Projet TENORE et autoconsommation – rencontre avec Patrick Prunet, directeur de projets chez GRTgaz

Alors que la feuille de route du gouvernement pour une économie circulaire a été publiée fin avril 2018, nous avons rencontré Patrick Prunet, responsable pour GRTgaz du projet TENORE (Turbo Expander Nouvelle Opportunité de Récupération d’Energie). Ce projet s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire et contribue à l’objectif national de réduction de 40% de l’émission des gaz à effet de serre à l’horizon 2030.

Wavestone (WS) : Pouvez-vous nous présenter le projet TENORE, ce en quoi il consiste et où en est-il aujourd’hui ?

Patrick Prunet (PP) : Tout d’abord, rappelons que la mission de GRTgaz est de transporter à haute pression le gaz naturel sur le territoire français depuis les points d’entrée du réseau à nos frontières, jusqu’au réseau de distribution, à basse pression, exploité par GRDF. Pour aiguiller les flux de gaz vers les quatre coins de la France, le réseau de canalisation de GRTgaz est ponctué de stations de compression et d’interconnexions. Dans les stations d’interconnexion qui nous intéressent aujourd’hui, le gaz doit être détendu, c’est-à-dire que sa pression est abaissée pour passer du réseau de transport (haute pression) au réseau de distribution (basse pression) (un peu comme lors du passage d’une autoroute à une nationale qui nécessite de réduire la vitesse, ndlr). Cette détente génère de l’énergie dite fatale (repensons à notre métaphore autoroutière et à l’énergie de freinage). Cette énergie fatale, aujourd’hui perdue, peut être valorisée notamment pour produire de l’électricité à l’aide d’une turbine : c’est là l’objectif du projet TENORE !

Fonctionnement du projet TENORE

La détente du gaz a aussi pour conséquence de générer du froid (comme la bouteille de chantilly refroidit lorsqu’on la vide, ndlr). Par conséquent il faut réchauffer le gaz en amont pour pouvoir récupérer l’énergie fatale sans que les conduites de gaz gèlent ! Dans le dispositif du projet TENORE, le chauffage est assuré avec la géothermie. Plus précisément : l’eau du circuit de géothermie est captée après avoir été envoyée au réseau de chauffage urbain local, à environ 30°C, température suffisante pour le réchauffement. Ceci a pour bénéfice de renvoyer une eau plus froide vers les puits de géothermie, avec pour conséquence la diminution de l’utilisation de la pompe en favorisant la circulation naturelle.

Le réchauffage du gaz peut aussi être assuré par une centrale locale de cogénération, notamment en hiver. Cette cogénération est une installation à haute efficacité énergétique qui, associée à la turbine de détente, double la production électrique. L’ensemble atteint alors des rendements de l’ordre de 80% : Pour 100 unités de gaz, le système permet de produire 40 unités d’électricité via la turbine et 40 unités d’électricité avec la cogénération. Le projet TENORE permettra donc de produire de l’électricité principalement décarbonée avec un rendement de 80%. Ce système deviendra une centrale de pointe du réseau en substitution à une centrale à énergie fossile beaucoup plus émettrice de CO2.

Le projet TENORE dispose aujourd’hui d’un financement ADEME (Agence de l’Environnement et de Maitrise de l’Energie) en tant que Programme d’Investissement d’Avenir, et répond au besoin d’obligation d’efficacité énergétique. Nous estimons un retour sur investissement pour ce projet inférieur à 15 ans.

WS : Une installation pilote sera réalisée sur la station d’interconnexion de Villiers-le-Bel. Quels sont les premiers résultats issus de ce prototype (économies d’énergie, résultats financiers, impact environnemental…) ? Est-ce le seul test qui sera réalisé avant l’industrialisation ?

PP : La station d’interconnexion de Villiers-le-Bel fait effectivement l’objet des premiers tests. Nous lancerons la construction à partir de 2019, pour une industrialisation en 2020.

