Nous sommes allés à la rencontre de Phoenix Mobility, suite à notre entretien de l’année passée sur les start-ups du secteur de la mobilité, accélérées au sein de Shake-up. Incubée chez Wavestone dans le cadre de Shake Up, Phoenix Mobility est une start-up qui conçoit et produit des kits de conversion permettant de transformer des véhicules essence ou diésel, en véhicules 100% électrique. Cette alternative à l’achat de véhicule électrique neuf est appelée Rétrofit, et Phoenix Mobility en est l’un des pionniers en France.
Pour mieux comprendre les enjeux actuels de l’entreprise et du secteur, nous avons réalisé un entretien avec Wadie Maaninou, Chief Executive Officer et co-fondateur de Phoenix Mobility.
Comment évolue l’activité de Phoenix Mobility depuis notre dernier entretien l’année passée ?
Wadie Maaninou : D’un point de vue interne, à titre de comparaison entre fin 2020 et fin 2021, on peut noter deux évolutions majeures :
- Une augmentation de l’effectif pour passer d’une vingtaine d’employé fin 2020 à 31 aujourd’hui.
- Une évolution de l’activité pour entamer le passage à une industrialisation.
Ces évolutions impliquent des transformations majeures au sein de l’entreprise, en termes de compétences, de structuration mais aussi dans l’approche de la conception et réalisation. L’industrialisation requiert la mise en place de processus plus précis et parfois plus long. Ainsi une conduite du changement est nécessaire en interne auprès de l’ensemble des parties prenantes, notamment sur les manières de produire.
D’un point de vue commercial, l’année 2021 était riche en développement mais ce n’est pas l’année du lancement de la production de kits en série. En effet, c’était l’année de la fiabilisation car nous avons livré des véhicules d’essais pour des early adopters. Concrètement, nous avons récupérés les feedback utilisateurs, pour faire des évolutions puis leur retourner le véhicule. L’objectif était d’aboutir à une solution industrialisable, qui respecte les points clés de toute activité commerciale : la satisfaction et le confort des utilisateurs. Le développement commercial représente 1,4 millions d’euros de commandes conclues en 2021, avec plus d’une douzaine de collectivités, quelques TPE/PME, et des grands groupes.
Comment évolue l’activité du rétrofit en France et en Europe ?
WM : L’activité du rétrofit est reconnue par l’Etat en France grâce à l’arrêté du 13 mars 2020. Ce texte met en place l’homologation en série des véhicules sans accord du constructeur, avec un cadre précis. Cependant, il y a toujours des difficultés, notamment sur le circuit d’homologation qui permet à une entreprise de commercialiser. Cet arrêté a demandé un effort de lobbying important en amont. Une fois le rétrofit reconnu, il fallait créer un cadre économique et public pour permettre d’homologuer facilement des véhicules. Les actions de lobbying majeures ont permis de :
- Obtenir des subventions pour différents types d’usagers (particuliers, collectivités, entreprises). L’Etat offre jusqu’à 9000€ de prime au rétrofit pour les professionnels, cumulables avec des aides locales pouvant aller jusqu’à 12 000€ pour Grenoble-Alpes métropole par exemple.
- Intégrer la notion de véhicule rétrofité électrique dans la définition d’un véhicule propre d’un point de vue règlementaire.
- Intégrer le rétrofit dans le décompte des obligations de renouvèlement des flottes des acteurs privés et publics.
- Elargir les subventions aux véhicules lourds (plus de 3,5 tonnes), aspect important pour la diversification du marché.
En France on observe une augmentation du nombre d’acteurs. Mais la majorité d’entre eux ne sont pas au stade de l’industrialisation. En Europe, la tendance est similaire, on voit des acteurs en Belgique, en Allemagne, en Espagne sur tous types de véhicules : citadins, utilitaires et véhicules lourds.
