L’entreprise KEMIWATT, originaire de Rennes, a remporté en avril dernier le Concours mondial de l’innovation dans la catégorie stockage d’énergie grâce à sa batterie Redox Flow à électrolytes biodégradables. Cette technologie de stockage permettrait de faciliter l’essor des énergies renouvelables au sein du réseau électrique en lissant la courbe de production d’électricité.
Les consultants du blog EnergyStream ont ainsi eu le plaisir d’interviewer François Huber, le CEO de cette start-up. Après un bref retour sur l’historique de l’entreprise, découvrez le fonctionnement de cette batterie à électrolytes biodégradables ainsi que la vision de marché de cette start-up innovante.
La genèse du projet KEMIWATT
En 2014, Francois Huber était consultant privé et accompagnait des projets avec une SATT (Société d’Accélération de Transfert de Technologique). Les SATT font l’interface entre les laboratoires de recherche publics et les industriels notamment en finançant des phases de maturation des projets et de preuve de concept.
Parmi les multiples technologies incubées par cette SATT, il y a les batteries Redox Flow. Malgré le potentiel de la technologie, aucune entreprise française ne s’était véritablement lancée dans son développement. La SATT devait donc trouver un porteur de projet. Muni d’une formation ingénieur en génie des procédés, François Huber décide de porter lui-même ce projet et de créer KEMIWATT, qui réussit rapidement une première levée de fonds.
En 2015, l’équipe de R&D développe un système utilisant des électrolytes organiques . La batterie présente ainsi des caractéristiques différenciantes : biodégradabilité, électrolytes non corrosifs, longue durée de vie…
En 2016, suite à une seconde levée de fond, Kemiwatt créé un premier prototype, qui est une première mondiale. Puis en 2017, un démonstrateur industriel Plug&Play (ne nécessitant aucune configuration avant utilisation) est révélé dans le but de commercialiser des produits certifiés d’ici 2 ou 3 ans.
La technologie Redox Flow
Le principe de la technologie Redox Flow existe depuis le XIXème siècle et elle a été développée lors de la conquête de l’espace. En quoi diffère-t-elle de la technologie Lithium-Ion, technologie la plus présente sur le marché actuellement ?
La différence principale est que dans la batterie Redox Flow, l’électrolyte liquide est stocké dans deux récipients externes avec des pompes permettant la mise en contact électrochimique dans un convertisseur. La réaction d’oxydoréduction n’a pas lieu au niveau des électrodes, mais au niveau de l’électrolyte.
Cette structuration de la batterie apporte 3 principaux avantages :
- Une capacité de stockage modulable à partir de la taille des réservoirs d’électrolytes que l’on peut agrandir ou diminuer selon les besoins
- Une meilleure durée de vie du système car cela évite d’avoir la formation de solide sur la surface active des électrodes (plus 10 000 cycles face à environ 3000 cycles pour une batterie Lithium-Ion)
- Une température maîtrisée car les bains d’électrolytes aident à réguler la température
Néanmoins le rendement reste légèrement inférieur à celui d’une batterie Lithium-Ion à cause de la consommation des pompes.
En résumé, la matrice SWOT (Strengths, Weaknesses, Opportunities and Threats) ci-dessous permet de mettre en évidence les enjeux pour cette technologie et les leviers à actionner pour permettre à ce moyen de stockage d’émerger sur le marché.
La vision du marché
Le marché de la technologie Redox Flow
La batterie Redox Flow est utilisable dans le cadre de 2 cas d’usage principaux :
- Le stockage de la production d’électricité des énergies renouvelables (transfert de charge)
- La régulation de réseaux (régulation en fréquence, lissage, stockage stationnaire)
La taille du marché de la batterie Redox Flow représenterait plusieurs milliards d’euros d’ici 2025 pour les batteries REDOX d’après des études faites par des consultants du domaine. Cette étude de marché comprend l’intégration des clients finaux du BtoBtoC.
