d’origine renouvelable, du renforcement des réseaux afin de raccorder les nouvelles capacités décentralisées et pour permettre le foisonnement des productions intermittentes, et enfin du développement de mécanismes d’ajustement en temps réel liés à l’accroissement de la variabilité et de l’incertitude de la demande résiduelle. Ces trois surcoûts dépendront principalement du taux de pénétration des énergies renouvelables dans le mix électrique et des caractéristiques des systèmes énergétiques des pays. Par exemple, le Danemark a pu gérer une forte pénétration de l’éolien dans la consommation électrique (28% en 2011) grâce à ses grandes capacités d’interconnexions avec ses voisins nordiques. D’autres pays pourront bénéficier de la flexibilité de leurs centrales à gaz.
Le développement des smart grids constitue une solution alternative pour réduire les coûts complets des énergies réparties
Une alternative aux coûteux renforcements des réseaux et à l’ajout de capacités de back up disséminées sur le territoire réside dans le déploiement de smart grids et de dispositifs d’effacement, qui permettent aux consommateurs, qu’ils soient particuliers, entreprises ou collectivités, d’adapter leurs comportements et décisions, et de piloter l’ensemble de leurs équipements en fonction des besoins du système électrique. Il s’agit de rendre l’utilisateur final actif, capable d’optimiser sa consommation, mais aussi de proposer des services énergétiques. Cette intégration du consommateur au sein du système électrique est en outre un facteur favorable à la production décentralisée.
Pour aller plus loin, nous vous conseillons le récent rapport de la Heinrich Böll Stiftung : « Renewables : The only path to a secure, affordable and climate-friendly energy system by 2030 », 2014.
[1] Le LCOE tient compte de plusieurs paramètres, notamment les coûts d’investissement, les coûts d’exploitation et de maintenance (le cas échant le coût d’achat de combustibles et de quotas de CO2), le niveau de production (facteur de charge), le taux d’actualisation, et la durée de vie économique de l’exploitation.
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