Présidentielle 2022 : Des enjeux pleins d’énergie

Le dimanche 10 avril 2022, aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle française. Ce scrutin passionne les Français plus que les autres, et il est l’occasion, tous les 5 ans, de rouvrir de nombreux débats dans l’espace public. Certains faits d’actualité viennent ajouter des thèmes à la campagne, alors que d’autres sujets comme le pouvoir d’achat sont récurrents d’année en année.

Pour EnergyStream et Le Monde De L’Energie nous avons voulu déterminer les enjeux énergétiques majeurs de l’élection 2022. Certains enjeux ont un impact direct sur les Français, comme le coût des carburants à la pompe. Alors que d’autres enjeux plus stratégiques, comme le devenir des centrales nucléaires, impliquent de grands groupes et tout un tissu industriel avant d’avoir des répercussions sur la population française.

Quels sont les enjeux énergétiques de la présidentielle ? Comment sont-ils liés ? Quels débats doivent être ouverts pendant cette campagne pour répondre aux attentes des Français ? En quoi ces enjeux ont une résonance européenne ?

Coûts de l’Energie

D’après le baromètre énergie-info publié en octobre 2021 par le médiateur de l’énergie, 84% des Français sont préoccupés par leur consommation d’énergie, alors qu’ils étaient 68% en 2017. Cette préoccupation est liée à l’augmentation de la part de l’énergie dans le budget des Français. Pour 79% des Français l’énergie représente une part importante de leur budget, contre 66% en 2017.

Ces derniers mois, toutes les énergies ont vu leur prix augmenter pour les consommateurs. L’électricité, le gaz, et le carburant connaissent la même tendance à la hausse, qui ne semble pas prête de s’inverser. Les Français doivent dépenser plus pour se chauffer, s’éclairer, se déplacer… ou réduire leur consommation. Près d’un Français sur cinq aurait souffert du froid à son domicile pour limiter sa facture de chauffage en 2021.

Une partie de l’augmentation du coût de l’énergie s’explique par la reprise économique post covid. Le redémarrage de l’activité après une année 2020 record entraine une forte demande par rapport à l’offre disponible, ce qui pousse les prix de l’énergie vers le haut. Les tensions géopolitiques que nous connaissons actuellement et qui impliquent la Russie, principal fournisseur de l’Europe, ont elles aussi un impact sur le cout du gaz.

Cette augmentation des prix incite l’Etat à l’action pour protéger le pouvoir d’achat des Français. Le gouvernement français a bloqué le prix du gaz pour l’année 2022 et instauré un bouclier tarifaire sur l’électricité en limitant sa hausse à 4% via une annulation temporaire de taxe et une hausse du plafond de l’ARENH imposée à EDF. Mais ces mesures pourraient couter jusqu’à 16 milliards d’euros, elles ne sont donc pas viables à long terme.

Ainsi les candidats devront proposer des solutions pérennes pour garantir durablement aux citoyens l’accès à une énergie abordable.

Décarbonation des mobilités

En plus de son impact sur le pouvoir d’achat, le secteur du transport représente 32% de la consommation énergétique finale française et 36% des émissions de CO2 en France. Et, comme la filière énergie, ce secteur est amené à se transformer drastiquement dans les années à venir pour atteindre la neutralité carbone.

La Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) 2019-2028 présente une stratégie pour décarboner le secteur du transport. La PPE cible principalement la route, qui représente 92.9% de la consommation d’énergie totale des transports en France. Ce programme incite à l’utilisation de nouvelles technologies, notamment électriques, et à mener une réflexion plus profonde sur la place des mobilités douces et collectives en France.

Répartition de la consommation d’énergie par type de transport en France (SDES, Bilan de l’énergie, Ademe)

L’électrification du parc automobile est un défi majeur que doit relever la France dans les prochaines années. En 2035, les voitures diesels et essences seront interdites à la vente par la Commission Européenne. Les véhicules électriques sont appelés à les remplacer d’ici 2050. En ce qui concerne les mobilités plus lourdes, de type camions ou bus, le Gaz Naturel pour Véhicules (GNV ou GNC) ou encore l’hydrogène représentent des solutions d’avenir à développer.

Le renouvellement du parc automobile implique un développement massif des infrastructures de recharges et des changements profonds chez les industriels de l’automobile. Malgré un record d’installations en 2021, l’objectif de 100 000 bornes de recharge n’est pas encore atteint. Ainsi l’accompagnement de cette transformation, tout autant que celles des secteurs ferroviaire, aérien et maritime, sont des sujets majeurs pour la compétitivité de l’industrie française, le pouvoir d’achat, et l’atteinte des objectifs de protection du climat et doivent faire l’objet de propositions de la part des candidats. La mobilisation des gilets jaunes a prouvé que les mesures à demi-teinte ne seront pas suffisantes pour convaincre les Français.

