La fin de l’âge d’or du nucléaire à la française ?

Le 4 mars dernier, les dirigeants d’Areva annonçaient des résultats financiers préoccupants. Au titre de l’exercice 2014, le champion mondial du nucléaire cumule 5 milliards d’euros de pertes (soit 60% de son chiffre d’affaires), un recul de 8% du chiffre d’affaires et un endettement record de 4,6 milliards d’euros pour un capital de 3,6 milliards d’euros.

 Pour bien  comprendre cette situation, rappelons-nous que la multinationale française est détenue à 87% par l’État. Historiquement, ce-dernier, l’a toujours considérée comme le bras armé de sa stratégie d’indépendance énergétique engagée il y a plus d’un demi-siècle par le Général De Gaulle. Comment le fer de lance de la politique énergétique française du début des années 2000 se retrouve-t-il dans cette situation ?

 Explications…

Des investissements lourds sans les retombées espérées

Les nombreux investissements réalisés depuis 2007 sont perçus par la presse comme responsables de la situation financière actuelle d’AREVA. L’exemple souvent cité est celui du rachat d’Uramin : en 2007, Areva rachète une jeune société canadienne détentrice des permis d’exploitation de plusieurs gisements d’uranium en Namibie, en République Centrafricaine et en Afrique du Sud. Le prix d’achat est élevé (1,8 milliards d’euros) auquel vient s’ajouter près d’un milliard d’euros d’investissements pour la mise en exploitation de cette nouvelle acquisition. Mais le sondage géologique pour vérifier le potentiel des gisements n’avait pas été réalisé. Les gisements disposaient d’une quantité de minerais bien moins élevée que prévue et exploitable dans des conditions industrielles complexes. S’en sont donc suivies des provisions comptables de 400 millions d’euros en 2010 et de plus d’un milliard 400 millions en 2011 causées par la dépréciation de l’actif Uramin.

En parallèle, la stratégie de commercialisation de l’EPR 3ème génération n’a pas porté ses fruits.

Comme le montre les deux graphiques suivants, les projets de Flamanville (construction assurée par EDF) et d’Olkiluoto (construction assurée par AREVA) ont dérapé sur les plans temporel et financier. L’EPR français accuse un retard de plus de 5 ans et affiche une facture multipliée par 2, et le projet finlandais 10 ans de retard et 4 milliards d’euros de surcoût.

ERP Flamanville ERP Japon

Source : Solucom

Plusieurs éléments permettent d’expliquer ces difficultés industrielles :

  • Il s’agit des deux premières constructions de la nouvelle génération d’EPR,
  • Areva n’avait plus construit d’infrastructures de cette ampleur depuis plusieurs dizaines d’années,
  • Les prix et les délais sont souvent sous-évalués au moment de la contractualisation.

Des difficultés qui impactent fortement les finances du groupe AREVA à plusieurs niveaux.

Directement : plus de treize provisions pour un montant total de 4 milliards d’euros ont été passées par le groupe nucléaire suite aux dépassements du projet d’Olkiluoto. Le contrat entre l’électricien finlandais TVO et Areva impose une livraison clé en main, ce qui signifie que l’ensemble du risque  est supporté par le constructeur. De plus, une série de conflits juridiques entre les deux entreprises sont actuellement en cours d’arbitrage

Indirectement : cette situation a pesé sur la capacité d’ AREVA à gagner des contrats, notamment en Chine et aux Émirats où le dérapage des délais de construction a refroidi les investisseurs.

L’énergie nucléaire n’a plus la côte

Les difficultés ont été amplifiées par un contexte économique et commercial défavorable à l’énergie nucléaire.. Depuis la catastrophe nippone de 2011, les populations et les autorités de sureté nucléaire demandent sans cesse plus de sécurité. Ainsi, le coût des installations et les investissements de maintenance sont en constante augmentation. Un phénomène qui rend l’énergie nucléaire de moins en moins compétitive face aux énergies renouvelables dont les coûts sont à la baisse.

Le constat théorique est confirmé empiriquement :

 Nucléaire coût des installations

 Source : World Nuclear Industry Status Report 2015 Lien vers le rapport

Cette situation s’explique également par le désengagement de plusieurs acteurs majeurs du marché tel que le Japon qui redémarre à peine le premier de ses 40 réacteurs arrêtés suite aux évènements de Fukushima. L’Allemagne et la Suisse ont annoncé l’arrêt progressif mais définitif de l’ensemble de leurs centrales à horizon 2030. De plus, on notera une baisse de la rentabilité des installations nucléaires notamment responsables de la fermeture de 4 unités par l’énergéticien suédois Vattenfall.

Dans un contexte si tendu, quelles sont les orientations possibles pour Areva ?

 Vers un retour de l’état stratège ?

L’État détient plus de 85% de chacun des deux mastodontes du nucléaire français. Ainsi, il a commencé à définir la feuille de route qui permettra d’adapter l’industrie nucléaire française aux évolutions actuelles du marché. L’État organise notamment la reprise par EDF de la filière « réacteurs » d’AREVA. Cependant, la tendance du marché laisse présumer qu’il faudra faire plus qu’une simple recapitalisation du groupe.

En effet, la stratégie d’Areva reposait sur des hypothèses très optimistes concernant les évolutions du marché du nucléaire à l’international. Ces anticipations associées à la détention d’avantages technologiques ont incité le groupe à investir principalement dans ses filières « amont » (cycle du combustible) et « réacteurs & services » (production d’électricité nucléaire). Or, les perspectives laissent à penser qu’une réorientation des investissements doit s’opérer en faveur de la filière « aval » (traitement des déchets, démantèlement). Effectivement, Si l’amont et le cœur de la chaine de valeur du nucléaire tendent à décliner, le segment d’activités situé en aval est appelé à connaitre une forte croissance à moyen terme.

Ainsi, outre la recapitalisation nécessaire d’AREVA, les dirigeants devront progressivement réorienter leurs efforts vers la gestion des déchets et le démantèlement des infrastructures nucléaires. À noter jusqu’aujourd’hui, aucun projet de démantèlement n’est parvenu au stade ultime du traitement des bâtiments dits « réacteurs » de la centrale. Cette activité demande un réel savoir-faire technologique où il est possible de se différencier et de prendre une position de leader. Et si c’était la voie  du futur pour AREVA ?

Pour aller plus loin sur la filière nucléaire française :  rapport de la Cour des Comptes

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