[Politique 2017] La vision et la politique énergétique du nouveau gouvernement – Interview de François-Michel Lambert [LREM]

Le Président élu Emmanuel Macron a réaffirmé le 19 septembre dans son discours à l’ONU que la lutte contre le changement climatique est une priorité. Nicolas Hulot a accepté un rôle clé en devenant ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire. Le 6 Juillet dernier, il a présenté un Plan Climat très ambitieux pour accélérer la transition énergétique et climatique. Le président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, ancien député EELV, est bien connu pour son activisme en matière d’environnement… Autant de signaux qui soulignent une ambition  forte pour la France d’accélérer vraiment sa transition énergétique.

François-Michel Lambert, député LREM réélu, anciennement EELV, de la 10e circonscription des Bouches-du-Rhône, est reconnu pour ses convictions environnementales (membre de la Commission Développement Durable et Aménagement du Territoire de l’Assemblée nationale, Président fondateur de l’Institut de l’économie circulaire). Il a accepté de partager ses convictions et la vision du nouveau gouvernement et de la majorité parlementaire sur l’avenir de l’énergie.

EnergyStream (E.S) : Nous observons une transformation profonde du secteur de l’énergie, selon trois grands axes d’analyse : plus durable, plus intelligent, et plus local. On constate en effet un développement soutenu des énergies renouvelables et des initiatives liées à la sobriété énergétique ; l’avènement progressif des réseaux intelligents – ou smart grids – qui s’appuient sur l’intelligence artificielle et l’Internet des Objets pour gagner en efficience dans la gestion de l’énergie ; une accélération des initiatives territoriales et citoyennes, qui accompagnent la transition énergétique à l’échelle locale. Quelle est votre vision de la transformation du monde de l’énergie et du mix énergétique à horizon 2030 ? A quelle vitesse va s’opérer, selon vous, la décentralisation du système énergétique ?

François-Michel Lambert (FML) : Tout d’abord, je vous confirme que les trois axes que vous avez évoqué sont des éléments extrêmement structurants des transformations du monde de l’énergie, et en particulier en France, avec nos 19 centres de production nucléaire, qui font 75% de la production d’électricité française (et non pas de l’énergie).

Les data pour l’énergie, la production décentralisée, et l’évolution de nos modes de consommation sont des facteurs d’influence majeurs.

En France, nous bénéficions d’un réseau de gaz développé grâce à des investissements assez remarquables. Par ailleurs, la France est un pays qui ne manque pas d’énergies renouvelables, la question est de savoir les mobiliser. Enfin, la France est un pays qui est loin d’être à la pointe quant à la lutte contre le gaspillage, et donc si nous nous attaquons à cet élément de fond, on peut avoir des performances de sobriété qui font rapidement baisser le besoin.

Le gisement de l’énergie électrique va certainement quitter certains usages, et notamment le chauffage et la chaleur, et sera remplacé par d’autres énergies qui seront peut-être plus adaptées, comme le gaz. Le mix énergétique sera aussi sûrement plus territorialisé.

E.S : Avec le développement progressif et de plus en plus rapide des EnR (locales par excellence) et l’avènement des réseaux intelligents, est-ce qu’il n’y aurait pas, au fond, un rôle à prendre des territoires pour reprendre une place significative dans la transition énergétique ?

FML : Je suis 200% d’accord avec cette vision : les dimensions territoriales sont primordiales, et il faut avant tout travailler sur les ressources disponibles dans le territoire. Il faut inclure la dimension de l’économie circulaire : moins de gaspillage, c’est aussi moins d’énergie nécessaire. Je reviens aux territoires. Il y aura des centres d’appropriation des énergies qui seront différenciés par les us et coutumes propres à chaque territoire. Notre système historiquement centralisé a complètement coupé le lien entre les habitants et la production de l’énergie. Les citoyens n’ont pas le sens d’où vient l’énergie. Ce retour de l’énergie dans les territoires permettra une réappropriation, et donc une mobilisation des citoyens. Une meilleure compréhension des enjeux entraînera une meilleure acceptabilité des projets sur l’énergie et la sobriété énergétique, voire la mobilisation des habitants sur des sujets comme le coopératif, l’économie circulaire, les gestes à faire, l’autoconsommation… La territorialisation de l’énergie a une dimension socio-économique et sociétale : comment travaille-t-on à redonner au citoyen la perception de ce qu’est l’énergie, et qu’il a sa place et son rôle dans l’énergie dont il dispose ? En bref, il faut redonner du lien entre l’énergie et le consommateur. Il y a un changement de société à faire émerger.

