[Interview] A la découverte de Verkor et de son projet de Gigafactory

Verkor est une pépite industrielle française qui a vu le jour il y a moins d’un an, avec un ancrage fort en Isère. Son objectif : construire dans les années à venir une gigafactory afin d’accélérer la capacité de production de batteries à faible teneur en carbone en Europe et s’inscrire dans le développement du marché des véhicules électriques, en lien avec les constructeurs automobiles.

Pour mieux comprendre ce projet, nous sommes allés à la rencontre de Gilles Moreau, Chief Innovation Officer de Verkor, qui nous a fait part de sa vision du marché des batteries électriques et des enjeux qui en découlent.

Energystream : Présentez-nous Verkor en quelques mots. Comment ce projet de gigafactory a-t-il vu le jour ?

Gilles Moreau : Fondé par 6 personnes avec des profils pluridisciplinaires (ingénieurs, chimistes, chercheurs, entrepreneurs, experts internationaux), ce projet a vu le jour fin juillet 2020 dans le bassin grenoblois. Verkor se présente comme un expert du manufacturing de cellules avec comme principal objectif la baisse d’impact carbone des cellules de batterie.

L’entreprise est directement issue de l’EBA (Europeen Battery Alliance) et traduit la volonté, suite au lancement du projet Northvolt, de reproduire la même dynamique pour le sud de l’Europe. C’est donc dans la ville de Grenoble que le projet a été lancé avec à sa tête Benoît Lemaignan (CEO Verkor), et compte aujourd’hui plus d’une trentaine de collaborateurs.

ES : En tant que responsable innovation, quel est votre rôle au sein de l’entreprise ?

G.M. : Pour revenir sur mon parcours, j’ai un profil hybride chercheur-entrepreneur, spécialisé dans l’électrochimie. J’ai deux principales activités au sein de l’entreprise : le montage de projets d’innovation d’une part et d’autre part de traiter les sujets autour de l’innovation « sustainability ».

Quand on parle de sustainability, c’est à la fois la partie amont (voir question suivante) et aval (éco-conception des pack/modules, partenariats, etc.). C’est notamment ce second point autour de la sustainability qui va permettre de nous démarquer des autres projets.

En termes d’innovation, on peut également en parler sous l’angle digital et manufacturing. Ces sujets-là sont gérés par une équipe de l’entreprise spécialisée dans la technique, les process, et l’industrialisation.

ES : Comment le projet s’inscrit-il dans la démarche Européenne de l’EBA ? Est-ce que l’Europe et la France peuvent réellement jouer un contrepoids dans la course aux gigafactories vis-à-vis de l’Asie ?

G.M. : Pour le lancement du projet, Verkor a pu bien sûr s’appuyer sur l’EBA et son réseau composé principalement de grands groupes industriels européens. Via l’EBA, Verkor a surtout fait appel à l’EIT InnoEnergy, bras armé de l’Europe sur le financement de l’innovation énergie, qui a déjà accompagné Northvolt (Suède), Freyr (Norvège) et maintenant Verkor (France).

Côté règlementation, l’Europe permet également de fixer un cadre propice aux projets européens. Les projets de loi en cours en faveur du véhicule électrique (ZFE par exemple) sont aussi des leviers pour encourager le lancement de projet comme le nôtre.

Enfin, pour concurrencer les gigafactory asiatiques, l’entreprise peut s’appuyer sur sa géolocalisation, permettant de réaliser des économies sur le coût du transport de matières dangereuses par rapport aux cellules en provenance d’Asie.

ES : Les sujets autour du recyclage, de l’économie circulaire sont l’un des enjeux pour l’industrie des batteries. Comment comptez-vous maitriser l’ensemble de la chaîne et réduire l’empreinte carbone issue de la production ? Quels sont les verrous technologiques ou de procédés à faire sauter pour passer des caps en matière de fabrication de batteries ?

G.M. : On travaille sur 3 principaux axes avec sur chacun de nos projets en cours :

  • La traçabilité des matériaux
  • Le contenu carbone et plus largement l’analyse du cycle de vie du produit
  • Le recyclage : « SCRAP » dans un premier temps mais qui pourra mener au recyclage « End of Life »

Ces trois thématiques seront fondatrices pour concrétiser nos ambitions et nous entendons bien poursuivre nos recherches sur ces sujets et intégrer des partenaires dans les réflexions en cours.

Concernant les verrous, on se positionne aujourd’hui sur des technologies qui n’ont plus de verrous et ont déjà fait leurs preuves. Notre enjeu est plutôt d’améliorer l’existant et travailler en écosystème pour anticiper les ruptures technologiques de demain en étant capable de les industrialiser de bout en bout.

ES : Comment l’entreprise se différencie-t-elle des autres grands projets français et européens d’usines géantes de batteries ? Vous inscrivez-vous dans une logique de filière ?

G.M. : L’entreprise souhaite se démarquer grâce à une stratégie tournée vers le digital manufacturing portée notamment grâce aux partenariats réalisés avec Schneider Electric et Capgemini. Ce partenariat traduit la volonté, au-delà d’une équipe cœur avec des profils très complets, d’embarquer des industriels qui apportent la brique digitalisation.

