Bienvenue dans l’ère des gaz non conventionnels

Dans une planète aux richesses naturelles inégalement réparties, la plupart des Etats sont fortement dépendants des importations en gaz naturel. La découverte de réserves de gaz non conventionnels, plus importantes en volume et réparties de façon plus égalitaire dans le monde, a changé la donne. Une véritable révolution énergétique est en cours aux Etats-Unis, premiers à avoir  perfectionné les techniques d’extraction de ces gaz emprisonnés dans des roches souterraines, puis à se  lancer dans leur exploitation massive. La reproduction du modèle américain est en passe de fragiliser les sous-sols mais également l’équilibre des politiques énergétiques.

La recherche de l’indépendance énergétique, les intérêts économiques et industriels, l’opportunisme politique ou la préservation de l’environnement sont autant de facteurs qui peuvent faire basculer un gouvernement dans un sens comme dans l’autre.

Précurseurs, suiveurs, indécis ou résistants, les Etats cherchent à bâtir depuis ces dernières années une stratégie énergétique autour du dossier brûlant des gaz non-conventionnels. Nous vous proposons d’en décrypter les différentes tendances en ce dernier trimestre 2013.  

1 – Les précurseurs : les Etats-Unis vers l’indépendance énergétique

Contexte. Les Etats-Unis se sont lancés depuis déjà dix ans dans l’exploitation à grande échelle de leurs ressources fossiles non conventionnelles. Une stratégie qui leur a permis d’atteindre en 2010 l’auto-suffisance en gaz.

Ce nouvel eldorado a alimenté le rêve américain de nombreux entrepreneurs comme ce fut le cas autrefois avec l’or puis avec le pétrole. Une véritable aubaine pour une industrie américaine qui cherchait à se relancer en pleine crise économique.

Washington envisage l’indépendance énergétique, voit le prix du gaz chuter sur son territoire (jusqu’à deux fois et demi inférieur en moyenne à celui enregistré en Europe) et permet à son industrie hautement énergivore de gagner en compétitivité. Barack Obama réaffirmait son soutien au gaz de schiste lors de son dernier discours à la nation, signalant qu’il est à l’origine de la fermeture de centrales à charbon et donc de la baisse des émissions de gaz à effets de serre. Un jackpot énergétique qui a longtemps laissé sans voix les opposants à la fracturation hydraulique. Mais la contestation commence à s’organiser. Ainsi, l’Etat du Vermont, est devenu en mai dernier le premier Etat à interdire le « fracking ».

Actualité. D’un côté, nous avons appris que la Maison Blanche donnait un ultime coup d’accélérateur à son industrie d’extraction de gaz de schiste avec la reconversion d’un terminal GNL en Louisiane (dont une partie de l’appel d’offres a été remporté par Technip). Jusque-là consacré à l’importation de gaz naturel, il sera également destinée à l’exportation de gaz non conventionnels. D’un autre côté, la communauté scientifique renforce les arguments anti-gaz de schiste avec la publication, cet été, d’une étude démontrant l’innocuité de la fracturation hydraulique.

Autres Etats précurseurs. Le Canada, qui est le deuxième pays dans le monde à exploiter commercialement les hydrocarbures non conventionnels. Avec le Québec, six des dix provinces du pays sont déjà rentrées dans la course au gaz de schiste.

2 – Les suiveurs : la Pologne contre la dépendance russe

Contexte. Le gaz naturel russe apparaissait jusqu’à il y a quelques années comme la seule option pour sortir du « tout charbon » (à l’origine aujourd’hui de 90% de la production électrique du pays). Le gaz de schiste est alors apparu comme une opportunité tombée du ciel pour échapper aux chantages de l’empire Gazprom. Le premier ministre Donald Tusk a donc surfé sur la vague d’une opinion publique aux trois quarts favorables et attiré les investisseurs pour faire de la Pologne le troisième au monde à se lancer dans l’exploitation du gaz de schiste.

La bataille n’était pourtant pas gagnée. En mars 2012, l’Institut géologique national polonais (PIG) annonçait que les réserves de gaz de schiste disponibles étaient deux fois inférieures aux prévisions, ce qui a fait fuir certains de plus gros investisseurs, dont Exxon Mobbil. Mais il était déjà trop tard pour revenir en arrière. Le gouvernement polonais a décidé de tout miser sur le gaz de schiste et d’investir 12,5 milliards d’euros, d’ici à 2020, pour son exploitation.

Actualité : Le mercredi 28 août l’extraction de gaz de schiste a débuté de façon officielle dans le nord du pays, près de Lebork.

Autres Etats suiveurs. La Pologne n’est pas la seule à vouloir s’affranchir de sa dépendance énergétique à l’égard de la Russie. Deux autres pays d’Europe de l’Est comme l’Ukraine et la Lituanie ont signé des partenariats stratégiques pour explorer leurs sous-sols en quête de gaz de schiste.