Techniquement, l’axe urgent sur lequel nous devons mettre le maximum de moyens est celui de la data. Il faut travailler sur la production et le traitement des data pour améliorer l’efficience de l’énergie disponible dans les territoires.

E.S : Nous partageons le diagnostic sur le rôle primordial des territoires et des citoyens qui se réapproprient l’énergie, et sur l’importance majeure de la data pour mieux piloter l’efficience énergétique.  En ce sens, est-ce que le gouvernement ou les parlementaires sont en train d’étudier des projets qui permettraient d’encourager les initiatives locales, ou de renforcer le rôle du numérique au service de la transition énergétique ?

FML : Je ne travaille sur ce sujet pas à titre personnel. Je pense que l’on est un petit peu trop attentiste sur ces questions, on n’ose pas prendre certains risques, notamment vis-à-vis de la blockchain et de l’autoconsommation ou sur la question de la structuration de la collecte des données.

Aujourd’hui, des territoires scannent l’usage des énergies (transport, énergie, agriculture etc..) et génèrent, à partir de ces données, des indicateurs pour guider des politiques locales. En revanche, nous n’avons pas de réelle stratégie à l’échelle nationale, nous en sommes aux expérimentations.

Il y a également un problème médiatique : les médias se focalisent sur les sujets visibles, comme les éoliennes et les panneaux solaires, sans relayer les sujets impalpables, immatériels, que sont par exemple le changement de nos habitudes de consommation et la sobriété énergétique, qui représentent paradoxalement de formidables bras de leviers. Forte de ce constat, l’administration reste prudente, elle ne prend pas de risques et ne fait pas évoluer les règles (fiscalité, cadre réglementaire, innovations). Elle est bien dans son rôle, car c’est au politique de prendre les risques.  Or, les politiques ne s’emparent pas de ce sujet, car il n’est pas médiatiquement relayé.

Ce sont donc aux citoyens et aux territoires de porter leurs projets, et aux politiques de prendre des risques au niveau national ou au sein des territoires. Je déplore que nous n’ayons pas le temps de nous pencher sur ces questions, aux vues de l’urgence de la situation.

Il faut réellement redéfinir nos comportements et engager des transformations de la société en profondeur. Je ferai l’analogie avec la suppression récente des primes à l’achat de vélos à assistance électrique (50 millions d’euros du budget). Certains veulent la maintenir « sous réserve de ressources », c’est-à-dire la réserver aux personnes les plus démunies. C’est une bonne mesure du point de vue de l’équité, en revanche, ce n’est pas nécessairement l’approche la plus adéquate si on part du postulat que les personnes ne touchant pas les aides ne décideront pas par elles-mêmes d’acheter ces vélos. Il faudra peut-être aller plus loin pour atteindre une masse critique d’utilisateurs de vélos à partir de laquelle nous pourrons dire que nous avons fait effectivement évoluer les comportements. Le sujet n’est pas l’éventuel risque d’effet d’aubaine pour certains consommateurs, mais la question du niveau d’investissement qui permet une vraie transformation de la société.

L’exemple est parlant à Strasbourg, où 15% de la mobilité est électrique. Cela a totalement changé la vie à Strasbourg. On constate des changements forts sur la ville, les comportements et les prises de conscience. L’innovation est plus à même d’y pénétrer, notamment en termes d’énergie.

E.S : Au fond, les questions d’énergie ou de transition énergétique vont donc bien plus loin que les simples questions de production et de consommation d’énergie. Elles posent des questions sociétales, qui amènent à repenser l’ensemble des modes de vie et la manière dont les français vivent ensemble, notamment dans les villes. Dès lors, comment transformer nos modes de consommation ? Comment les rendre plus raisonnés ? Quelles évolutions sont à prévoir ?

FML : Et si au lieu d’aider à la production on aidait à la consommation ? Que se passerait-il si nous dirigions nos aides financières vers le consommateur ? Je co-préside l’atelier « Alimentation et proximité » aux Etats Généraux de l’Alimentation dans lequel nous nous demandons justement si, pour le marché de l’alimentation, il faut aider à générer l’offre (push) ou la tirer par la demande (pull). En l’occurrence, le choix s’est fait sur une offre tirée par la demande, et même s’il y aura des ratés, tout réside dans la visibilité que l’on donne à ces projets.

Ainsi, pour faciliter la rencontre de l’offre et de la demande dans le marché de l’alimentation, nous proposerons une plateforme numérique permettant à la demande d’estimer et d’exprimer ses attentes, de manière précise et chiffrée, et à l’offre d’adopter la bonne posture pour y répondre. Et inversement, la demande devra être agile et s’adapter aux aléas de l’offre. Le but est de donner de la visibilité aux acteurs.

