L’effacement diffus, ou l’intégration d’une nouvelle filière – Entretien

Nous poursuivons notre tour d’horizon sur l’effacement. Après une première rencontre avec Ijenko, nous interrogeons ce mois-ci Pierre Bivas, président du syndicat professionnel Cathode et l’un des fondateurs de Voltalis. En tant qu’opérateur d’effacement diffus, Voltalis réalise des effacements de la consommation auprès des particuliers. Premier et unique agrégateur d’effacement diffus qualifié par RTE depuis 2008, l’entreprise a expérimenté en avant-première ce nouveau mécanisme. Face à de nombreux conflits d’intérêts qu’éprouvent les énergéticiens face à l’effacement diffus, Cathode soutient fermement son développement par des opérateurs indépendants, et Voltalis poursuit le déploiement de sa « petite boite qui allège les factures et les émissions de CO2 ». Focus sur les raisons qui opposent Voltalis aux énergéticiens.

1) Voltalis réalise des effacements diffus qui consistent à réduire temporairement la consommation des particuliers. Comment cela fonctionne-il ?

Les particuliers souscrivent gratuitement à nos offres d’effacement diffus. Voltalis réalise pour eux des économies d’énergie, de façon transparente, en procédant à des micros effacements de l’ordre de quelques minutes sur les millions d’appareils connectés en temps réel répartis dans les logements des adhérents. Chaque particulier a la possibilité de déroger à l’effacement via un bouton situé sur le boitier d’effacement. Voltalis propose une solution écologique et économique totalement gratuite et transparente pour le particulier. Elle met de plus gratuitement à disposition de ses adhérents des outils de suivi de consommation, leur permettant d’analyser leur consommation en temps réel ou différé, avec des historiques.

2) Grâce à l’effacement diffus, vous promettez jusqu’à 15% d’économie sur la facture pour le particulier. Ce chiffre n’est pas partagé par tous les acteurs de l’énergie, comment le justifiez-vous ?

Ces 15% d’économie pour le particulier proviennent de l’expérience des adhérents de Voltalis, expérience large et cumulée sur plusieurs années. Cette expérience a commencé à être connue du grand public lors du déploiement engagé en Bretagne durant l’hiver 2009/2010 qui a débouché sur l’intégration de l’effacement diffus au sein du Pacte électrique breton. Les particuliers ayant participé à l’effacement diffus ont pu réaliser une économie moyenne allant jusqu’à 150 à 250 € par an sur leur facture d’électricité.

Les différents acteurs de l’énergie ne s’accordent effectivement pas de manière unanime sur les économies qu’il est possible de réaliser grâce aux effacements diffus. Certains acteurs, comme les énergéticiens, qu’ils soient publics ou privés, ont intérêt à vendre de l’électricité plutôt que de voir se développer l’effacement diffus en France, perçu comme une concurrence à la vente et donc aussi à la production d’énergie.

Il est aussi nécessaire de faire un distinguo entre l’effacement diffus tel qu’opéré par Voltalis et l’effacement industriel. Le métier de Voltalis induit des économies d’énergie : lorsque nous effaçons des radiateurs chez un particulier, nous cherchons à réduire sa consommation d’énergie pour un même niveau de confort, c’est-à-dire que nous évitons des gaspillages. Lorsqu’un industriel choisit d’effacer sa consommation d’énergie à un instant où l’électricité coûte cher pour la reporter à un autre moment où il la paiera moins cher, la quantité d’énergie consommée reste sensiblement la même. La valeur de l’effacement diffus et celle d’un tel effacement d’un industriel ne sont donc pas comparables. Il y a là des métiers différents.

3) Opérateurs d’effacement, énergéticiens, collectivités, industriels, … Les acteurs capables d’influencer le développement de l’effacement sont nombreux. Qui seront selon vous les moteurs de l’effacement diffus en France ?

Les acteurs moteurs de l’effacement diffus sont d’abord ceux qui promeuvent une politique de réduction de la consommation. Je pense donc aux particuliers dont l’intérêt est la réduction de leur facture, et à tous ceux qui défendent les consommateurs, et une transition énergétique qui leur apporte du pouvoir d’achat. RTE sera aussi de la partie et se sert déjà de l’effacement diffus pour assurer l’équilibre production / consommation sur le réseau de transport ; mais l’effacement diffus doit pouvoir se développer bien plus encore, selon la logique de la loi Brottes (du 15 avril 2013) si elle est bien traduite conformément aux intentions du législateur dans les règles que RTE doit proposer à la CRE.

