Les solutions de stockage dans la régulation du réseau électrique (1/2)

Sans solution de stockage, l’électricité produite doit immédiatement être consommée. Ainsi le réseau électrique doit être constamment en équilibre entre la production d’électricité (injection) et sa consommation (soutirage). Cet équilibre peut être rompu par une hausse ou une basse imprévisible de la consommation ou de la production.

L’augmentation des énergies intermittentes (énergies dont la production dépend d’un aléa météorologique) dans le mix énergétique, impact fortement l’équilibre des réseaux de transport d’électricité. La production ne pouvant plus être totalement prédite, l’équilibre entre la production et la consommation du réseau devient un challenge de toutes les secondes pour les gestionnaires de réseau de transport.

Actuellement, afin d’assurer cet équilibre en temps réel, le gestionnaire du réseau de transport (RTE en France) s’appuie sur plusieurs mécanismes et réserves de puissance à plus ou moins long terme :

  1. Le marché de capacité qui permet d’assurer, plusieurs années en avance, un moyen d’approvisionnement de pointe d’électricité et d’encourager l’effacement de consommation sur le long terme (un article EnergyStream a été publié sur le sujet).
  2. Les services système et mécanismes d’ajustement qui permettent le rééquilibrage du réseau électrique sur le court terme par la mobilisation de réserves de puissance.
  3. L’inertie des machines tournantes des productions hydraulique et thermique (pesant quelque fois plusieurs dizaines de tonnes) agissent comme résistance au ralentissement ou à l’accélération de leur rotation, elles participent donc à la stabilité du réseau.

La base de production importante que constitueront les énergies renouvelables intermittentes accentueront l’instabilité du réseau. Une solution serait ainsi d’utiliser les technologies de stockage d’électricité.

Dans cet article nous vous proposons de comprendre dans un premier temps le fonctionnement des services système et mécanismes d’ajustement, et dans un second temps d’analyser les avantages de l’utilisation de solutions de stockage d’électricité dans la régulation du réseau. Il s’agit du 1er volet d’une série de deux articles, avec le deuxième qui se focalisera davantage sur les technologies de stockage utilisées.

Causes et enjeux de la variation de la fréquence

La gestion du réseau transport d’électricité s’effectue par différents outils de prévision, de consommation et d’optimisation du système électrique dans le but d’équilibrer en temps réel la production avec la consommation d’électricité. Ce déséquilibre se traduit par des variations de la fréquence du réseau, et ce en tout point du réseau synchrone (interconnecté) européen. En Europe, la fréquence du réseau de transport doit être maintenu à 50 Hz.

Lorsque la consommation tend à excéder la production d’électricité, l’énergie cinétique des rotors des machines synchrones est également puisée, ce qui induit un ralentissent de la rotation et donc une diminution de la fréquence dans le réseau. Dans le cas inverse, lorsque la production tend à excéder la consommation d’électricité, la fréquence augmente. La fréquence ne doit pas excéder ± 0.5 Hz afin non seulement d’assurer le bon fonctionnement de certains matériels électriques mais également d’éviter des délestages (couper l’alimentation électrique) ou un écroulement total du réseau (black-out).

Afin de maintenir la fréquence dans une zone acceptable, le gestionnaire du réseau de transport contractualise des services système fréquence auprès des producteurs. Ces services système se caractérisent par des réserves de puissance mobilisables soit par le biais d’automatisme (réglage primaire et secondaire) soit par l’action d’opérateurs (réglage tertiaire).

Principe de fonctionnement des services système

  • Réserve primaire :

La réserve primaire actionnée automatiquement, permet de contenir en 30 secondes les dérivations de fréquence de ± 0.05 Hz. En Europe, en cas de besoin, elle est activée par tous les producteurs européens interconnectés aux réseaux de transport de la plaque continentale européenne synchrone membre de l’UCTE (Union for the Coordination of Transmission of Electricity) géré par le ENTSO-E (réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d’électricité). En Europe la puissance mobilisable est de 3000 MW, en France sa valeur est d’environ 570 MW. Cette réserve est dimensionnée pour pallier à la perte simultanée des deux plus gros groupes de production présents sur la plaque continentale.

  • Réserve secondaire :

Après 30 secondes, une fois la dérivation de fréquence stabilisée, la réserve secondaire permet de ramener la fréquence à son niveau de référence en quelques minutes. Elle est activée dans toutes les centrales du pays d’où provient la défaillance. En France sa valeur varie en fonction de la période estivale et hivernale entre 500 MW et 1000 MW (puissance correspondante à celle du plus gros groupe de production du pays)

Le réglage secondaire sert à maintenir les échanges d’énergie entre les zones de réglage et l’ensemble de la zone UCTE en ramenant la fréquence à 50 Hz. Si la cause de la perturbation subsiste toujours après 15 minutes, le réglage secondaire laisse la place au réglage tertiaire.