L’implémentation des bornes de recharge électrique sur tout le territoire est un enjeu majeur pour l’acceptabilité des véhicules électriques Baromètre national des infrastructures de recharge ouvertes au public – Avere – 2022

Sobriété et rénovation énergétique

Dans son rapport Futurs énergétiques 2050, RTE modélise une électrification des usages et une réduction de l’énergie totale consommée en France de 40% pour atteindre la neutralité carbone. Cet objectif n’est atteignable que par un déploiement massif de technologies décarbonés, couplé à des mesures de réduction de la consommation d’énergie.

Evolution de la production d’électricité en France – Futurs Energétiques 2050 – RTE

En 2021, 17% de logements en France sont identifiés comme « passoires thermiques » difficilement chauffables. La France s’est dotée d’un Plan de rénovation énergétique des bâtiments afin de limiter les émissions de CO2 et de baisser les couts de chauffage dans ces bâtiments mal isolés. Par exemple, les logements classés G et F énergétiquement seront interdits à la location en 2025 et 2028. Ce plan a pour objectif de mobiliser les territoires et la filière du bâtiment pour rénover « mieux et moins cher ».

Depuis 2005 le dispositif des CEE (Certificats d’Economies d’Energie) permet d’inciter les consommateurs à réaliser des économies d’énergies en étant aidés par leurs fournisseurs. Ils sont en effet « obligés » de promouvoir l’efficacité énergétique pour récolter ensuite les certificats auprès des acteurs non-obligés. En 2022 s’ouvre la 5ème période de CEE (2022-2025), qui est plus ambitieuse que les précédentes. Le prochain gouvernement devra encourager et soutenir les bailleurs et les propriétaires à investir pour rénover les bâtiments d’habitations et tertiaires. Les mesures adoptées auront une influence sur l’atteinte des objectifs de baisse de la consommation énergétique des bâtiments.

D’autre part, la réindustrialisation de la France devra permettre l’essor de technologies innovantes.  Ces technologies pourraient avoir le double bénéfice de réduire la consommation d’énergie en France et de décarboner nos industries.

Ainsi les 5 prochaines années vont être marquées par une évolution des usages énergétiques, avec le développement du véhicule électrique, l’essor du chauffage électrique ou encore le développement des pompes à chaleur. Par ailleurs cette transition doit être facilitée par un coût de l’énergie abordable. C’est pourquoi de grands choix doivent être pris pour permettre l’évolution des usages énergétiques, c’est pourquoi les candidats doivent exposer leur vision sur les moyens de productions d‘énergies.

Avenir du nucléaire

Après quelques années passées dans l’ombre des débats sur le déploiement des énergies renouvelables, le nucléaire revient sur le devant de la scène. La tendance qui voulait encourager la France à sortir totalement du nucléaire a évolué. L’exemple de l’Allemagne qui doit relancer des centrales à charbon pour pallier l’arrêt de ses centrales nucléaires fait figure d’avertissement. Par ailleurs, la Commission Européenne a labélisé « verte » l’énergie nucléaire le 2 février 2022, ce qui révèle le retour en grâce de ce mode de production d’électricité peu émetteur de CO2.

En 2020, le nucléaire représentait près de 70% de la production d’électricité en France. Cette part est amenée à évoluer dans notre mix électrique. La Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE), 2019-2028, détermine qu’elle devra représenter 50% de la production d’électricité en 2035.

Pour atteindre cet objectif, tout en prenant en compte l’augmentation des besoins en électricité dans les années à venir, les capacités de productions nucléaires resteront conséquentes pendant de nombreuses années.

Le prolongement de la vie des centrales actuelles, mais aussi la construction de nouveaux EPR, ou encore le lancement des nouveaux réacteurs modulaires (SMR) sont autant de thèmes qui doivent être abordées pour assurer une production d’électricité suffisante et la stabilité du réseau. Le maintien de la filière industrielle est aussi un enjeu pour la France. Elle apporte des emplois, une expertise reconnue à l’internationale, et permet aujourd’hui l’indépendance électrique de la France.

Emmanuel Macron a récemment annoncé la construction de 6+8 EPR lors de son déplacement à Belfort. Les candidats devront confirmer ou amender cette décision, d’autant que de nombreux sujets restent ouverts comme le financement de ces projets.

Intégration des énergies renouvelables

Le développement des énergies renouvelables a longtemps été décrié en raison de son coût. En 2021, le photovoltaïque ainsi que l’éolien terrestre sont devenus les deux sources d’énergie les moins couteuses en Europe ; pour une nouvelle puissance installée. Malgré cela, l’éolien et le solaire n’ont participé qu’à hauteur de 2% de l’énergie consommée en France en 2020.

La France est en retard dans le développement des filières renouvelables par rapport aux objectifs qu’elle s’est fixés en 2015. Plus récemment, ce retard a été pointé par Eurostat, car la France est le seul pays de l’Union à être en dessous de ces objectifs.

