[INTERVIEW] La micro-hydroélectricité, nouvelle frontière des projets d’énergie renouvelable participatifs

En route vers un mix énergétique 100% renouvelable. Dans les territoires, des acteurs se mobilisent pour valoriser les sources locales d’énergie renouvelable à travers de projets innovants.  Après les pionniers de l’éolien citoyen et les centrales solaires villageoises, voici venu le temps de la micro-hydroélectricité participative. Rencontre avec Bruno HAVET, qui associe technologie innovante et financement participatif au sein du projet du moulin de Courteron.

EnergyStream : Le moulin de Courteron, de quoi s’agit-il ?

Bruno HAVET : Le moulin de Courteron est un moulin du Moyen-Âge, construit par des moines sur une île de la Seine dans le département de l’Aube. C’est un des premiers moulins de France à avoir été équipé, dès 1868, de moyens de production d’électricité afin d’éclairer le village. Cet équipement est tombé en déshérence avec la Seconde Guerre Mondiale.

Après avoir découvert et acquis ce moulin avec des proches en 2010, j’ai commencé à travailler sur un projet de remise en service. Ce projet aboutit cette année avec la fin des travaux d’aménagement et d’équipement qui permettront au site de produire de nouveau une électricité locale et renouvelable. L’inauguration est prévue pour cet été et la centrale de 138 kW devrait atteindre sa pleine production à l’automne 2016.

ES : Quelles ont été vos motivations pour mener ce projet ?

BH : Réhabiliter des moulins de basse chute passe par le bénévolat, les conditions actuelles ne permettent pas d’en faire un métier. Je le vois comme une passion, partagée avec des amis et motivée par les nombreux atouts de la micro-hydroélectricité : une énergie renouvelable, propre, et disponible à tout moment, notamment en hiver lors des pointes de consommation. Enfin, le projet valorise un équipement ancien et crée de la valeur pour le territoire dans lequel il se trouve.

ES : Six ans se sont écoulés entre la découverte du site et l’achèvement du projet. Que retenez-vous du développement du projet ?

BH : Ce fut un projet lourd et long, pour des raisons techniques et administratives. Rénover le moulin n’allait pas de soi pour tout le monde : quand j’ai acquis le terrain, on m’a d’abord proposé une subvention pour dynamiter le déversoir ! L’administration n’avait pas idée qu’un tel endroit pouvait devenir une source significative de production d’énergie.

Ensuite, le projet a suivi les étapes de développement assez classique pour ce genre d’infrastructure.  Les équipements sur les cours d’eau nécessitent énormément de démarches administratives : droit d’eau, autorisations de travaux en rivière, permis de construire… Prises individuellement, ces démarches ne sont pas absurdes, mais additionnées, elles forment un véritable mille-feuille devant lequel il est tentant de baisser les bras.

ES : Vous avez opté pour une technologie innovante et peu connue du grand public : la vis d’archimède. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

BH : Je suis assez agnostique en termes de technologies. Dans tout projet hydroélectrique, le choix d’une turbine est extrêmement compliqué. Il dépend avant tout du site et de ses caractéristiques : débit et courbe des débits classés, hauteur de chute, volatilité des niveaux, infrastructure en place, gestion du risque sur le productible, ….

De plus le choix de la technologie de turbine n’est pas un choix isolé. La turbine n’est qu’une composante du coût d’un projet hydraulique : les travaux génie civil, impactés par le choix de la turbine, comptent aussi pour beaucoup. Sur le site du moulin de Courteron, la vis d’Archimède était une option possible car le déversoir est très long. Ce scénario a donc été modélisé et comparé aux autres options, et a été jugé intéressant. Par ailleurs, il faut savoir que les vis d’Archimède facilitent la dévalaison des poissons.

ES : Quelles sont les perspectives de la micro-hydroélectricité selon vous ?

BH : La micro-hydroélectricité conserve un beau potentiel de développement en France, avec de nombreux sites pouvant encore être équipés.