Le positionnement de KEMIWATT sur le marché mondial du stockage
Selon le segment de marché visé, la typologie des clients visés diffère en termes de besoin. KEMIWATT a donc segmenté le marché en trois typologies de pays :
- Pour les économies matures avec un réseau électrique bien développé et stable (Japon, USA, …) le besoin principal est la régulation du réseau. Ce marché est pour l’instant dominé par les batteries Lithium-Ion. Néanmoins, des systèmes de l’ordre du MW seront utilisés dans quelques années pour le transfert de charge lorsque le réseau ne pourra plus compenser l’intermittence des ENR. KEMIWATT n’est pas assez mature pour ce segment de marché mais se prépare pour l’être le moment venu.
- Pour les économies en croissance rapide (Chine, Inde, …), avec un réseau parfois défaillant les deux cas d’usages sont adressables.
- Pour les économies émergentes (Afrique, Amérique du sud, outre-mer, …) avec un réseau électrique peu développé, le stockage est utilisé principalement en complément des systèmes de production d’énergies renouvelables locaux. La batterie Redox Flow de KEMIWATT est une solution idéale de par sa biodégradabilité ainsi que son faible besoin de maintenance. En effet, ces zones géographiques ne possèdent pas de filière de recyclage des batteries et n’ont pas suffisamment de personnel qualifié pour effectuer des maintenances complexes. Ce qui justifie que ce marché est celui principalement ciblé par KEMIWATT (1,2 milliards de clients).
Le Business Model de KEMIWATT
KEMIWATT vise deux typologies de marché différents :
- La vente de batteries à un intégrateur BtoB qui va intégrer un système de pilotage intelligent adapté (transformation de la batterie en microgrid) au client final
- La vente de batteries à un parc de « storage as a service » qui va exploiter l’électricité stockée par ces batteries sur le réseau puis revendre cette production aux énergéticiens
La start-up s’est donc positionnée en amont de la chaîne BtoBtoC (Business to Business to Client) comme le montre l’infographie ci-dessous :
Le second positionnement est prometteur pour KEMIWATT d’après François Huber car l’ingénierie financière serait basée sur le cout total de possession et non sur le cout à l’achat ; ce qui valoriserait donc la longue durée de vie des batteries Redox Flow et leur faible cout de maintenance.
D’après François Huber le time to market est le facteur clé de succès du marché de la batterie redox flow : « le critère de réussite sera d’être le premier sur le marché, les clients mondiaux veulent un petit nombre de fournisseurs fiables et compétitifs. Le CA de Kemiwatt doit donc atteindre rapidement la dizaine voire la centaine de millions d’euros pour pouvoir être crédible et profiter des effets d’échelle ».
En termes de concurrence, il existe une quarantaine d’industriels dans le monde qui souhaitent promouvoir la technologie Redox Flow. KEMIWATT reste le pionnier de la filière pour la chimie organique avec son démonstrateur industriel lancé en 2017.
EDF a annoncé récemment un plan stockage de 8 milliards d’euros et développe également des technologies alternatives de batterie sur son site R&D des Renardières. Plutôt qu’un concurrent, François Huber considère plutôt le grand énergéticien français comme un potentiel client et partenaire sous le statut d’intégrateur de stockage.
Perspectives de la batterie Redox Flow
L’émergence européenne d’un « Airbus des batteries » semble logique aux yeux de François Huber. Le marché est aujourd’hui verrouillé par les acteurs asiatiques et américains qui l’inondent avec la batterie Lithium-Ion. Le risque pour l’Europe serait de ne vouloir que rattraper le wagon de la batterie Lithium-Ion comme l’a ressenti le grand industriel Bosch qui s’est retiré du marché. Pour François Huber, l’Europe ne doit pas négliger les autres technologies, et la batterie Redox Flow est peut-être le prochain train à prendre et à ne pas manquer pour les industriels européens.