Pour se rattraper le rythme, prévu par la PPE 2019-2028, qui attend les filières renouvelables est ambitieux. À horizon 2028, les capacités en éolien terrestre devront doubler, celles du photovoltaïque devront tripler. Et alors qu’aujourd’hui aucune éolienne offshore commerciale n’est installée, la France devra atteindre une capacité de 6 GW, comparable à la capacité installée en Allemagne en 2020.

Désormais, le défi pour ces sources d’énergies intermittentes se trouve dans leur intégration au réseau électrique. Les acteurs du réseau devront s’adapter pour ajouter à la fois des capacités de production et de stockage (e.g. batteries, station de pompage-turbinage), tout en garantissant l’équilibre du réseau. Effectivement, à l’automne 2021 les vents du Nord de l’Europe sont tombés, provoquant une panique sur le marché électrique outre-manche.

Les attentes des Français sur le développement du renouvelable sont diverses et variées. Ce thème pourra être une source de clivage entre les programmes politiques.

Évolution de la répartition énergies renouvelables et nucléaire dans le mix de production des six scénarios et dans le mix actuel (2020) – Futurs Energétiques 2050 – RTE

Pour pallier l’intermittence des sources d’énergies non-pilotables, le stockage via une autre forme d’énergie, Power-to-X, est une solution envisagée. En effet, le gouvernement voit dans l’hydrogène une opportunité tant écologique qu’économique, en le produisant avec les surplus de production d’électricité renouvelable. Si le Royaume-Uni et l’Allemagne ont respectivement permis l’essor des filières éoliennes offshores et photovoltaïque, l’État a la volonté d’être leader sur l’hydrogène. Ainsi l’avenir de l’hydrogène mais aussi biométhane sont à inscrire dans le mix énergétique des années à venir, avec le soutien des collectivités locales, des industriels, et des consommateurs B2B.

Cet encouragement se fera via des investissements publics et une taxation réduite de l’hydrogène bas-carbone.

Financement de la transition énergétique

Au-delà de l’hydrogène, le financement de la transition énergétique demeure au centre des préoccupations. Les évolutions du prix du carbone restent importantes pour les investissements dans les énergies propres. Le Green Deal et le paquet Fit for 55 de l’Union Européenne devront renforcer les investissements bas carbones dans tous les secteurs d’activités, aujourd’hui limités aux seuls secteurs ETS (Emissions-Trading-Scheme)

En France, l’État prélève déjà, dans les secteurs des transports et des bâtiments, une taxe carbone dans le cadre de sa fiscalité énergétique. Cependant, la taxation du carbone ne peut se faire sans accompagnement pédagogique. L’acceptation sociale de taxes supplémentaires a atteint une limite, comme l’a montré le mouvement des gilets jaunes en 2018-19.

L’évolution du coût de l’énergie, décarbonée ou pas, doit être une priorité continue pour le futur gouvernement.

Enjeux internationaux

Les candidats à la présidentielle seront attendus sur leurs ambitions pour la transition énergétique ainsi que sur le thème du pouvoir d’achat qui reste la préoccupation principale des Français. En effet, les différents programmes devront présenter la mise en place d’un mix énergétique cohérent pour la préservation de l’environnement mais aussi économiquement viable pour la France.

Les candidats devront aussi se positionner sur la géopolitique de l’énergie, car les liens que notre pays entretient avec ses partenaires européens ont un impact sur les questions énergétiques. Nous pouvons l’observer avec l’importation du gaz depuis la Russie, notre principal fournisseur.

La réussite commerciale de la filière nucléaire nécessite d’exporter le savoir-faire français, comme c’est le cas pour les EPR anglais d’Hinkley Point. De même, il faudra convaincre nos voisins de l’apport de nos nouveaux réacteurs modulaires, les SMR, pour exporter et rentabiliser cette technologie. Là encore, la diplomatie française et la crédibilité de la filière seront essentielles. Enfin l’équilibre du réseau électrique français s’appuie sur les échanges avec nos voisins. L’évolution de notre mix électrique et notamment l’essor des énergies renouvelables nécessite une coopération européenne pour garantir l’équilibre du réseau continental. Là encore la coordination politique européenne assurera une dynamique entre RTE, Enedis et leurs homologues européens.

Si les propositions énergétiques des candidats à l’élection présidentielle doivent permettre les transformations qui s’imposent à nous, elles devront aussi s’inscrire dans une trajectoire soucieuse du pouvoir d’achat des Français. Pour soutenir ces évolutions, de grands projets industriels seront essentiels. Ils devront s’intégrer à une politique étrangère stratégique, et cohérente. L’énergie est un prisme révélateur du défi immense que représente l’élaboration d’une vision pour la France. C’est le défi auquel se confrontent les candidats à la magistrature suprême.

 

 

Pour aller plus loin :

SMR : quelle place pour ces réacteurs dans l’avenir du nucléaire français ?

La hausse du prix du carbone et les perspectives pour le marché européen

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