Le couplage parc éolien & stockage par batteries : décollage d’un nouveau modèle énergétique pour les zones isolées ?

La nécessité de stocker l’électricité produite par les énergies renouvelables, et notamment l’éolien, pour répondre à la variabilité de leur production est incontestablement une thématique d’actualité. Des efforts de recherche ont été engagés tout azimut pour identifier les technologies de stockage, optimiser l’équation économique et de nombreux organismes ont décidé de soutenir les projets incluant du stockage.

Depuis 2017, la Commission de Régulation de l’Energie a ainsi adopté la « méthodologie stockage » qui permet d’octroyer une compensation financière à des projets de stockage d’électricité dans les zones non interconnectées (zones insulaires non interconnectées au réseau électrique métropolitain français). Les droits à compensation sont octroyés aux projets dont le gain de coût de fonctionnement (surcoûts de production, coûts du réseau, nécessité d’investissement) est supérieur au coût du stockage ; c’est la notion d’efficience.

Pourquoi la CRE a-t-elle décidé de soutenir les projets de stockage d’électricité dans les zones non interconnectées ? S’ils permettent d’éviter certains coûts, comment ces projets atteignent-ils l’efficience telle que définie par la CRE ?

Le premier projet français (métropole comprise) de couplage d’un parc éolien avec du stockage stationnaire par batteries est un exemple parlant de projet innovant particulièrement adapté aux spécificités de la zone isolée et constitue un engagement concret pour la transition énergétique. Six ans après son lancement, retour sur le projet de couplage éolien x stockage stationnaire de Marie-Galante.

Un projet innovant pour booster l’autonomie énergétique insulaire

L’île de Marie-Galante, située à 30km de la Guadeloupe, a inauguré en septembre 2015 la première centrale éolienne avec stockage en milieu insulaire en France. Dénommé « centrale de Petite-Place », le parc a été construit à proximité de Capesterre-de-Marie-Galante, deuxième plus grande commune de l’île.

L’île de Marie-Galante compte 11 000 habitants et dépend administrativement et énergétiquement de la Guadeloupe. Près des trois quarts de sa consommation est produite en Guadeloupe, via des ressources à plus de 80% fossiles, et acheminée par un câble sous-marin. La centrale de Petite-Place s’inscrit dans une dynamique ambitieuse de transition vers un approvisionnement énergétique plus diversifié et positionne Marie-Galante comme véritable tête de pont de la transition énergétique des « Zones Non Interconnectées ». Lors de la COP22 de Marrakech en novembre 2016, l’île était d’ailleurs élevée au rang de modèle de développement durable pour ces zones avec l’ambition de faire de Marie-Galante un territoire à énergie positive.

C’est à partir de 2015 que le sujet de l’intégration du stockage aux exploitations ENR prend de l’ampleur grâce notamment à l’intervention du Conseil économique, social et environnemental. Le CESE a en effet identifié les différentes technologies de stockage existantes et établi des préconisations pour la création d’une dynamique nécessaire à la diminution des émissions de CO2 dans l’optique de la COP21. Marie-Galante a été la première île française à bénéficier de cette nouvelle dynamique en faveur du stockage de l’électricité, même si la plupart des mécanismes de soutien ont été développés plus tard. La CRE appliquait la « méthodologie stockage » pour la première fois en 2018 ; celle-ci concernait la Corse, la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion et retenait 11 dispositifs de stockage centralisés pour une puissance totale de 50 MW, ce qui économiserait 371 M€ de charges sur les vingt-cinq prochaines années.

La centrale de Petite-Place est une exploitation pionnière en France : elle associe des éoliennes, construites spécialement pour répondre aux conditions de l’île, et des batteries.

Mode de fonctionnement et acteurs de la centrale de Petite-Place :

 

L’aspect des éoliennes du parc de Petite-Place est différent de celui plus connu des parcs éoliens de la métropole. Comme l’illustre le tableau ci-après, les éoliennes du parc ont une envergure plus restreinte que ce que l’on observe habituellement. Marie-Galante est sujette à des contraintes particulières, notamment le passage de cyclones de mai à novembre. La structure spécifique des éoliennes de son parc permet une meilleure résistance à ces événements météorologiques tout en assurant la couverture des besoins en électricité de la totalité des habitants de Capesterre-de-Marie-Galante. Le mât des éoliennes, haubané et basculant, est également équipé d’une flèche de manœuvre et d’un treuil, une nouvelle fois pour plus de résistance aux conditions extrêmes de l’île.

