V2G : Les véhicules électriques, outils de la flexibilité du réseau électrique ?

En 2019 le secteur du transport représentait 31% des émissions de gaz à effet de serre françaises et les voitures pour particuliers en étaient responsables à 51%[1].  Dans le but de réduire ces émissions, les normes européennes imposent aux constructeurs automobiles de réduire le ratio de CO2 émis par kilomètre parcouru de leurs nouveaux véhicules sous peine de lourdes amendes. Le véhicule électrique, dans le contexte énergétique français peu carboné, permet une réduction drastique de ces émissions[2]. Ainsi entre urgence climatique et volonté publique, les véhicules électriques sont en train de prendre une place prépondérante sur le secteur des transports. C’est d’ailleurs sur ce postulat que RTE a publié en 2020 son rapport “Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique”[3]. Les différents scénarios construits par RTE prévoient un nombre de véhicules électriques compris entre 8,2 millions pour l’estimation basse et 15,6 millions pour l’estimation haute d’ici à 2035. Une hausse significative dans tous les cas par rapport au 805 363 véhicules enregistrés au 1er janvier 2022[4].

Cette hausse du nombre de véhicules électriques sur nos routes pose plusieurs questions, notamment sur l’adaptation du réseau électrique (par rapport à l’appel de puissance simultané que pourraient représenter des millions de véhicules électriques qui se branchent en même temps), le recyclage des batteries en fin de vie, l’exploitation des matières premières pour la fabrication des moteurs et batteries[5], le pilotage de la recharge, etc…

En sommes de trop nombreux sujets pour ne serait-ce que tous les énoncer. Dans cet article nous faisons le choix d’en aborder un qui a notre sens est plus méconnu du grand public. Nous nous intéressons ici au potentiel de stockage que représentent ces milliers de batteries roulantes et les opportunités que leur intégration dans le réseau pourrait créer grâce au Vehicle to Grid. Si on regarde à l’horizon 2050, les différentes prédictions des rapports de RTE montrent que le cumul de capacité de stockage des batteries de véhicules électriques (VE) pourrait atteindre 2900 GWh[6]. A titre de comparaison, la plus grande batterie du monde actuellement en construction à Manatee en Floride possède une capacité de stockage de l’ordre de 900 MWh[7] soit 0,9 GWh. Ces 2900 GWh ne représentent pas une capacité de stockage directement disponible (le véhicule électrique sert avant tout à se déplacer) mais donne un ordre de grandeur de l’ampleur du cumul de ces batteries roulantes dans les dizaines d’années à venir.

Qu’est-ce que le Vehicle to grid (alias V2G) et quelles sont ses applications ?

Le principe de fonctionnement du V2G est relativement simple à appréhender. On branche un VE capable de gérer la technologie du V2G à une borne également compatible. La batterie se retrouve automatiquement mise à disposition du réseau électrique et devient une source potentielle d’approvisionnement électrique et/ou un moyen de délestage. Le V2G vient apporter une valeur supplémentaire aux VE, à fort intérêt pour les opérateurs de réseau électrique étant donné la répartition des VE sur le territoire et leur nombre qui ne cesse de croître. De plus, dans les zones urbaines où se situent majoritairement les VE, ceux-ci sont stationnés en moyenne 95% du temps[8] laissant une bonne marge d’utilisation de leur batterie à d’autres fins que la mobilité.

Source DREEV : Illustration du principe de fonctionnement du V2G

Grâce à cet échange de puissance bidirectionnel, l’opérateur du réseau dispose de plusieurs leviers pour valoriser la batterie du VE. L’un d’entre eux est la régulation de fréquence[9]:

Le V2G pourrait donc s’ajouter aux offres des « dispatchers » comme mécanisme d’ajustement de la fréquence du réseau en se servant de l’énergie disponible ou à combler sur les batteries des VE.

Une autre application possible est le lissage de la charge de puissance quotidienne[9]. Sur une courbe d’appel de puissance type on observe deux pics de demandes :

  • Le matin entre 8h et 12h lorsque les activités de la journée démarrent
  • Le soir entre 17h et 20h lorsque les ménages rentrent chez eux

Source RTE : exemple de courbe de charge hivernale et estivale

Les infrastructures de production électrique sont dimensionnées en fonction de ces pics de demandes (afin d’être en mesure d’assurer la demande à tout instant). Cela représente des investissements conséquents pour un usage qui n’est finalement que ponctuel. Le gestionnaire de réseau a ainsi toutes les raisons d’essayer de lisser cette courbe afin de limiter ses dépenses. Le V2G représente justement une opportunité pour lui dans ce but. En chargeant les VE lors des creux de demande (par exemple en milieu de journée ou de nuit), on peut ensuite se servir de l’énergie stockée pour la restituer lors des pics (dans le respect des besoins de mobilité de l’utilisateur). Les habitudes de mobilité sont suffisamment stables et prédictibles pour pouvoir se reposer sur ce mode de fonctionnement. On prolonge ainsi la durée d’utilisation nominale des moyens de production en limitant leur démarrage et arrêt intempestif et par la même occasion on limite les investissements nécessaires en vue de nouvelles infrastructures.