A terme, le test réalisé à Villiers-le-Bel peut permettre de générer 17 GWh/an d’électricité, soit l’équivalent de la consommation de 3500 foyers. Ce premier prototype en France, sera réalisé  avec une turbine Enertime, notre partenaire équipementier. Un gisement de 29 postes pouvant potentiellement accueillir le dispositif a été identifié, et pourrait représenter 30% de la consommation de GRTgaz ! (qui cumule 400GWh de production)

WS : L’expérimentation vise-t-elle a être essaimée à l’ensemble des stations d’interconnexion ?

PP : La condition nécessaire pour l’industrialisation du projet réside dans la négociation d’un complément de revenus pour la production électrique issue de la turbine de détente, afin de se couvrir du risque marché relatif au prix de vente de l’électricité. Nous percevons aujourd’hui une position plutôt ouverte des pouvoirs publics à ce sujet. En effet, la valorisation sous forme de production d’électricité de l’énergie fatale des industriels (regroupant l’énergie de détente des gaz et l’énergie thermique) représente un gisement important qui n’a pas encore été récupéré, faute de garanties financières suffisantes.

L’émergence de cette filière serait source de création d’emplois et d’empreinte environnementale positive. De plus, les subventions dans le domaine de l’efficacité énergétique ne constituent pas une distorsion de la concurrence à l’échelle européenne. Nous envisageons la création d’un club efficacité énergétique à l’ATEE (Association Technique Énergie Environnement) pour faciliter les discussions avec les pouvoirs publics.

WS : En quelques mots, en quoi le projet valorise-t-il une production d’énergie plus locale, plus intelligente et plus durable ? autrement dit cleaner/smarter/closer ?

PP : Par définition, le projet correspond à des critères de production plus durable, plus intelligente et plus locale de l’énergie.

Cleaner
L’empreinte environnementale positive du projet TENORE réside déjà dans la récupération d’une énergie jusque-là inutilisée et complétement décarbonée : l’énergie de détente.

Au-delà, la synergie développée avec la géothermie du réseau de chaleur urbain permet d’augmenter l’efficacité énergétique de ce dernier. En effet, la chaleur captée sur les retours vers les puits de géothermie permet de renvoyer une eau plus froide, limitant ainsi les déperditions thermiques et favorisant naturellement la circulation d’eau sur le réseau de chauffage (effet thermosiphon). Les pompes de circulation sont moins sollicitées, plus propre donc !

Smarter
Nous devons rendre intelligent le dispositif pour permettre l’effacement1 lorsque le réseau de chauffage urbain fonctionne avec des chaudières, et non uniquement la géothermie. L’objectif est de maintenir une production toujours 100% décarbonée. Pour bénéficier un maximum du dispositif mis en place, les débits de gaz alimentant la plaque parisienne transiteront préférentiellement par le site d’expérimentation afin d’augmenter potentiellement le volume produit sur le site. Le mode de pilotage du réseau sera adapté en conséquence.

Nous avons également mis en place un logiciel de prévision de la production électrique corrélé au débit de gaz afin d’optimiser le prix de vente de l’électricité.

L’utilisation de la cogénération est subventionnée pendant 5 mois en hiver. En effet, la cogénération est vertueuse uniquement si elle se substitue aux centrales de pointe. Or la règlementation autorise l’utilisation subventionnée de la cogénération pendant 7 mois sur l’ensemble de l’année. En dehors de ces 7 mois, le fonctionnement de la cogénération est possible mais l’électricité doit être vendue sur le marché SPOT. Le démarrage de la cogénération sera donc corrélé à un signal prix/marché pour optimiser le rendement de production.

Closer
TENORE permet de maintenir le pourcentage d’énergies renouvelables du réseau de chaleur urbain de la commune de Villiers-le-Bel au-delà de 50%, ce qui garantit à tous les utilisateurs du réseau local une TVA avantageuse pour l’énergie. La construction et la gestion de ces sites de production d’électricité couplées aux stations d’interconnexion est également un vecteur de création d’emploi.