  • Réserve tertiaire (ou mécanisme d’ajustement) :

Au bout de 15 minutes, la réserve tertiaire permet de régler des écarts de plus long terme (dizaine de minutes à plusieurs heures), pour se substituer à la réserve secondaire si celle-ci est épuisée ou n’est pas suffisante pour faire face au déséquilibre. Ce réglage, appelé également mécanisme d’ajustement est activé « manuellement » par le dispatcher du GRT au moyen de messages d’appel spécifiques transmis aux fournisseurs ou aux consommateurs (mécanisme d’effacement). Il existe plusieurs outils proposés sur ce mécanisme :

  • La réserve rapide : disponible en 15 min et d’une puissance est de 1000 MW
  • La réserve complémentaire : activable en moins de 30 min et d’une puissance de 500 MW
  • La capacité d’effacement : permet au GRT d’ordonner l’effacement de la consommation d’un site gourmands en électricité

stockage

Source : © Energy Stream, blog de Wavestone – Mai 2018 – Reproduction interdire  inspiré de Swissgrid/CRE

Avantages des solutions de stockage

Aujourd’hui les réserves de puissance sont majoritairement hydrauliques et thermiques car abondantes et facilement mobilisables. Cependant leur vitesse de réaction est limitée et leur coût de démarrage élevé ce qui n’est pas efficaces pour répondre à des demandes de réserve primaire d’énergie qui nécessite des ajustements à la seconde.

L’utilisation de systèmes de stockage pourrait avoir plusieurs avantages pour les gestionnaires de réseaux :

  • Avoir une réponse d’injection d’électricité plus réactive et moins onéreuse
  • Optimiser ses infrastructures en reportant les investissements de renforcement du réseau ;
  • Intégrer la production d’énergie intermittente en s’assurant d’une fourniture stable d’électricité ;
  • Contribuer à la stabilité du fonctionnement des réseaux : sécuriser les prévisions d’équilibre d’offre/demande en optimisant les capacités de pointe et d’effacement ;
  • Contribuer à la sécurité et la qualité de la fourniture d’électricité aux consommateurs ;

Un exemple de mesure incitative à l’utilisation de solution de stockage vient des Etats-Unis où des batteries sont actuellement utilisées pour réguler la fréquence du réseau électrique au niveau de la réserve primaire. D’après le Pacific Northwest National Laboratory (PNNL), l’usage de système de stockage pour la régulation de fréquence permettraient de réduire de 40% les réserves primaires dédiées à la réserve primaire.

La Commission Fédérale de Régulation de l’Energie américain a mis en place un système de rémunération au « kilométrage» ou « mileage » pour inciter les investissements et le développement du stockage électrique. En plus d’une rémunération de la puissance disponible (ligne rouge ci-dessous), une rémunération supplémentaire en fonction de la vitesse de réponse a été instaurée, on mesure ainsi la distance correspondante (ligne jaune ci-dessous).

Energie fournie par un moyen rapide de régulation de la fréquence type batterie
Energie fournie par un moyen lent de régulation de la fréquence type thermique

Actuellement, le marché de la réserve primaire en France représente près de 100 millions d’euros, l’installation de système de stockage pourrait permettre une économie considérable de plus d’une dizaine de millions d‘euros par an.

Un tel mécanisme d’incitation pourrait-il exister en France ? La diminution de la part du nucléaire et l’augmentation des EnR dans le mix énergétique pourrait bien contraindre les gestionnaires du réseau à investir dans les technologies de stockage.

2 thoughts on “Les solutions de stockage dans la régulation du réseau électrique (1/2)

  1. Bonjour
    Votre article est fort intéressant. Est-il possible d’en disposer au format pdf?
    Vous remerciant par avance…

    Bien cordialement

  2. Bonjour,
    Je vous présente mes félicitations pour la pertinence de votre texte.
    Je suis un ingénieur retraité de l’EDF et j’écris des livres publié par Dunod. Je termine un livre traitant de la conception et de l’exploitation des réseaux d’énergie électriques à haute tension. J’aimerais vous soumettre quelques extraits pour avoir vos critiques. Pouvez vous me donner une adresse E MAIL pour que je puisse vous les envoyer.
    Bien cordialement
    https://www.dunod.com/sciences-techniques/plans-protection-reseaux-haute-tension-traitement-defauts-d-isolement

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Back to top