Alstom, retour sur les prémices d’une acquisition tumultueuse

Les origines du feuilleton

Tout a commencé mercredi 23 avril dernier, lorsque l’agence de presse Bloomberg lance la rumeur en annonçant que l’américain General Electric (GE) serait en discussion avec le groupe français Alstom pour un rachat dont le montant dépasserait les 13 milliards de dollars !
Les termes de la discussion se sont ensuite rapidement précisés : seule la branche énergie du groupe Alstom est concernée, soit environ 70% de l’activité du géant français (qui intervient également dans le secteur des transports), pour un montant de 12,35 milliards d’euros. Cette branche énergie est divisée entre les secteurs Thermal Power, Renewable Power et Grid : centrales à charbon, éoliennes offshore et turbines à gaz font donc partie du périmètre de la négociation en cours.
Dès le 26 avril, le groupe allemand Siemens entre dans la partie en dévoilant également une offre de reprise : il propose de reprendre les activités de la branche énergie d’Alstom, tout en transférant ses activités ferroviaires au sein d’Alstom en échange, pour un montant de 10,6 milliards d’euros.
Compte-tenu de l’importance du symbole Alstom en France, il n’est pas étonnant que cette actualité défraie la chronique et implique des acteurs au plus haut niveau. On assiste à un véritable feuilleton économique depuis quelques semaines, qui ouvre des débats de fond en matière économique et politique.

Les grands enjeux derrière le duel

Alstom est un fleuron de l’industrie française : fondé en 1928 et membre du CAC 40, le groupe emploie 92 900 salariés dans le monde, dont 18 000 en France et a réalisé un chiffre d’affaires de 20 milliards d’euros en 2013. Dans ce contexte, bien que l’État ne soit plus actionnaire d’Alstom depuis 2006 (et depuis le rachat de ses parts par le groupe Bouygues), le gouvernement est tout naturellement monté au créneau afin de défendre les intérêts de ce symbole de la France industrielle.

Ce duel divise selon plusieurs axes : en matière d’interventionnisme d’État, en matière de vision de l’Europe mais également en matière de stratégie industrielle.

  • Selon le premier axe, partisans d’un libéralisme en matière économique et « nationalistes » qui prônent un interventionnisme de l’État dans la vie des entreprises s’opposent. Le gouvernement semble prendre le parti de s’immiscer dans les négociations : François Hollande lui-même a déclaré que « l’État a forcément son mot à dire parce qu’il est celui qui commande, non pas l’entreprise, mais qui commande à l’entreprise un certain nombre d’achats dans des secteurs tout à fait stratégiques, notamment l’énergie ». Dans la même optique, Arnaud Montebourg, Ministre de l’Économie, du Redressement Productif et du Numérique souhaite faire voter un décret sur l’acquisition d’entreprises stratégiques qui permettra d’assurer le patriotisme économique de la France. Il s’agit ici encore d’une spécificité française : la Chancelière allemande Angela Merkel a pour sa part déclaré que ces décisions « ne relèvent que de l’entreprise ».

 

  • Selon le second axe de lecture, c’est l’Europe qui est au cœur du débat, une Europe plus ou moins libérale selon les camps. La situation est simple : l’un des concurrents est américain, l’autre est allemand, donc membre de l’Union Européenne. Faut-il mettre en place une « préférence européenne » en matière économique ? Bruxelles milite pour une concurrence totale, alors que les États-Unis ou la Chine par exemple font souvent preuve de pragmatisme et s’autorisent parfois une dose de protectionnisme. C’est dans ce cadre que le projet de Décret mentionné plus haut pose problème au niveau européen.

 

  • Enfin, selon de troisième axe de lecture, c’est la stratégie industrielle d’Alstom qui est remise en question. Bien qu’étant un géant français, Alstom reste trop petit pour faire face à la concurrence historique, mais également issue des pays émergents, en particulier asiatiques. Quelques chiffres permettent de mesurer cette réalité : les 20 milliards d’euros de chiffres d’affaires en 2013 mentionnés plus haut sont à mettre en perspective face aux 146 milliards de chiffre d’affaires de General Electric (300 000 salariés) ou aux 75 milliards de Siemens (360 000 salariés). De plus, le groupe industriel se retrouve victime d’un positionnement milieu-de-gamme, face à une concurrence low cost des pays émergents et des acteurs historiques qui ont pris la mesure de cette situation et qui développent des offres à plus grande valeur ajoutée (à l’image de Schneider qui se positionne de plus en plus en tant qu’opérateur de service plutôt qu’en tant que simple fournisseur).

 

Bien loin d’être un simple combat de personnalités (le contact en Arnaud Montebourg et Patrick Kron, P-DG d’Alstom depuis 2003 semble difficile), on assiste donc depuis quelques semaines à un débat idéologique de fond, dont l’issue semble encore incertaine. En outre, Alstom n’est pas la seule entreprise française en négociation actuellement puisqu’un projet de fusion entre le français Lafarge et le géant suisse du ciment Holcim est en cours. Après la fuite des cerveaux, sommes-nous en train d’assister à la fuite des fleurons industriels ?

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