3 – Les indécis : la Grande-Bretagne en game-changer

Contexte. « La fracturation hydraulique est devenue un débat national en Grande-Bretagne, et c’est un débat que je suis déterminé à gagner ». Ce sont les mots de David Cameron, premier ministre britannique, dans une tribune publiée le 11 août dernier. Une phrase qui en dit long sur les intentions de son gouvernement qui avait déjà décidé, en Décembre 2012, d’autoriser l’exploration des gaz de schistes.

Cameron multiplie depuis quelques mois les mesures pour faire pencher la balance de son côté. Il cherche  à développer la filière autour d’un régime fiscal très avantageux (l’imposition pour les pétroles et gaz de schiste sera de 30% contre 62% pour le gaz et le pétrole conventionnels).  Il tente par ailleurs de convaincre l’opinion publique en annonçant des compensations pour les communes touchées par les forages (jusqu’à 850 000 euros, payés par les compagnies), des créations d’emplois (jusqu’à 75000) et une future réduction de  la facture énergétique des ménages.

Notons qu’un basculement de Londres ne serait pas sans conséquences sur le reste de l’Europe, si l’on tient compte de l’influence de l’industrie des hydrocarbures sur les règlementations européennes.

Actualité. La petite ville de Balcombe, du sud de l’Angleterre a remporté une première bataille contre l’industrie du gaz de schiste. L’arrivée de militants écologistes venus des quatre coins de l’île pour monter un camp de protestation de six jours a fait reculer l’entreprise chargée de mener forages exploratoires sur cette commune. La société britannique Cuadrilla décidait ainsi le 16 août dernier d’arrêter ses activités…de façon temporaire.

Autres Etats indécis : la plupart des Etats dans le monde. L’indécision est à ce jour l’état d’âme majoritaire des gouvernements. A commencer par la Chine, qui détiendrait les plus grandes réserves de gaz de schiste dans le monde…

4 – Les résistants : la France pour un monde meilleur

Contexte. La France détiendrait les deuxièmes plus grandes réserves de gaz de schiste en Europe, derrière la Pologne. Une manne qui est restée enterrée avec la loi du 13 Juillet 2011, qui, sous proposition du député UMP Christian Jacob, interdit l’exploration et l’exploitation de gaz et d’huile par fracturation hydraulique.  Elle abroge également les permis de recherche octroyés dans le passé (jusqu’à 64 permis d’exploration délivrés en 2010 par Jean-Louis Borloo). Depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande, la feuille de route a été maintenue.  Et ce malgré quelques avis divergents au sein même de son gouvernement (à l’image des déclarations d’Arnaud Montebourg) et les lobbys pressants des grands groupes du CAC 40 (qui auraient entrainé la chute de l’ancienne ministre de l’écologie Delphine Batho).

 Galvanisé par une opinion publique en phase avec la ligne gouvernementale (deux tiers des français seraient hostiles au gaz de schiste), François Hollande en a rajouté une dernière couche lors de l’interview télévisé du 14 juillet dernier : « Tant que je suis président, il n’y aura pas d’exploration de gaz de schiste ».

La résistance française parait donc bien amorcée. Mais le dossier pourrait être rouvert à la fin de ce quinquennat. Notons tout de même que la France fait subir aux autres ce qu’elle n’autorise pas sur son territoire. En Décembre dernier, Laurent Fabius reconnaissait avoir signé des accords permettant des recherches françaises sur le territoire algérien dans le domaine de l’exploitation des gaz de schiste.

Actualité. Le nouveau ministre de l’écologie, Philippe Martin, a été on ne peut plus résolutif lors de sa visite aux journées d’été d’EELV. Il a annoncé vouloir être « le rempart contre les vieilles lunes des marchands du temple du productivisme sans entrave » et s’opposer à ceux qui veulent « faire du fric-frac dans notre sous-sol pour extraire du gaz de schiste ».

Autres Etats résistants : seuls la Bulgarie et la Roumanie ont également interdit la fracture hydraulique. Les Etats résistants sont soutenus par les producteurs historiques de gaz et de pétrole conventionnels (Russie, pays du golfe), qui veulent préserver leur oligopole sur un marché ô combien stratégique et lucratif.

 Le XIXème siècle était celui de l’exploitation du charbon. Le XXème fut celui de la production de pétrole, de gaz naturel et du nucléaire. Le XXIème siècle sera celui des énergies renouvelables et surtout celui des gaz non conventionnels. Les Etats ont le choix entre deux visions du monde : continuer à exploiter les ressources fossiles pour subvenir à nos besoins énergivores ou changer de modèle de développement avec une production énergétique décentralisée et respectueuse de l’environnement.

Selon une étude de l’AIE, l’investissement dans le monde sur les années 2012 à 2035 consacré aux techniques d’extraction de ressources fossiles non conventionnelles sera trois fois supérieur à celui lié au développement des énergies renouvelables ou la fission nucléaire.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les gros investisseurs se tournent vers le nouvel eldorado des sous-sols et nous souhaitent la bienvenue dans l’ère des gaz non-conventionnels.

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