La fibre entrepreneuriale est également très présente dans l’entreprise. Cela se traduit par exemple par un modèle de financement différent avec des investisseurs privés alors, qu’à l’accoutumé, les projets de ce type sont plutôt financés par des fonds publics.

Concernant la logique de filière, c’est complètement le cas. Pour rappel notre projet est issu de l’EBA et cela nous a notamment permis, avant même que le projet voit le jour, de rencontrer un certain nombre d’acteurs de l’écosystème des gigafactories. C’est dans cette même logique que nous sommes en train de réfléchir à la création d’une « maison de la batterie » appelée VIC (Verkor Innovation Centre) pour rassembler les acteurs du domaine.

ES : Verkor a été au cœur de l’actualité ces dernières semaines avec plusieurs annonces structurantes coup sur coup. Pouvez-vous nous faire un point de situation sur ces différentes concrétisations ?

G.M. : Effectivement, moins d’un an après la création de Verkor, nous avons été en mesure de partager plusieurs avancées significatives quant au développement de l’entreprise. Fin juin, nous avons signé avec le groupe Renault un accord prévoyant l’entrée au capital du constructeur, à hauteur de plus de 20%. Nous allons développer des cellules haute performance qui, à terme, auront vocation à équiper les modèles haut de gamme du groupe et en particulier les Alpine. Cette annonce a été réalisée au cours du déplacement du Président de la République à l’usine de Douai. Ce partenariat stratégique débutera par le financement du VIC : un centre de R&D et une ligne pilote pour le prototypage et la production de cellules et de modules de batteries en France dès 2022.

ES : Cette première annonce a été suivie d’une seconde quelques jours plus tard, la concrétisation d’une belle levée de fonds…

G.M. : Quelques jours après avoir annoncé ce partenariat stratégique avec Renault, nous avons finalisé une levée de fonds significative pour un montant de 100 millions d’euros. Outre Renault, nous avons le plaisir d’accueillir au capital le fonds suédois de la famille Wallenberg, EQT (NDLR via sa filiale EQT Ventures) et les industriels chimistes Arkema et Tokai Cobex. Enfin, le fonds français Demeter a aussi investi, via son fonds de modernisation écologique des transports (FMET). La plupart des actionnaires historiques de la jeune société (le groupe Idec, Schneider Electric et Capgemini) ont suivi ce nouveau tour de table. Cette levée de fonds a été annoncée à l’occasion d’une cérémonie de signature organisée à Paris en présence de la Ministre déléguée de l’Indsutrie Agnès Pannier-Runacher et du VP de la commission Européenne Maroš Šef?ovi?.

La voie est donc dégagée pour mettre en place le Verkor Innovation Centre d’ici quelques mois. Ce dispositif nous servira de Digital Lab (pour une capacité de 50 à 150 MWh / an) pour tester les améliorations digitales et nous permettra de viser des marchés de niche. Dans le même temps, cela nous permettra de travailler sur des innovations qui seront ensuite intégrées dans la future gigafactory. Nous envisageons une nouvelle levée de fonds dans les deux ans qui viennent, d’un montant encore plus significatif – de l’ordre d’un milliard d’euros, pour parachever l’assise financière de Verkor et mettre en place le dispositif industriel cible.

ES : En mars dernier, un accord de partenariat a été signé avec AURA Aero visant au développement de batteries au service des avions électriques. Quels sont les autres marchés que vous visez ?

G.M. : Le Verkor Innovation Centre nous servira d’incubateur, pour lancer des projets en démarrage avec des volumes encore trop faibles pour intégrer la gigafactory. C’est dans ce cadre que nous imaginons travailler avec AURA Aero. Cette collaboration doit permettre au constructeur aéronautique de franchir une nouvelle étape dans la mise en place d’une aviation décarbonée. La mise en commun des compétences et de l’expertise de ces deux entreprises françaises a comme objectif d’industrialiser la technologie de propulsion électrique dans l’aéronautique.

Un autre marché qui peut également être intéressant d’explorer, est l’ESS (stationary energy storage) même si nous restons pour le moment concentrés sur le marché des véhicules électriques.

ES : Verkor affiche une identité régionale assez forte, notamment sur l’emploi et est soutenue par 3 acteurs historiques du bassin Grenoblois : Schneider Electric, IDEC et Capgemini. Quelles sont les collaborations envisagées avec ces entreprises ?

G.M. : Grenoble est un formidable bassin d’innovation notamment dans le domaine de l’électrochimie, avec la présence de grands groupes du secteur de l’énergie (CEA, Schneider Electric, etc.). Cela représente une formidable opportunité pour nous de se mêler à cet écosystème. On sent également une réelle sensibilisation de la ville autour des sujets sur l’écologie, la décarbonation.

Ces partenaires nous apportent leur expertise sur le côté « Factory 4.0 », avec chacun leurs spécialités : Capgemini sur la digitalisation, Groupe IDEC sur le montage d’usine technique pour batteries et Schneider sur le côté Hardware, IoT. Le choix s’est fait grâce à des benchmark analysant les atouts de chacun des acteurs sur le marché.

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