L’évolution de ce secteur est cadencée par les règlementations restrictives qui commencent à interdire les véhicules diésels, avec en France les Zones à Faible Emissions (ZFE), et globalement en Europe avec les Low Emission Zones.
Comment échangez-vous avec les différents acteurs ?
WM : Via l’association AIRE (association des Acteurs de l’Industrie du Rétrofit Electrique) qui regroupe aujourd’hui une vingtaine d’acteurs, à la fois des pure players du rétrofit, des sous-traitants et des partenaires. C’est grâce à ce regroupement que le cadre règlementaire, technique et économique a rapidement évolué pour aboutir à l’arrêté de mars 2020. La France est perçue comme un modèle en Europe. Même si tout n’est pas parfait, c’est le seul pays avec un texte règlementaire qui décrit comment homologuer un véhicule. Les différents acteurs européens consultent aujourd’hui l’AIRE afin de se renseigner sur la structuration du secteur et le déroulement du circuit règlementaire.
L’AIRE a permis d’unifier les discours auprès des pouvoirs publics et de mener des actions de lobbying structurées en France et dans les instances européennes. L’objectif final est d’avoir une règlementation homogène en Europe. Par exemple en France, les économies de CO2 induites par le rétrofit de véhicules sont comptabilisées, ce qui n’est pas le cas partout en Europe, ou du moins pas de manière équivalente.
Quels sont vos objectifs en France, à international ?
WM : Aujourd’hui, nous évoluons vers une structure industrielle avec toute l’inertie qu’engendrent les aspects industriels et règlementaires. En effet, il est compliqué d’atteindre rapidement des volumes de production importants car il y a un ramp-up industriel qui nécessite du temps afin de bien maturer son produit.
L’objectif sur l’année 2022 est de produire et livrer une cinquantaine de véhicules. C’est une année charnière pendant laquelle nous allons tester la fiabilité du système de production, de notre industrialisation et de la maturité de notre produit. Sur l’année 2023, nous aurons atteint un degré de maturité suffisant qui nous permettra de passer à l’échelle, et de fixer un objectif à 800 véhicules. Cet objectif sera atteint grâce à l’augmentation de notre capacité de production, que nous avons amorcée puisque que nous avons déménagé au début de l’année 2021 dans notre usine pilote à Grenoble, où nous avons des lignes de production opérationnelles.
Aujourd’hui, nous structurons des partenariats stratégiques qui nous permettrons d’accélérer l’industrialisation et la production de nos kits afin d’augmenter à 3000 kits produits sur l’année 2024, puis le double sur l’année 2025. Ces objectifs montrent le cheminement étape par étape pour structurer la production de manière judicieuse et relativement rapide.
Lors de notre dernier entretien, votre business model s’orientait vers des cibles B2B telles que les PME, grands groupes et collectivités. Vous aviez aussi pour ambition de développer un segment B2C à l’avenir. Votre business model a-t-il évolué à ce jour ?
WM : L’activité du rétrofit s’oriente davantage vers les véhicules utilitaires ou lourds, car la demande et le soutien gouvernemental sont ciblés vers les véhicules professionnels, et à fortiori vers les véhicules utilitaires, et poids lourd. La clientèle B2C nécessite de déployer des kits spécifiques selon les constructeurs avec une gamme de véhicule beaucoup plus large, et un service après-vente de proximité dans toute la France. En revanche, une clientèle B2B permet d’avoir un service centralisé et les acteurs sont des gestionnaires de flotte qui ont 50 véhicules identiques au même endroit.
