Les clés de la recharge en itinérance pour les poids lourds électriques

A l’occasion de la table ronde organisée le 24 juin dernier, nous avons eu le plaisir d’accueillir une cinquantaine de participants et d’échanger avec nos 4 intervenants sur la recharge en itinérance des poids lourds :

• Marie Defrance, adjointe à la présidente déléguée – CSIAM
• Arnaud de Frémicourt, Head of Heavy Duty Europe – ENGIE Vianeo
• Jean-Thierry Schüler, délégué général France, Belgique et Luxembourg – Alpitronic
• Sandra Villeminot, directrice du développement durable – CEVA Logistics

Alors que l’électrification des poids lourds entre dans une phase décisive, la question de la recharge en itinérance devient incontournable. Longtemps centrée sur la recharge au dépôt pour des usages urbains ou régionaux, l’électromobilité des poids lourds évolue. Elle s’ouvre désormais à la recharge en itinérance, essentielle pour les trajets longue distance. Cette transition s’appuie sur plusieurs signaux forts : appels à projets, fiches CEE, et projections de l’ADEME. Ces dernières annoncent une forte hausse des immatriculations dès 2026. D’ici 2030, la recharge en itinérance pourrait représenter environ 30 à 50 % des recharges des poids lourds électriques. Le déploiement de la mobilité électrique lourde ne se limite pas à des enjeux techniques. Il implique l’organisation de toute une chaîne de valeur : constructeurs, opérateurs, logisticiens, équipementiers et pouvoirs publics.

La recharge aux dépôts et les trajets régionaux encore au centre de la dynamique des poids lourds électriques

Le marché de la mobilité électrique lourde en est encore à ses débuts. Seuls 753 camions électriques de plus de 7,5 tonnes circulent aujourd’hui, soit 1,4 % du parc français.

Certains cas d’usage sont déjà bien identifiés. Ils aident les détenteurs de poids lourds électriques à mieux maîtriser leur rentabilité. Pour CEVA Logistics, deux leviers sont essentiels : la régularité et le kilométrage. Plus un camion roule, plus son coût d’achat, encore jusqu’à deux fois supérieur à celui d’un diesel,  est rapidement amorti. Ce ne sont donc pas les longs trajets qui garantissent la rentabilité. C’est la capacité à rouler chaque jour, de façon prévisible, avec une logistique bien maîtrisée.

La recharge des poids lourds électriques se concentre encore principalement sur les trajets régionaux. Pour les logisticiens, la demande en transport électrique longue distance reste faible. Certains acteurs, comme Vianeo, se positionnent toutefois sur ce marché. Ils anticipent une montée en puissance dans les années à venir. Plusieurs projets voient le jour pour encourager la recharge en itinérance, notamment avec le déploiement de bornes CCS.

Les défis du long courrier pour l’électromobilité lourde

Le transport longue distance avec des poids lourds électriques est aujourd’hui moins développé que le transport courte distance. Il soulève en effet des défis plus complexes, notamment pour la recharge en itinérance. Installer des bornes ne suffit pas. Il faut aussi pouvoir y accéder facilement et au bon moment pour recharger. Pour Marie Defrance (CSIAM), l’accessibilité des infrastructures est un défi majeur. Les poids lourds doivent optimiser leurs trajets en tenant compte de contraintes liées au gabarit, hauteur, longueur, rayon de braquage, et à la réglementation sur les temps de pause. Cela exige une planification précise des trajets et des lieux de recharge.

Pour Alpitronic, il est donc important de concevoir des produits de recharge avec, par exemple, une faible emprise au sol en favorisant des formats comme le portique ou la recharge latérale. Sur le plan technologique, le standard CCS a également des limites. Toujours selon Alpitronic, l’avenir s’oriente vers la technologie MCS (Megawatt Charging System). Cette technologie mieux adaptée aux besoins des poids lourds longue distance, reste cependant plus complexe à deployer.

Voir également notre article sur comment réussir sa recharge en itinérance

Enfin, l’aspect humain ne doit pas être négligé. Les temps de pause réglementaires des chauffeurs doivent être pris en compte dans la conception des aires. Pour améliorer l’expérience client, certains acteurs comme VIANEO installent leurs équipements à proximité de services complémentaires, tels que le snacking ou les machines à café. En effet, ces deux derniers services sont souvent remontés comme besoins par les conducteurs de poids lourds. Les défis liés à la recharge en itinérance sont donc multiples mais plusieurs leviers opérationnels et stratégiques peuvent être activés pour y répondre.

Coordonner les acteurs et garantir la viabilité économique : un équilibre à construire

Réussir le déploiement de la recharge en itinérance pour poids lourds nécessite une coordination étroite entre tous les acteurs. Transporteurs, collectivités, opérateurs de recharge, constructeurs et énergéticiens doivent travailler ensemble.