La batterie Lithium-ion qui assure le stockage de l’énergie, et soutient ainsi la tension et la fréquence du réseau, est composée d’environ 3 200 accumulateurs regroupés dans un conteneur, pour une durée de vie de vingt ans. Ce conteneur conçu par Saft pour garantir un fonctionnement performant, est capable de résister à des conditions climatiques difficiles. Néanmoins, la capacité cumulée de stockage de la batterie est limitée à l’équivalent de moins d’une heure de production de 2 des 9 éoliennes à leur puissance nominale.

Le parc offre une facilité d’exploitation grâce à un algorithme de gestion permettant chaque jour d’établir la production électrique du lendemain en croisant les prévisions météorologiques avec les capacités et disponibilités des éoliennes. Ces prévisions de production sont ensuite envoyées au gestionnaire du réseau EDF SEI, lui permettant de mieux gérer le système électrique et de réguler la production quotidiennement.

Des technologies performantes adaptées au territoire et à ses spécificités climatiques 

La centrale de Petite-Place permet la réponse aux enjeux particuliers des territoires insulaires comme décrit ci-après.

Chacun des territoires d’Outre-Mer fait l’objet d’une Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) qui lui est propre. En effet, les objectifs de transition énergétique diffèrent de ceux définis pour la métropole et sont pour la grande majorité plus ambitieux en termes d’intégration des ENR à la matrice énergétique des territoires. Par son rattachement administratif à la Guadeloupe, Marie-Galante suit les objectifs définis dans la PPE de la Guadeloupe.

Quel avenir pour le couplage de l’éolien et du stockage ?

La centrale de Petite-Place à Marie-Galante est un exemple concret de couplage entre énergie éolienne et stockage par batteries en zone insulaire, réalisé grâce à l’intervention de divers acteurs aux expertises complémentaires. Elle répond à des enjeux spécifiques au milieu, tels que la nécessité d’autonomie pour faire face aux imprévus météorologiques et à l’isolement.

C’est la première expérimentation de ce type en France, et elle a depuis été reproduite par de nombreuses entreprises françaises spécialisées dans la conception et l’exploitation de parcs renouvelables. Néanmoins ces projets en France métropolitaine restent limités et se concentrent plutôt en outre-mer : Nouvelle-Calédonie, La Réunion, Guyane, etc. Nous pouvons nous demander si le modèle va se généraliser puisque, si dans le cas d’un milieu insulaire, le couplage éolien x stockage stationnaire se justifie, il est pertinent de se poser la question pour d’autres environnements. En effet, les coûts de ces installations restent la plupart du temps prohibitifs et l’impact environnemental n’est pas toujours positif en raison de l’extraction des métaux des batteries ainsi que la difficulté de leur recyclage.

 

Pour aller plus loin : [INTERVIEW] SKYVISOR : COMMENT RÉALISER LA MAINTENANCE D’ÉOLIENNES PAR DRONE ?

 

Sources :

[1] Quadran réalise la première centrale éolienne avec stockage en France – Quadran. [Vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=Jzx9qoC44j4

[2] Denis, S. (2017, 23 novembre). Les EnR comme moteur des territoires d’outre-mer. Les Echos. https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/les-enr-comme-moteur-des-territoires-doutre-mer-1009978

[3] Quadran Caraïbes. (2016, juin). Quadran inaugure la première centrale éolienne avec stockage de France à Petite-Place, Marie-Galante, Guadeloupe. https://www.guadeloupe-energie.gp/wp-content/uploads/2016/07/QUADRAN_CP_Inauguration_Petite_Place.pdf

[4] Région Guadeloupe / DEAL. (2017, mars). Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) 2016–2018/2019-2023 delaGuadeloupe. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/PPE%20Guadeloupe%20-%20Rapport.pdf

[5] ADEME. (2018, décembre). Intégration des énergies renouvelables et de récupération dans l’industrie. https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/eolien_fiche-technique-integration-dans-industrie-2018.pdf

[6] Laure Joannem, L. J. (2018, 4 juillet). Stockage des ENR : les îles à la pointe. France Energie Eolienne. https://fee.asso.fr/actu/stockage-des-enr-les-iles-a-la-pointe/

[7] CRE. (2018, octobre). Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 4 octobre 2018 portant décision sur la compensation des projets de stockage centralisé dans les zones non interconnectées dans le cadre du guichet d’octobre 2017 (DELIBERATION N°2018-207).

[8] CRE. (2019, septembre). Le stockage d’électricité en France.

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