WS : La loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV) prévoit la révision de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) d’ici la fin de l’année 2018, avec pour objectif la réduction de 40% de l’émission des gaz à effet de serre en 2030. Comment GRTgaz ambitionne de contribuer à la PPE ?

PP : De mon point de vue, la principale contribution de GRTgaz à la PPE réside dans le fait de décarboner le réseau de gaz, par l’utilisation de gaz verts et notamment du biométhane ou du pyrogaz (gaz issu du traitement de matière à haute température, ndlr) . Décarboner la source est plus efficient que décarboner après la combustion compte-tenu de l’éparpillement des consommateurs, c’est là qu’est l’enjeu majeur. L’idée est aussi de récupérer le carbone déjà présent dans les fumées des industriels pour en faire du méthane de synthèse, c’est une forme de recyclage. Par exemple un autre de nos projets, Jupiter 1000, a pour but de coupler le carbone des fumées avec du dihydrogène pour produire un méthane issu de molécules de carbone présentes dans les fumées industrielles (procédé dit de méthanation, ndlr).

WS : Quelles sont les autres actions innovantes de GRTgaz pour être cleaner/smarter/closer ?

PP : Des initiatives comme Résovert, qui est une carte interactive pour identifier les points potentiels d’injection de biométhane sur le réseau de gaz, vont dans le sens d’une énergie plus locale, plus intelligente et plus propre. Cette initiative encourage la récupération de biométhane et tend vers une décentralisation de la production d’énergie.

GRTgaz contribue également à l’ouverture de ses données, via une plateforme d’Open Data2 permettant d’analyser des jeux de données dans une démarche de faciliter l’accès à l’information sur le réseau d’énergie.

WS : Les gestionnaires de réseau d’énergie apparaissent comme des acteurs majeurs de la transition énergétique. L’autoconsommation pour ces gestionnaires est-elle un moyen d’appuyer la transition énergétique des industriels ?

PP : Un des objectifs à terme du projet TENORE est d’autoconsommer la production électrique issue de l’énergie de détente. L’autoconsommation est une tendance émergente, et une nouvelle offre permettant d’agréger chez un même client ses points de production et de consommation est proposée par les énergéticiens. Néanmoins, malgré la décentralisation de la production, un gestionnaire de réseau comme GRTgaz restera nécessaire. Dans le contexte d’une économie circulaire, lorsque les sortants des uns sont les entrants des autres, son rôle de garant de l’approvisionnement et de la qualité du gaz sera d’autant plus important !

WS : La récupération d’énergie fatale du projet TENORE s’inscrit dans une démarche d’économie circulaire qui vise à utiliser de façon vertueuse une ressource autrefois inexploitée. Quelle est votre vision sur la feuille de route gouvernementale à propos de l’économie circulaire ?

PP : La réutilisation des énergies auparavant inutilisées sera un véritable pilier de l’économie circulaire. En effet, que ce soit dans le cadre de la détente comme avec le projet TENORE, ou des déchets organiques avec la production de biométhane, l’énergie produite sera plus locale, plus verte et plus intelligente !

 

Les points à retenir :

  • Le projet TENORE consiste à récupérer l’énergie aujourd’hui perdue qui est générée par la détente du gaz, et à l’utiliser pour produire de l’électricité.
  • Un démonstrateur de ce projet sera lancé en 2019 sur le site de Villiers-Le-Bel, avec une industrialisation en 2020.
  • Le projet bénéficie d’un financement de l’ADEME PIA et s’inscrit dans une démarche de décarbonation de la production d’énergie, et d’économie circulaire.

1 : https://www.energystream-wavestone.com/2016/02/savez-quest-leffacement-de-consommation-electrique/

2 : https://opendata.grtgaz.com/pages/accueil/

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