De même, dans l’énergie, il faut se poser la question de comment faire tirer la demande : on peut imaginer des systèmes financiers, comme des crédits donnés à ceux qui achètent de l’électricité 100% renouvelable, leur permettant ainsi d’acheter des travaux de rénovation thermique, du matériel de basse consommation, etc… Il faut sortir des schémas classiques de Bercy et réinventer les nouvelles manières de tirer le marché.

E.S : On a en effet tendance à se focaliser sur l’offre, mais pour développer un marché il faut effectivement de la demande, et ces perspectives ouvrent un large champ des possibles pour les acteurs publics et privés. Revenons à un thème majeur de votre engagement politique : vous avez rajouté un volet sur l’économie circulaire dans la LTECV. En quoi peut-elle s’appliquer au secteur de l’énergie et de l’environnement ?

FML : Nous devons bâtir des écosystèmes autour de la question de la ressource disponible, pour créer de l’efficience dans l’usage des ressources, au sein de chaque territoire, et au regard de leurs spécificités. L’énergie est une de ces ressources, qui a en plus un symbole fort. Il faut donc créer des dynamiques d’économie circulaire, qui sont d’aller vers des modèles avec moins de gaspillage, et d’amélioration continue pour mieux utiliser les ressources, les préserver, les réutiliser et les transmettre. Quelle que soit la forme de l’énergie (méthane, électricité, chaleur), dans une logique d’économie circulaire, elle peut être vue comme de la matière. Il faut se poser la question de l’efficience de l’usage de cette ressource à l’instant t, et comment créer une cascade jusqu’à l’épuisement de ce qu’elle peut donner. Une démarche d’amélioration continue permettra de maximiser son usage. Que les ressources soient endémiques au territoire ou importées par la consommation, elles sont intimement liées à l’énergie. Ce lien doit être pris en compte dans les politiques territoriales.

E.S : Le passage d’un modèle linéaire à un modèle circulaire suppose aussi de réinventer nos indicateurs de performance et de prendre en compte les externalités. Quel est votre point de vue sur la question, et quel devrait être le juste prix du carbone ?

FML : La prise en compte des externalités positives et négatives sont indispensables pour l’économie circulaire. Au sein de l’Institut de l’Économie Circulaire, nous travaillons sur ce point, avec de la recherche en comptabilité pour établir de bons modèles et de bons indicateurs.

Concernant la CCE (Contribution Climat Energie), c’est un des leviers fiscaux les plus intéressants pour l’économie circulaire. On remarque, en effet que les modèles d’économie circulaire peuvent aller jusqu’à 80% d’économie d’énergie par rapport à un modèle linéaire. Et donc si l’énergie renvoie à un poids carbone, il devient alors intéressant de charger fiscalement le carbone et/ou le CO2. Ainsi, par effets induits, les modèles les plus efficients dans la production et l’usage des énergies créeront un différentiel leur permettant de se déployer.

Il faut avoir des trajectoires en macroéconomie pour toucher la microéconomie. Aujourd’hui nous sommes encore dans des effets d’annonce et nous avons besoin de stabilité. Les fourchettes de recommandation de taxes de fiscalité, CCE ou autre, sont absolument nécessaires pour rassurer et donner envie à l’industrie d’investir, et aussi diminuer la prise de risque des politiques dans leur territoire.

Les 5 points à retenir :

  • Les 3 facteurs structurants de la transformation actuelle du marché de l’énergie sont la data, la production décentralisée et l’évolution de nos modes de consommation.
  • Le retour de l’énergie dans les territoires permettra une réappropriation et une mobilisation des citoyens. Une meilleure compréhension des enjeux entraînera une meilleure acceptabilité des projets sur l’énergie et la sobriété énergétique, voire la mobilisation des habitants sur des sujets comme le coopératif, l’économie circulaire, les gestes à faire, l’autoconsommation… Techniquement, la territorialisation de l’énergie sera un facteur de succès incontournable.
  • Sur les questions numériques, les politiques sont généralement trop attentistes. En matière d’énergie, il n’existe pas de véritable stratégie nationale de la data pour coordonner les expérimentations des collectivités territoriales.
  • Il faut construire notre stratégie autour du consommateur (« pull »), notamment en lui proposant des aides financières.
  • Concernant les CCE, l’Etat se doit définir une trajectoire qui reste stable et donner le cadre à l’ensemble des acteurs (territoires et industrie) et ainsi, favoriser les mutations vers l’économie circulaire.

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