Actuellement, notre offre est ciblée sur les VUL (véhicule utilitaires légers), c’est-à-dire des véhicules de type camionnettes ou fourgons. Récemment, nous avons diversifié notre proposition, en ajoutant une offre pour les véhicules appelés les VASP (Véhicule Automoteur Spécialement Aménagé). Ce sont des véhicules avec une base utilitaire, sur lesquels le client a dû investir pour un aménagement spécifique à son besoin de métier. Néanmoins, pour préparer l’avenir, nous envisageons une offre sur les véhicules lourds (au-dessus de 3,5T). Notre cible est la clientèle B2B ou B2G, donc les entreprises (TPE, PME et grand groupe) et collectivités. Quant aux marchés B2C, nous avons pour le moment exclus les véhicules citadins de notre périmètre. Cependant, ce positionnement sur le marché B2C n’a rien de définitif.
Phoenix Mobility a été au cœur de l’actualité fin 2021 avec une levée de fond importante. Pouvez-vous nous dire quelles sont les ambitions et perspectives, grâce à cette levée de fond ?
WM : Cette levée de fond n’est pas une finalité, c’est un moyen pour nous permettre d’atteindre les objectifs que l’on s’est fixés. Elle s’élève à 2 millions d’euros, et va contribuer à lancer notre industrialisation et une production en série sur cette année 2022. En effet, ce sont les véhicules que l’on va livrer en 2022, qui vont nous permettre de constater si notre production fonctionne, si notre produit est fiable et si nous allons pouvoir monter en puissance en 2023.
Ce financement permet des recrutements clés. Nous avons finalisé le recrutement de postes stratégiques, avec une responsable QHSE, une responsable industrialisation, et un directeur des opérations. Début 2022, nous avons déménagé sur notre nouvelle usine pilote à Grenoble. En parallèle, nous structurons nos équipes commerciales. L’année passée correspondait à une phase de recette qui consistait à trouver l’offre à mettre en place et les bons persona clients. En 2022, nous recrutons des forces commerciales pour rentrer dans une phase d’exécution et d’accélération commerciale. Nous devrions avoir des partenariats stratégiques durant cette année 2022 qui vont nous permettre de passer dans une autre dimension en termes d’accélération industrielle.
Ensuite, nous avons un budget conséquent alloué à la R&D, l’ingénierie, et aux circuits d’homologation, pour nous permettre de continuer à développer notre catalogue d’offre. Nous avons actuellement finalisé des kits de conversions pour Renault Traffic, Master et pour les dépanneuses. Nous souhaitons décliner nos kits de conversion sur les autres marques Peugeot, Citroën, Mercedes.
Vous aviez pour objectifs de doubler vos effectifs. Comment réussir à attirer de nouveaux profils aujourd’hui ?
WM : Compte tenu des enjeux environnementaux actuels, nous bénéficions d’un capital intérêt qui fait écho vis-à-vis des étudiants. Néanmoins, il faut également travailler notre marque employeur, participer à des forums, et avoir un process de recrutement cohérent, complet, ne frustrant pas les candidats, et permettant de sélectionner correctement les talents qui nous rejoignent. Depuis l’arrivée de notre responsable RH en 2021, nous avons lancé un job board pour piloter nos recrutements via cette plateforme.
La question de l’onboarding et de la fidélisation des employés est tout aussi importante. En interne, les employés ont les avantages liés au fait de travailler dans une start-up, notamment avec une pyramide hiérarchique très plate, ce qui encourage la prise d’initiative. Nous avons également constitué un package de bienvenue, et révisé notre structure de rémunération.
Pour finir cet entretien, que peut-on vous souhaiter pour la suite de l’année 2022 ?
WM : Vous l’aurez compris, 2022 est une année charnière pour nous. Les processus et transformations que nous avons mis en place doivent montrer leur efficacité. Néanmoins, nous passons un stade plus exigeant. Nous avons un carnet de commandes à livrer et nous avons levé des fonds importants auprès d’investisseurs, envers lesquels nous avons des obligations. Une pression positive est ajoutée, car il faut assurer l’atteinte des objectifs.
Vous pouvez simplement nous souhaiter que le développement de Phoenix Mobility continue, et que cette année charnière soit une année pleine de succès dans l’ensemble des transformations que nous opérons.