Une synergie avec les énergies dites fatales, principalement l’éolien et le solaire, est également envisageable[9]. Ces énergies sont peu pilotables car les phénomènes naturels qui y sont associés sont très fluctuants. Leur part étant de plus en plus importante dans le mix énergétique cela va compliquer à terme le pilotage global du réseau électrique. Le pilotage de la recharge des VE permettra de se synchroniser avec les pics de production ENR, afin d’une part d’utiliser cette énergie pour la mobilité et d’autres part de pouvoir être réinjectée plus tard sur le réseau grâce au V2G.

Quel Business model pour cette technologie ?

La question du business model entourant le V2G est encore un vaste débat du fait de son champ applicatif varié, de sa maturité et du nombre de VE compatibles avec cette technologie. Ci-dessus ont été expliquées trois applications possibles (et non exhaustives) pour le V2G ayant chacune leur propre valeur pour le réseau. Pourtant cela ne les empêche pas d’être très liées entre elles, ce qui rend la distinction de l’usage du V2G d’une application à une autre très complexe à démêler. De nombreux facteurs rentrent en jeu concernant les besoins de l’opérateur réseau à un instant T et le plus simple reste encore de lui laisser la main sur ce qu’il souhaite faire avec la batterie d’un VE plutôt que de se limiter à un usage unique.

Ainsi, dans un article publié en décembre 2020 sur le site de la Commission Européenne, un chercheur espagnol propose qu’un propriétaire de VE soit rémunéré au temps où il met son véhicule à disposition et/ou au nombre de fois où il le fait[11]. Ce principe permettrait à l’opérateur réseau d’utiliser le stockage des batteries des VE en fonction de son besoin.

Ce business model a la particularité d’être soutenable[11]. Il s’appuie directement sur les trois piliers du développement durable qui sont l’économie, le social et l’environnement :

  • Il permet une rentabilité financière pour les propriétaires de VE en échange d’un service rendu au gestionnaire du réseau, et ce dernier fait également des économies d’adaptation du réseau électrique en se reposant stratégiquement sur le V2G.
  • Pour l’aspect social cela permet aux propriétaires de VE de devenir des acteurs impliqués de la transition énergétique en faisant le choix de mettre à disposition les batteries de leur VE. Cela peut également devenir un atout pour démocratiser le VE grâce à un amortissement plus rapide du prix de ce dernier.
  • Enfin le VE permet une meilleure pénétration de nos EnR sur le réseau électrique ce qui diminue le bilan carbone de la production du kWh. Cela couvre l’aspect environnemental des piliers du développement durable.

Peut-on utiliser le V2G avec n’importe quel VE ?

Bien que le principe paraisse simple (on branche le VE et l’énergie sort ou rentre dans notre batterie), l’échange bidirectionnel de puissance est tout sauf trivial techniquement. En effet tous les protocoles de charge (types de branchement) des VE ne sont pas adaptés pour fonctionner en refoulement – c’est-à-dire de la batterie vers le réseau. Actuellement en Europe seul le protocole CHAdeMO permet l’utilisation du V2G, ce qui limite grandement son usage, d’autant que ce protocole n’est plus utilisé pour les VE neufs en Europe aujourd’hui. La norme retenue en Europe est le Type 2 CSS Combo et elle doit permettre le V2G d’ici 2025.

Schéma adapté par Wavestone venant de « Electric Star [12] : Différence entre les protocoles de charge

Les véhicules européens possédant le protocole CHAdeMO sont principalement de vieux modèles dont les versions du protocole sont datées. En Asie la prise CHAdeMO permet d’atteindre les 400 kW pour les dernières versions.

Actuellement la particularité des bornes supportant le branchement CHAdeMO (qui permet le V2G) est que l’alimentation en courant direct s’y trouve directement[13]. Cela déplace le coût de cette installation sur la borne et non sur le véhicule. C’est d’ailleurs une des principales différences entre une borne classique et une borne compatible V2G.

Quels sont les limites actuelles du V2G ?

D’autres limites que les bornes sont à surmonter pour le V2G. On peut notamment noter la dégradation prématurée des batteries des VE. Les usages que le gestionnaire prévoit pour la batterie du VE rajoutent un stress supplémentaire sur cette dernière. Cet impact est à prendre en compte dans le business model afin d’être répercuté sur la compensation versée à l’utilisateur de ce service. De plus afin que le service soit viable il faut également que cette dégradation ne surpasse pas le bénéfice qu’en tire le gestionnaire de réseau. Récemment des études ont montré que les cycles de charge/décharge supplémentaires n’avaient que peu d’impact voir aucun sur la durée de vie s’ils sont faits correctement. Des experts du V2G vont jusqu’à dire que l’algorithme de charge/décharge derrière cette technologie pourrait même permettre de rallonger la durée de vie de la batterie, notamment grâce à une meilleure gestion des cellules par rapport à un protocole de charge classique[14-15].

