Recharges de véhicules électriques : comment simplifier le paiement ?

On observe aujourd’hui de nombreux acteurs et corps de métier jouant un rôle dans la chaîne de valeur de la mobilité électrique. Leur articulation est clé pour rendre les services attendus par les usagers mais n’est pas toujours évidente et cela peut rapidement générer des points de blocage. Aujourd’hui, la complexité du parcours de recharge d’un conducteur de véhicule électrique sur les bornes de recharge publiques est un des freins à l’usage. La 2ème édition de l’ « Observatoire de la qualité des services de recharge électrique » présente le fait que :

  • 35 % des utilisateurs de véhicules électrifiés estiment ne pas être capables d’évaluer le coût de la recharge en amont de la facturation (et ce à cause du manque de transparence (34%) et de cohérence de la facturation (29%),
  • Pour procéder au paiement ou à l’authentification, 4 utilisateurs sur 10 possèdent au moins 2 pass de mobilité.

Nos recherches pour la rédaction de cet article tendent à montrer que le parcours utilisateurs n’est pas toujours fluide mais qu’il existe des solutions. Alors comment cela se traduit-il en pratique ? Quelles en sont les explications du côté des entreprises installant les bornes ou les exploitant ? Et que faudrait-il faire pour répondre aux attentes des clients ? L’objectif de cette publication est de mieux comprendre l’écosystème des acteurs intervenant sur la chaîne de la recharge publique, et dresser un bilan des différentes tarifications existant aujourd’hui.

I. Un écosystème d’acteurs dense pour permettre l’accès à des réseaux de recharge sur la voie publique

En France, il existe différentes situations dans lesquelles sont effectuées les recharges de véhicules électriques : à domicile, sur la voie publique, sur son lieu de travail ou encore en itinérance. Les usages diffèrent entre un utilisateur souhaitant faire plusieurs déplacements de courtes distances (et pourra donc recharger son véhicule sur une longue période à domicile ou sur son lieu de travail), et un utilisateur qui souhaite se recharger lors d’un long trajet (sur les grands axes nationaux, routes nationales ou autoroutes). Les équipements de recharge ne vont donc également pas être les mêmes entre ces cas d’usage. En effet, là où une prise renforcée peut suffire pour un usage domestique individuel avec une faible puissance (~3 kW), la recharge en itinérance se fera quant à elle plutôt sur des bornes de recharges ouvertes au public de différentes puissances (de normal < 11 kW à rapide > 50 kW).

L’Etat a d’ailleurs fait de la recharge en itinérance un de ses sujets majeurs dans la transition énergétique du pays, avec un objectif ambitieux de 100 000 bornes sur le territoire qui était prévu à fin 2021. Ainsi de nombreux réseaux de bornes de recharge publiques poursuivent leur développement/mise à niveau, et d’autres sont en cours de déploiement par les collectivités, les syndicats locaux d’énergie, les gestionnaires de bornes ou encore les constructeurs automobiles.

Au global, les possibilités sont nombreuses pour recharger son véhicule électrique, mais l’accès aux différents réseaux de recharge publique n’est pas toujours simple pour l’utilisateur d’un véhicule électrique. En effet, il existe différents types d’acteurs présents sur le marché de la recharge publique. Leur coordination est nécessaire pour que l’offre soit cohérente et fluide pour l’usager. Le schéma ci-dessous détaille les principaux acteurs intervenant dans la chaîne de valeur des infrastructures de recharge :

schéma
Chaîne de valeur des acteurs – source : Wavestone

Légende :

CPO (Charge Point Operator) : entreprises étant opérateurs de bornes de recharge et les exploitant. Ils s’occupent de : la partie technique de la borne, la maintenance, la hotline, …

EMSP (E-Mobility Service Provider) : entreprises fournissant des services de mobilité aux utilisateurs de véhicules électriques pour qu’ils se connectent aux bornes. Ils vendent des services, dont : l’accès à la recharge, la localisation des bornes, leur disponibilité, un moyen de paiement, …

Plateforme d’interopérabilité : entreprises se positionnant comme des hubs qui facilitent et standardisent la mise en relation et la contractualisation entre CPO et EMP. Les plus importantes en Europe sont Gireve et Hubject.

Les flèches matérialisent les interfaces clés qui existent entre les activités principales de la chaîne ; les pointillés pointent vers les domaines d’application associés où interviennent une multitude d’acteurs. À noter que certaines entreprises sont présentes sur plusieurs activités de la chaîne.

Mais alors qu’en est-il d’un point de vue utilisateur ?