  • Sur le plan politique, la micro-hydroélectricité au fil de l’eau suscite un intérêt croissant parmi les collectivités locales, dans une perspective de relocalisation et de verdissement de la production d’électricité. Mais elles ne savent pas toujours comment traiter le sujet et manquent d’un soutien de l’échelon national. Je suis à cet égard assez sceptique vis-à-vis des études visant à quantifier le potentiel de la micro-hydraulique, souvent réalisées à partir de vieilles cartographies et qui sous-estiment probablement le potentiel réel de la petite hydroélectricité. Le nombre même de moulins est incertain. Beaucoup dorment et sont prêts à être équipés.
    En ce qui concerne le classement des cours d’eau, il relève selon moi plus d’un choix politique qu’écologique et constitue un nouveau frein à l’émergence de projets. Une fois encore, le législateur s’inscrit dans une logique de silo et fait abstraction de l’action des acteurs sur le terrain. Une vraie politique serait d’arbitrer entre différentes priorités environnementales d’importances différentes ; au lieu de cela, on empile des contraintes et le non-choix aboutit à un quasi-blocage.
  • Sur le plan économique, malgré l’existence de tarifs d’achat fixes pendant 20 ans, les projets de basses chutes ne trouvent un équilibre économique que sur le très long terme. Il est difficile aujourd’hui de trouver des acteurs ayant une approche aussi long terme.

ES : À ce propos, quelle est la structure de coût et le business model du projet de réhabilitation du moulin de Courteron ?

BH : L’investissement total représente environ 960.000€. L’investissement se répartit approximativement comme suit : 40% pour le génie civil, 40% pour la turbine, 20% pour les phases d’étude et les travaux annexes (accès, raccordement, etc.). Les coûts opérationnels sont très faibles en comparaison. Le prix de revient du kWh dépend donc essentiellement des durées d’amortissement des turbines. Une bonne turbine peut fonctionner un demi-siècle sans souci. À Courteron, nous prévoyons d’atteindre l’équilibre financier au bout de 20 à 25 ans de fonctionnement.

ES : Pourquoi avez-vous souhaité ouvrir votre projet au financement participatif à travers la plateforme Lumo ?

BH : La réflexion s’est déroulée en plusieurs phases.

Tout d’abord, le projet a démarré sans que le financement participatif ait été identifié, car à l’époque du démarrage du projet, cela n’existait tout simplement pas. Nous avons ensuite découvert la plateforme Lumo et apprécié la philosophie de son équipe, notamment :

  • Une spécialisation sur les énergies renouvelables, qui lui permet de bien maîtriser la compréhension des projets
  • Une des rares plateformes focalisée sur des financements participatifs de très long terme (dans notre cas 15 ans)
  • Un positionnement sur la construction de nouvelles installations (et non sur du refinancement)
  • Des personnes passionnées par les sujets environnementaux plus que par les services bancaires

A ce moment-là, le projet était déjà complètement financé par une solution de prêt bancaire classique. L’épargne participative nous semblait pourtant une démarche prometteuse intéressante à creuser, notamment dans la perspective de futurs projets. Nous avons donc modifié nos plans pour offrir à des personnes intéressées la possibilité de participer. Le financement participatif fut le levier adapté pour impliquer les habitants de la région, les sensibiliser à la problématique énergie-climat et leur donner la possibilité de mettre leur épargne au service d’un projet  concret et proche, tout en profitant d’un rendement honnête. La banque a accepté de réduire le montant de son prêt à hauteur de la somme collectée via Lumo.

Nous avons alors ouvert à la réservation le projet. La réaction sur la plateforme Lumo a été au-delà de toute attente : en quelques semaines, l’intégralité du montant disponible au grand public était réservée, nous avons même réajusté notre plan de financement pour ouvrir plus largement la somme ouverte aux épargnants de Lumo.

Par ailleurs, nous bénéficions d’un timing parfait lié à la maturité du projet : les travaux sont en cours, les épargnants peuvent donc suivre au quotidien l’avancée des travaux  via notre site web. Des visites de chantier sont aussi organisées.

ES : En conclusion, quel rôle peuvent jouer les petits projets de production décentralisée dans la transition énergétique selon vous ?

BH : Les petits projets de production décentralisée présentent à mes yeux plusieurs avantages :

  • Tout d’abord, l’importance cumulée des petits projets est très important : en mettant bout à bout le potentiel de production de l’hydraulique, de l’éolien, du solaire et de la biomasse de la vallée de la Seine en Champagne, le gisement est très important
  • Ensuite la production locale permet de réduire les pertes liées au transport de l’électricité sur des longues distances ; ce phénomène est souvent ignoré, mais la quantité d’électricité perdue lors du transport est significative
  • Enfin la production décentralisée permet au grand public de beaucoup mieux appréhender la problématique énergie-climat quand il voit la production à proximité ; ce qui veut dire au final plus de vigilance sur la consommation et donc une meilleure utilisation de l’énergie

Le projet du moulin de Courteron a déjà collecté près de 180.000€ auprès des particuliers et est ouvert à la souscription participative jusqu’au 15 mai 2016. 

Crédit images : Moulindecourteron.fr / Bruno Havet

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