En dehors du domaine technique, le V2G pose un sérieux problème d’acceptabilité sociale. Cette technologie touche directement à nos habitudes de mobilités et à l’usage de notre véhicule. La voiture est un objet de notre quotidien souvent synonyme d’autonomie et de liberté de mouvement, or le V2G vient y déposer une couche de planification. Pour pouvoir tirer le meilleur parti du V2G il faut être capable de planifier ses déplacements sur une application et d’estimer le niveau de charge souhaité du VE. Ce processus limite l’utilisation du véhicule en cas d’imprévu car si on est sûr que son véhicule sera chargé à 80% à 18h on ne sait à priori pas à combien il peut être à 15h. C’est un changement de paradigme dans la manière d’utiliser son véhicule.

Encore assez loin d’être proposés à tous les particuliers, de nombreux projets ont cependant vu le jour en Europe afin de tester des business models et trouver des solutions aux différentes limites de la technologie. En France, 2 gros projets se sont lancés en 2020, le projet « aVEnir » mené par Enedis ainsi que le projet « Flexitanie » mené par EDF. Ils se font en partenariat avec de nombreux acteurs industriels et académiques et sont réalisés avec des flottes de VE. La DREEV, le fer de lance français du V2G, en est notamment partenaire. Toujours en cours ces deux projets devraient permettre d’y voir plus clair sur la rémunération qu’il sera possible de proposer aux utilisateurs de ce service ainsi que sur les solutions à apporter aux enjeux techniques.

Les perspectives du V2G semblent très prometteuses. Il peut aider au déploiement des EnR ainsi qu’à la flexibilité du réseau, et s’inscrit dans un changement global de notre façon d’aborder l’énergie et la mobilité. Le V2G n’est peut-être pas destiné au grand public à moyen terme mais plutôt aux flottes d’entreprises. A voir comment les évolutions techniques permettent de proposer un V2G fiable, viable et n’empiétant pas sur l’utilisation de base du VE qui reste la mobilité.

 

Sources :

[1] : Les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports, 2021, République Française, https://ree.developpement-durable.gouv.fr/themes/defis-environnementaux/changement-climatique/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre/article/les-emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-du-secteur-des-transports#:~:text=Traitement%20%3A%20SDES%2C%202021-,Les%20voitures%20particuli%C3%A8res,l’ensemble%20des%20%C3%A9missions%20nationales.

[2] : Les idées reçues sur la voiture électrique, 2022, Carbone4, https://www.carbone4.com/analyse-faq-voiture-electrique

[3] : Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique, 2019, RTE, https://www.rte-france.com/actualites/developpement-du-vehicule-electrique-et-systeme-electrique-une-faisabilite-sereine-et

[4] : Baromètre des immatriculations des véhicules électriques et hybrides rechargeables du mois de janvier 2022, Avere France, https://www.avere-france.org/publication/barometre-janvier-2022-des-immatriculations-en-hausse-et-plus-de-800-000-vehicules-electriques-et-hybrides-rechargeables-sur-les-routes-de-france/

[5] : Fabrication des batteries : un enjeu majeur pour la mobilité électrique, au cœur de toutes les attentions, 2021, Wavestone, https://www.energystream-wavestone.com/2021/01/fabrication-des-batteries-un-enjeu-majeur-pour-la-mobilite-electrique-au-coeur-de-toutes-les-attentions/

[6] : Futurs énergétiques 2050, octobre 2021, RTE, https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques

[7] : La plus grande batterie du monde entre en construction, février 2021, Révolution Energétique, https://www.revolution-energetique.com/la-plus-grande-batterie-du-monde-entre-en-construction/

[8] : Enquête globale transport – Mobilité en Île-de-France, OMNIL, Avril 2015, http://www.omnil.fr/IMG/pdf/fiche_egt_stationnement_mel.pdf

[9] : Factors influencing the economic success of grid-to-vehicle andvehicle-to-grid applications—A review and meta-analysis, 2021, C. Heilmann, G. Friedl

[10] : La fréquence électrique, un indicateur d’équilibre du réseau, RTE, https://www.rte-france.com/riverains/la-frequence-electrique-un-indicateur-dequilibre-du-reseau#:~:text=En%20Europe%2C%20le%20transport%20de,tr%C3%A8s%20attentifs%20%C3%A0%20ces%20variations.

[11] : V2G Sustainable Business Model Innovation to increase renewable energy sources rate power consumption, décembre 2020, Comission Européenne, https://smart-cities-marketplace.ec.europa.eu/news-and-events/news/2020/v2g-sustainable-business-model-innovation-increase-renewable-energy

[12] : Quels sont les différents types de connecteurs de recharge ?, Electric Star, https://electric-star.com/fr/les-types-de-connecteurs-de-recharge/

[13] : La prise CHAdeMO, novembre 2020, Automobile Propre, https://www.automobile-propre.com/dossiers/la-prise-chademo/

[14] : Quand la voiture électrique V2G alimente votre réseau, Qovoltis, https://www.qovoltis.com/v2g-votre-voiture-electrique-actrice-du-reseau-denergie/

[15] : Will V2G Activities Degrade Your EV’s Battery Life? , novembre 2021, Hive Power, https://www.hivepower.tech/blog/will-v2g-activities-degrade-your-evs-battery-life

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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