Une approche territoriale, au cas par cas

Un déploiement efficace des infrastructures de recharge passe par une coordination étroite entre transporteurs, collectivités et opérateurs. Il faut d’abord trouver un terrain adapté. Ensuite, il convient d’identifier les besoins des usagers dans cette zone. Cela se fait en collaboration avec les parties prenantes, notamment les collectivités territoriales.
À Lyon, par exemple, Vianeo a travaillé avec la commune et les transporteurs concernés. Un diagnostic des usages et des besoins a permis de dimensionner sur mesure les stations de recharge de la zone.

La planification comme clé de voûte

Dans la mobilité électrique lourde, les transporteurs se posent une question simple : « Comment et où trouver une station de recharge disponible sur mon trajet ? » Le réseau de recharge pour poids lourds reste encore très peu dense. Il faut donc planifier tous les trajets et les temps de charge. Par exemple, CEVA Logistics utilise des cyclogrammes pour faciliter cette planification. Ils prennent en compte la destination et les pauses réglementaires des chauffeurs.

Des données sur lesquelles capitaliser pour anticiper les usages

La collecte de données sur le terrain est essentielle pour modéliser les usages, fiabiliser les itinéraires et développer des services adaptés à l’utilisation de poids lourds électriques sur des longues distances. Aujourd’hui, aucun outil centralisé ne collecte les données. Cette collecte revient aux différents acteurs de l’écosystème, dont la CSIAM. Par exemple, des tests de camions électriques sur des tronçons longue distance analysent finement la consommation selon les conditions réelles : température extérieure, déclivité, type de route…

Ce travail de modélisation et de partage de la donnée est indispensable pour construire un réseau de recharge pertinent, garant de la rentabilité de l’électrique dans le transport lourd.

Des leviers pour assurer la rentabilité

Pour VIANEO, la rentabilité du modèle repose sur un ensemble de leviers, à la fois externes et internes. Parmi les leviers externes, l’adoption progressive du camion électrique est indispensable pour atteindre une masse critique et rentabiliser les infrastructures. Les subventions jouent un rôle clé sur ce point. Or, aujourd’hui, les aides disponibles, manquent à la fois de prévisibilité et de consistance. À titre de comparaison, l’Allemagne et la Pologne subventionnent jusqu’à 100 % des investissements dans l’infrastructure de recharge. En plus du besoin d’aides et de subventions, la visibilité et la stabilité réglementaire sont essentielles pour rassurer les investisseurs comme les clients. Enfin, une cartographie fine des infrastructures constitue un levier externe important, aussi bien pour faciliter la planification logistique des trajets que la commercialisation des véhicules par les constructeurs.

Du côté des leviers internes, l’optimisation de la maintenance contribue à assurer la disponibilité et la fiabilité des stations de recharge. Cela contribue à la massification de l’utilisation des bornes qui permet d’amortir les coûts et de sécuriser l’investissement (avec une hypothèse d’au moins 20 à 40 camions lançant une recharge par station et par jour). Il faut aussi gérer stratégiquement l’approvisionnement énergétique. Les acteurs privilégient l’achat d’électricité aux heures creuses pour maîtriser les coûts d’exploitation.

Enfin, la concurrence entre opérateurs peut être considérée comme un facteur de dynamisme. Elle tend à favoriser la multiplication des initiatives, l’innovation des modèles économiques et la montée en gamme des services proposés aux transporteurs.

Vers un modèle soutenable : modularité, adoption et montée en volume

Selon Alpitronic, les poids lourds électriques suscitent un réel engouement chez les acteurs de l’écosystème de la mobilité lourde. La réponse apportée aux contraintes des clients et des usagers repose sur une approche progressive, avec des solutions modulables et adaptatives.

D’abord, il est nécessaire de s’appuyer sur la réalité économique : la rentabilité des investissements dans la mobilité électrique lourde dépend notamment d’une adhésion massive des chauffeurs routiers et de la capacité des opérateurs de recharge (CPO) à accroître les volumes pour amortir leurs infrastructures. Cette adhésion et cet accroissement des volumes sont davantage par des optimisations progressives que par des ruptures technologiques, notamment en ce qui concerne les batteries et les apports d’énergie via le photovoltaïque.

La recharge en itinérance des poids lourds électriques s’impose donc comme un enjeu structurant de la transition énergétique du transport routier. Aujourd’hui, l’écosystème mobilise majoritairement les poids lourds électriques sur des trajets régionaux. Il commence aussi à étudier et à répondre aux besoins de recharge sur longues distances. La recharge en itinérance impose de répondre à de nombreux défis pour s’adapter aux réalités opérationnelles : une coordination étroite entre acteurs, une planification fine des infrastructures et une meilleure visibilité et stabilité réglementaire.

*Toutes les données chiffrées mentionnées dans cet article sont issues des échanges tenus lors de la table ronde.

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