Au-delà des interrogations que le compteur Linky suscite depuis le début de son déploiement fin 2015 en France métropolitaine par le gestionnaire de réseau de distribution d’électricité Enedis, ce compteur communicant jouera certainement un rôle important dans le développement des réseaux électriques intelligents – ou Smart Grids.
Les leviers de développement des Smart Grids que le compteur Linky pourrait impacter sont notamment la gestion de l’équilibre offre-demande du réseau électrique à l’échelle du pays et le pilotage, à distance, des usages de l’énergie électrique.
Les réseaux électriques intelligents sont des réseaux qui, au-delà de permettre le flux d’énergie, intègrent une circulation d’information entre les différents acteurs du réseau (fournisseurs, distributeurs, transporteurs, producteurs, consommateurs, etc.). L’objectif de cette circulation d’information est un ajustement du flux d’électricité en temps réel et une gestion plus efficace du réseau électrique.
Le compteur Linky représente l’une des briques constituant les réseaux électriques intelligents et favorise ainsi leur développement
Enedis, distributeur d’électricité en France, déploie 35 millions de ses compteurs communicants Linky à horizon 2021, en réponse aux directives européennes. (Article EnergyStream « Que se cache-t-il derrière la pose d’un compteur Linky ? ») Ces compteurs Linky permettent de collecter des données sur la consommation et la qualité de l’énergie électrique là où ils sont implantés.
L’utilisation des données collectées par le distributeur est un sujet de débat pour certains consommateurs, et pour des associations Anti-Linky. (1) Cependant, le compteur Linky représente l’une des briques constituant les réseaux électriques intelligents et favorise ainsi leur développement.
Les réseaux électriques intelligents permettent l’optimisation de la gestion des flux d’énergie à différentes échelles : depuis l’échelle national ou international jusqu’à l’échelle du consommateur. L’objet de cette article est d’exposer quelques raisons pour lesquelles le compteur Linky s’intègre aux réseaux électriques intelligents.
Le compteur Linky comme source de données permettant d’améliorer le pilotage des réseaux électriques français
La stabilité d’un système électrique, à l’échelle d’une région, de la France ou de l’Europe est assurée par la recherche à tout instant de l’équilibre entre la production et la consommation d’électricité. En effet, pour que le réseau électrique soit stable, il est nécessaire qu’à chaque instant l’ensemble de l’énergie injectée dans le réseau par les différents moyens de production (nucléaires, thermique, renouvelables, etc.) correspondent à la totalité de l’énergie soutirée par les consommateurs (industries, collectivités, particuliers, etc.). A cette équation viennent également s’ajouter les pertes électriques et le stockage de l’électricité.
En France, c’est RTE (Groupe EDF) qui est chargé de piloter cet équilibre. Ce pilotage s’appuie d’une part sur des statistiques de consommation qui permettent d’anticiper les besoins en énergie et ainsi de dimensionner la production nécessaire d’électricité, et d’autre part sur la mesure de la fréquence du réseau en temps réel qui doit rester proche de 50Hz pour garantir l’équilibre.
L’une des fonctionnalités du compteur Linky consiste à mesurer la consommation d’électricité du point de livraison (foyer, entreprise, collectivité, etc.) auquel il est rattaché. Cette mesure de la consommation permet de produire une courbe de charge. Cette courbe de charge est une image de la consommation électrique par pas de 30 minutes par défaut, ce pas étant modifiable dans les limites techniques du compteur.
A titre d’exemple, les schémas ci-dessous présentent d’une part la réalité de la puissance électrique soutirée à un point de livraison (en haut), et d’autre part les informations qui peuvent être enregistrées par le compteur Linky (en bas) : pour chaque tranche horaire de 30 minutes, le compteur peut enregistrer l’énergie (typiquement en kilo Watt-heure) soutirée au point de livraison. L’ensemble de ces enregistrements forment la « courbe de charge ».
Le compteur Linky étant un compteur communiquant, la courbe de charge peut être télé-transmise à Enedis qui dispose ainsi d’informations sur la consommation réelle d’énergie de ses clients français, plus précises qu’avec les compteurs électriques historiques qui devaient faire l’objet d’un relevé manuel par le client ou par un technicien Enedis. LA collecte de la courbe de charge n’est réalisée que si le client final donne son accord à Enedis, à son fournisseur ou à un tiers.
Dans le cadre du pilotage de l’équilibre offre-demande sur le réseau électrique français, les données de consommation précises dont disposent les opérateurs grâce au compteur Linky permettent d’avoir une image plus nette des besoins de soutirage d’électricité sur le réseau.