II. L’hétérogénéité des moyens de paiement pour accéder aux réseaux de bornes de recharge publiques, un paramètre à anticiper pour les utilisateurs de véhicules électriques

Accéder à une borne de recharge publique pour un conducteur de véhicule électrique peut parfois s’avérer compliqué. Contrairement à un plein de carburant qui se pratique de la même manière quel que soit l’opérateur de station-service, les gestionnaires de réseaux d’infrastructures de recharge ont chacun développé leur opter pour des solutions d’accès aux bornes qui leurs sont propres. Néanmoins, la directive européenne sur les carburants alternatifs transposée par le décret du 12 janvier 2017, impose aux réseaux publics de recharge la mise en place d’un système de paiement à l’acte (pour les utilisateurs sans contrat ou abonnement).

Concernant l’accès aux bornes, chaque réseau pratique ses propres méthodes d’accès à la recharge. Dans la plupart des cas, l’accès se fait via un Pass de recharge (badge, carte). Des opérateurs de mobilité ont développé des solutions pour simplifier l’accès. Ils proposent ainsi des Pass de recharge interopérables, permettant d’accéder à la plupart des réseaux publics en France. Celui-ci peut vous être remis lors de l’achat d’un véhicule électrique (Exemple : Jaguar offre le Chargemap Pass alors que Nissan, Renault, Hyundai et Volkswagen incluent le KiWhipass).

Il existe également plusieurs modes de paiement pour recharger un véhicule électrique :

  • Par badge d’accès ou abonnement,
  • Le paiement à l’acte par carte bancaire, même si cela reste très rare en France,
  • Par une interface de communication entre votre véhicule et la borne de charge, ce qui est le cas pour les superchargeurs Tesla (vous n’avez qu’à brancher et la recharge se lance : « Plug & Charge »),
  • Par sms ou serveur vocal interactif,
  • Directement sur l’application du réseau de recharge utilisé

Plusieurs facteurs viennent expliquer cette multiplicité de types de paiement. Par exemple le fait qu’une entreprise qui exploite les infrastructures de recharge (CPO : Charge Point Operator) soit différente de celle qui commercialise les services de recharges (EMSP : E-Mobility Service Provider). Chaque entreprise choisissant des tarifs différents, cela engendre un nombre important de tarifs possibles (explication en image ci-dessous).

paiement
Types de paiement – source : Wavestone

Pour réaliser un long trajet, un conducteur de véhicule électrique a en pratique plusieurs badges d’accès pour pouvoir bénéficier du tarif le plus faible selon la borne (exemple : en Normandie avec le badge chargemap ce sera 30€ alors qu’avec le badge FDEE 80, ce sera 10€ le plein).

III. Une tarification complexe et hétérogène, ayant pour conséquence de complexifier l’expérience de recharge

Une fois le moyen de paiement anticipé avant d’aller se recharger sur des bornes, l’utilisateur souhaitant planifier de façon complète son trajet, aura alors face à lui de nombreuses tarifications possibles selon :

  • Le moyen de paiement (abonnement, directement avec l’application, carte bancaire, …),
  • La borne et l’opérateur qui l’exploite

Concernant ce dernier point, nous avons vu précédemment qu’il y a de nombreux acteurs fournissant des moyens de recharge, engendrant ainsi un nombre conséquent de tarifs possibles sur les bornes publiques. Gireve (entreprise s’occupant, entre autres, de la mise en lien des CPO et EMSP le souhaitant) a recensé sur sa Connect Place, 481 tarifications différentes pour les 143 entreprises qui opèrent les bornes en France.

Ceci se retrouve dans le fait que les facturations peuvent être à la durée passée à se recharger, à l’énergie consommée, au forfait, à la connexion, gratuites, ou encore un mix de ces possibilités, et que pour chaque possibilité les montant et plages horaires peuvent être variés. Pour illustrer cela, nous avons étudié 31 réseaux de recharge fin 2019, voici les structures tarifaires choisies par chacun :

Tarif
Tarification – source : étude 2019

Par ailleurs, il y a des spécificités dans des lieux, comme certains parkings publics, où la tarification peut être composée de la recharge et/ou du coût du parking :

  • Recharge et parking gratuits,
  • Recharge gratuite et parking payant,
  • Recharge et parking payants.

Et enfin, dans certains parkings de centres commerciaux, les bornes peuvent être gratuites et la question ne se pose alors pas. Par exemple :

  • Ikea : offre l’accès à ses bornes gratuitement pendant les horaires d’ouverture,
  • Les magasins U : offrent 1h de recharge gratuite,
  • Auchan : offrait la recharge mais a changé fin 2019, pour passer à une tarification de 0,25€/min, soit 7,50€/demi-heure.

Nous remarquons ainsi une absence d’uniformisation des tarifications, rendant la lisibilité du détail de la facture liée à la recharge très compliquée. Néanmoins, une règle est valable pour tous les opérateurs : vous bénéficierez du tarif le plus avantageux si vous avez souscrit à l’abonnement de l’opérateur de la borne que vous utilisez. Mais sur le mode de tarification (facturation au temps ou à la quantité d’électricité consommée) ainsi que la différence de prix, chaque opérateur de recharge a sa recette.

