Vers un nouvel ordre pétrolier ?

Spectaculaire ! Depuis juin dernier, le prix du Brent, baril de référence extrait en mer du Nord, a chuté d’environ 30% pour s’établir aux alentours de 70 dollars le baril : du jamais vu depuis 5 ans. Les experts évoquent désormais un basculement du marché. Comment en est-on arrivés là ? Sommes-nous face à un phénomène conjoncturel ou une tendance structurelle ? Et quel impact sur la transition énergétique ?

Effondrement des cours du pétrole : pourquoi ?

Depuis 2011, le Brent oscillait entre 100 et 120 dollars le baril. Si tout a changé depuis l’été dernier avec la chute brutale du cours de l’or noir, c’est d’abord dû au ralentissement de la demande mondiale. L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) n’hésite d’ailleurs pas à pointer « la faiblesse persistante des économies européenne et chinoise » ainsi que des « livraisons de pétrole plus faibles que prévu au Japon et au Brésil ». L’essoufflement de la Chine, 2ème plus gros consommateur de brut du monde, y est notamment pour beaucoup.

La surproduction durable est la seconde explication. Plusieurs pays comme la Lybie, l’Irak, le Nigéria ou la Syrie continuent à produire du pétrole en dépit de leur instabilité chronique. Par ailleurs, l’OPEP, qui pompe environ 30% de l’or noir mondial, a décidé fin novembre de ne pas réduire ses volumes de production. Mais cette abondance de l’offre s’explique surtout par le boom du pétrole de schiste américain : la production envisagée serait de 9,5 millions de barils en 2015 (d’après l’agence américaine d’information sur l’énergie). Une énorme progression qui correspondrait, d’après les économistes de la Commerzbank, à l’arrivée sur le marché d’un nouveau producteur de pétrole de la taille de l’Irak et du Qatar réunis !

Enfin, la remontée du dollar, au plus haut depuis mars 2009 a favorisé l’effondrement des cours : le pétrole s’achetant et se vendant en dollars, le prix du baril baisse quand le dollar monte.

Pétrole bon marché : une tendance durable

En matière de prix de l’or noir, rien n’est jamais écrit à l’avance. Néanmoins, on ne peut réduire cette baisse des prix à un phénomène conjoncturel. Pourquoi ? Parce que les perspectives de reprise de la croissance mondiale restent bouchées, et surtout parce que la baisse des cours du pétrole résulte d’une volonté géopolitique : celle de l’Arabie Saoudite, premier exportateur mondial de brut.

Si l’Arabie Saoudite encourage la baisse des cours de l’or noir, c’est avant tout parce qu’elle rivalise de plus en plus avec les hydrocarbures non-conventionnels, comme le pétrole de schiste américain évoqué plus haut. La guerre des prix fait rage : si le baril tombait sous la barre des 70 dollars, 20% de la production de pétrole de schiste ne serait plus rentable… Par ailleurs, ces nouveaux hydrocarbures ont réduit de façon considérable les besoins d’importations des États unis, obligeant ses fournisseurs comme l’Arabie Saoudite à trouver d’autres débouchés. Le royaume Wahhabite s’engage donc aujourd’hui plus que jamais dans une stratégie de conquête de ses parts de marché à l’international.

La baisse des prix du pétrole est aussi un moyen pour l’Arabie Saoudite de faire pression à la baisse sur les rentes pétrolières de ses deux grands rivaux : la Russie et surtout l’Iran. Ces deux pays, qui ne disposent pas comme l’Arabie Saoudite de 750 milliards de dollars en réserve de change, encaissent beaucoup plus difficilement le choc d’une baisse des cours.

Bien sûr, au sein de l’OPEP, le bras de fer est réel sur la question de la production. Certains membres, comme le Venezuela dont 96% des recettes d’importation dépendent du pétrole, ont des difficultés à faire face à leurs dépenses budgétaires. Mais c’est bien l’Arabie Saoudite qui a le dernier mot et on voit mal ce qui pourrait la faire renoncer à sa politique de bas prix.

La transition énergétique freinée ?

Le concept de transition énergétique est intimement lié au prix de l’or noir, qui reste la première source d’énergie dans le monde. Il faut ainsi remonter au premier choc pétrolier de 1973 pour trouver les premières volontés des États de trouver des alternatives aux énergies fossiles.

Penser qu’un pétrole bon marché pourrait être une opportunité pour la transition énergétique revient à faire preuve de naïveté. Alors que les déficits budgétaires font figure d’ennemi public, il est peu probable que les économies réalisées sur la facture énergétique (environ 5 milliards d’euros) soient réinvesties pour encourager le développement des énergies renouvelables.

À terme, un pétrole peu cher pourrait être au contraire un inconvénient pour l’environnement. Philippe Chalmin, économiste et spécialiste des matières premières le confirme: « nous avons besoin d’une énergie chère pour faire une transition énergétique digne de ce nom ». Bien sûr, on peut craindre l’impact de ce prix bas sur la quantité de gaz à effet de serre rejeté dans l’atmosphère. Mais au-delà de ces considérations, un pétrole cher incite les entreprises comme les consommateurs à se tourner vers des sources d’énergies alternatives au premier rang desquelles figurent les énergies renouvelables. Si le pétrole est moins cher, ces énergies sont forcément moins compétitives et donc moins attractives. Sans compter que les compagnies pétrolières, avec des recettes en baisse, risquent de freiner leurs investissements, y compris dans ceux destinés au développement de technologies énergétiques alternatives. Autrement dit, le pétrole bon marché risque d’avoir un véritable effet démobilisateur.

En définitive, c’est toute la stratégie énergétique européenne qui risque d’être remise en cause par l’effondrement des cours du pétrole. Si les États veulent continuer à faire progresser au même rythme la part des énergies renouvelables dans leurs mix énergétiques respectifs, ils devront faire preuve d’encore plus de volontarisme. Malheureusement, le projet de loi sur la transition énergétique, bien silencieux sur la question de la sortie du pétrole, n’annonce rien d’encourageant…

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