4) Depuis le 1er janvier 2014, un mécanisme transitoire «  NEBEF » est en cours d’expérimentation. Ce dernier devait permettre aux opérateurs d’effacement de valoriser les effacements sur le marché Spot de l’électricité. Ce mécanisme ne semble pourtant pas avoir accéléré le développement de l’effacement. Comment l’expliquez-vous ?

Pour garantir un développement durablement, la loi a prévu de valoriser l’effacement diffus sur les marchés de l’énergie. Le rôle du futur mécanisme NEBEF est justement de permettre cette valorisation, et ainsi d’intégrer la sobriété énergétique au fonctionnement des marchés.

Mais les premières règles mises en place à titre expérimental contiennent plusieurs barrières, espérons-le transitoires, car elles ne respectent pas cette logique fixée par la loi. En particulier, ces règles imposent aux opérateurs d’effacement de reverser l’essentiel de leurs revenus aux énergéticiens. Ceci pour compenser la baisse des factures des consommateurs, du fait que l’effacement diffus réduit les quantités d’énergie consommées. Les opérateurs d’effacement diffus voient ainsi leurs revenus captés par les vendeurs d’électricité, alors que ceux-ci ont livré moins d’électricité. Ceci bloque ce nouveau métier, à la fois efficace économiquement, et utile socialement. Il s’agit d’apporter du pouvoir d’achat aux consommateurs, et de rendre le système électrique moins cher. Mais les règles expérimentales actuelles bloquent le développement de cette nouvelle filière.

5) Effectivement, le nouveau décret du 03 juillet 2014 prévoit que l’opérateur d’effacement verse une indemnité aux fournisseurs d’électricité. Pourquoi cette indemnité ne vous semble-t-elle pas légitime ?

Les énergéticiens subissent un manque à gagner du fait de la réduction des consommations via l’effacement diffus. Pour le compenser, ils ont fait ressortir la nécessité de les indemniser pour une supposée électricité prétendument injectée sur le réseau et non vendue car effacée. Cependant, l’énergie ne pouvant pas être stockée sur le réseau, la quantité injectée est à tout instant égale à celle qui est consommée. Toute l’électricité injectée est simultanément consommée, et payée par ceux qui la consomment. Il n’y a pas d’électricité produite et non vendue.

L’effacement diffus évite une production, en évitant une consommation, ce qui réduit les revenus des fournisseurs d’électricité. Les nouveaux mécanismes ouvrent la porte à de nouveaux concurrents, et ainsi à une modération des prix de l’électricité. Par exemple, lorsqu’un déséquilibre est constaté sur le réseau, RTE peut désormais via le mécanisme d’ajustement décider d’acheter l’énergie manquante ou d’acheter des effacements de consommation. Dans le second cas, l’opérateur d’effacement est alors rémunéré par RTE, car il est moins cher – contrairement à la centrale électrique, qui ne produit pas car trop coûteuse. Au total, les consommateurs sont gagnants, car ils font des économies d’énergie, et ils permettent de modérer les coûts de l’électricité.

Ainsi, si l’on pousse le raisonnement plus loin, l’effacement diffus sera source de bénéfices pour les énergéticiens, en réduisant les coûts de la production d’électricité. L’effacement diffus est beaucoup plus économique que le maintien et a fortiori la construction de centrales de pointe, déjà non rentables, et qui n’existent que parce qu’elles sont subventionnées par les consommateurs. Cela provient du temps du monopole, dont certains voudraient maintenir la logique. Non seulement cela est très coûteux pour le pays, mais en outre certaines centrales doivent fermer pour des raisons environnementales, comme le rappelle le bilan prévisionnel établi par RTE. Il ne serait pas raisonnable d’en construire de nouvelles, aux frais des consommateurs, puisqu’elles sont très chères et sans aucune perspective de rentabilité, tandis que l’effacement diffus apporte une solution éprouvée, économique, écologique et sociale.

6) Face à ce contexte, quelle est votre stratégie de développement ?

Nous souhaitons développer l’effacement diffus en France mais aussi en Europe et au delà. Malgré les obstacles imposés par les règles expérimentales de la CRE en accord avec certains énergéticiens, une directive européenne transposable en droit français depuis le 5 juin prévoit de valoriser l’effacement de la consommation au même titre que la production. L’effacement diffus finira par se développer, et contribuera ainsi à apporter du pouvoir d’achat à des millions de français, à créer des milliers d’emplois en France, et au rayonnement de la technologie française à l’international.

Comme pour la création de tout nouveau marché, les raisons de s’opposer restent nombreuses entre nouveaux acteurs comme Voltalis et acteurs en place comme les énergéticiens. Les prochains mois et la précisions des règles du jeu pour ce nouveau marché seront décisifs pour l’avenir de l’effacement en France.

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