 Comment cela s’explique-t-il ? Pourquoi n’est-ce pas aussi simple que de facturer un plein d’essence ?

La diversité des structures tarifaires et des tarifs se justifie par :

  • Les différentes puissances des bornes,
  • Par le nombre important d’acteurs différents (ceux proposant des services de recharge (EMSP), ceux installant les bornes (CPO), ceux étant intermédiaires, …),
  • La maturité du marché.

Concernant le rôle des acteurs dans la lisibilité des tarifs, l’EMSP qui va contractualiser avec un CPO via une plateforme d’interopérabilité va potentiellement répercuter tous les coûts des différents services et développements induits, sur l’utilisateur final :

Prix
Fonctionnement d’une plateforme d’interopérabilité – source : Wavestone

Nous assistons aujourd’hui à la mise en place d’acteurs avec de nouveaux business models n’ayant pas encore un recul important sur leurs modèles économiques. Afin de permettre au marché se lancer, les tarifs pratiqués lors de l’ouverture des réseaux ne reflètent pas tous les coûts associés à l’opération de la recharge. Ainsi, les opérateurs comptent sur l’augmentation de la demande de recharge pour augmenter progressivement leurs tarifs, non pas pour augmenter leur profit, mais simplement pour rentrer dans leurs coûts. Les choix des tarifs s’inscrivent dans une logique plus globale de tous les acteurs du marché, cherchant l’équilibre entre satisfaction client et rentabilité.

Par ailleurs, aujourd’hui, il n’y a pas de règlementation qui impose des fourchettes de prix, donc chaque entreprise pratique ses propres prix.

Et enfin, le prix de la recharge se doit parfois d’être dissuasif pour éviter qu’il y ait des voitures ventouses qui viennent se brancher aux bornes, sans se recharger (par exemple quand la voiture est déjà pleine), pendant des durées trop importantes.

IV. Quelles solutions peuvent être mises en place pour clarifier les moyens de paiement et la tarification de la recharge ?

 Piste 1 : Le Plug & Charge

Cette solution qui est à l’étude pour un passage à l’échelle dans plusieurs pays est une solution permettant à la voiture qui se branche de transférer directement les informations de l’utilisateur de la voiture vers la borne. Il n’y aurait alors plus besoin de s’authentifier à la borne, il suffirait de se brancher, la voiture chargerait et la facture serait envoyée. Cette solution existe déjà sur les bornes Tesla, pour les Tesla, mais n’est pas encore lancée sur les autres bornes car tous les acteurs de l’écosystème de la mobilité électrique doivent s’accorder sur des normes communes.

 Piste 2 : Uniformiser, pour n’avoir que des tarifications au kWh ou à la minute ?

La facturation au kWh n’est pas interdite en France. Mais pour cela, la borne doit impérativement être équipée d’un compteur d’énergie répondant à la norme « MID ». Seul ce modèle peut être utilisé pour compter légalement l’électricité. Et cela est un coût supplémentaire à prévoir, s’il n’a pas été prévu dans les bornes.

Pour avoir une uniformisation des tarifs il faudrait qu’il y ait une réglementation en ce sens, et que les acteurs optent pour une technologie commune de recharge.

Il faut souligner l’effort de l’AFIREV (Association française pour l’itinérance de la recharge électrique des véhicules) qui œuvre pour homogénéiser et tenter de coordonner les acteurs pour permettre, comme dans le secteur des télécoms au début des années 2000, de parvenir à des structures d’offres plus lisibles et plus comparables pour les consommateurs. L’association a par exemple lancé des groupes de travail pour définir une architecture technique et organisationnelle qui permette de sécuriser la recharge en itinérance via une norme commune (l’ISO 15118)

Nous venons de voir que les moyens de paiement pour se recharger et la tarification d’une recharge de véhicule électrique peuvent ternir l’expérience de recharge d’un utilisateur. Cela est notamment dû aux nombreux types d’acteurs qui y travaillent et au manque de maturité du marché.

Il y a fort à parier que la recharge deviendra plus lisible et simple lorsque les acteurs travailleront main dans la main pour s’accorder sur une solution unique de paiement et de tarification qui permette aux utilisateurs de se charger tout en ayant connaissance du prix qu’ils paieront, et ce, sans venir complexifier l’expérience de recharge. A l’instar du secteur des télécoms au début des années 2000, où après l’arrivée d’acteurs ayant disrupté le marché, le secteur s’est structuré autour de standards de communication et de facturation, via des travaux de concertation menés par les fédérations professionnelles des acteurs, sous l’œil vigilant des instances de régulation et étatiques.

 

 

 

Sources :

http://www.avere-france.org/Site/Article/?article_id=7935

Voiture électrique : l’épineuse question de la facturation au kWh

Voiture électrique : le protocole Plug & Charge accélère

https://www.observatoire-recharge-afirev.fr/wp content/uploads/2022/02/Rapport_VF_GrandPublic_VF.pdf

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back to top