Jusqu’à aujourd’hui ces besoins étaient déterminés de manière statistique grâce à l’historique des années précédentes. Demain, ces besoins pourront être affinés grâce à la connaissance précise du lieu de consommation et de la quantité d’énergie nécessaire sur ce lieu. L’échelle de détermination du besoin d’énergie est donc resserrée grâce au compteur Linky.
En résumé, le compteur Linky permet de comprendre les habitudes de consommations des utilisateurs finaux de l’électricité – sous réserve de l’accord de ses utilisateurs. Cette connaissance contribue au développement des réseaux électriques intelligents.
Le compteur Linky comme un moyen de pilotage à distance des usages de l’électricité dans la maison
Vous êtes peut-être familier du système d’heures pleines et d’heures creuses proposé par votre fournisseur d’électricité qui vous propose de bénéficier de deux tarifs différents pour votre électricité en fonction de votre consommation en heures pleines ou en heures creuses (périodes de plus faible consommation, notamment la nuit). Le basculement entre les deux tarifications est alors piloté à distance via un signal d’une fréquence de 175Hz circulant sur le réseau électrique aux heures de changement de tarification.
Ce signal permet de piloter l’allumage ou l’extinction d’appareils électroménagers domestiques tels qu’un chauffe-eau ou une machine à laver afin de ne les utiliser qu’en heures creuses. Ce système permet au consommateur de réaliser des économies sur sa facture et soulage le réseau électrique en lissant la consommation d’électricité. L’inconvénient de ce système est qu’il repose sur un unique signal, ne permettant pas de distinguer le pilotage d’un appareil plutôt qu’un autre.
Le compteur Linky permettra cette différenciation. En effet, il dispose de 8 contacts pouvant être raccordés à 8 usages électriques domestiques et permettant de les piloter séparément. Typiquement, les radiateurs électriques pourraient être commandés séparément d’une machine à laver ou du chauffe-eau.
Le système binaire heures pleines-heures creuses pourrait s’affiner en proposant un calendrier journalier intégrant des plages horaires plus restreintes, plus ciblées et s’appliquant à des appareils domestiques spécifiques. Ce calendrier pourrait être téléchargé à distance dans le compteur Linky, par le fournisseur d’électricité via Enedis et être modifié de manière flexible en fonction des contraintes sur le réseau par exemple. L’accord du client final reste un pré-requis pour l’utilisation de ce type de fonctionnalité.
Parmi les multiples usages de l’électricité dans les foyers, certains pourraient être pilotés grâce au compteur Linky. L’utilisation de certains appareils énergivores pourrait être favorisée sur des plages horaires pendant lesquelles l’électricité est moins coûteuse pour le consommateur.
Des expérimentations à l’échelle du quartier
Ce pilotage à l’échelle du foyer (maison individuel ou appartement) pourrait être étendu à l’échelle d’un quartier. L’avantage de ce changement d’échelle est de pouvoir équilibrer les consommations d’énergie, par exemple en absorbant une consommation importante d’un foyer par la réduction temporaire des usages d’un autre, contre dédommagement financier et sous réserve du consentement du client.
Des expérimentations existent au sujet de tels écoquartiers (Article EnergyStream au sujet de l’écoquartier Confluence à Lyon) mais aussi au sujet des moyens envisageables pour gérer les transactions énergétiques et leurs dédommagements financiers associés (Article EnergyStream au sujet de l’utilisation de la blockchain dans le cadre d’un Smart Grid à Brooklyn).
Pour un peu d’objectivité :
INFRACTION À LA LOI INFORMATIQUE ET LIBERTES – CNIL ET AU CODE
DE L’ÉNERGIE
Pour le transfert des données personnelles des clients entre le compteur et le concentrateur par courant porteur en ligne (CPL) : absence d’une licence d’opérateur Télécom obligatoire, permettant la transmission de données (data) par voie hertzienne ou par ondes radio sur le territoire national, en violation du décret n° 93-534 du 27 mars 1993.
Concernant la captation et l’utilisation sans autorisation de la courbe de charge et des données personnelles : violation des engagements signés par EDF avec la CNIL en juin 2014, ainsi que de la recommandation de la CNIL du 2 décembre 2010 et de sa délibération du 15 novembre 2012 ; violation de l’article L. 341-4 du Code de l’énergie, ainsi que de l’article 38
de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux liberté… etc
» commission d’enquête sur les conséquences du programme d’installation des compteurs communicants Linky »
Le coût de ce projet industriel Linky a été estimé à 5,7 milliards d’euros, mais des économistes avancent 8 à 9
milliards d’euros. Dans son rapport publié en février 2018, la Cour des comptes a estimé que le Linky est « coûteux
pour le consommateur mais avantageux pour Enedis » ; elle préconise de réduire le coût à la charge des usagers, qui
devrait être étalé sur plusieurs années à partir de la fin du déploiement.